Un mégahôpital en PPP tourne au fiasco à Paris

Publié le 26/11/2011 à 00:00

Un mégahôpital en PPP tourne au fiasco à Paris

Publié le 26/11/2011 à 00:00

Cité en exemple au Québec pour jusitifier le recours aux partenariats public-privé (PPP), la construction du Centre hospitalier sud-francilien (CHSF), au sud de Paris, connaît d'importants ratés.

Au total, le public doit payer 1,2 milliard d'euros (1,65 milliard de dollars) pour sa construction et son utilisation pendant 30 ans. Mais, 11 mois après sa «livraison», le bâtiment de 1 025 lits reste vide. Les autorités ont reporté l'accueil des premiers patients : le mégahôpital n'est pas conforme aux normes !

Pour régler les problèmes, le constructeur Eiffage exige 185 millions supplémentaires, soit plus de la moitié de la part du public dans les coûts de construction initiaux.

La presse française, elle, qualifie le projet de «fiasco» et de «désastre». Les inspecteurs ont constaté pas moins de 8 000 infractions dans l'immeuble. La date prévue pour accueillir les premiers patients est maintenant fixée à janvier 2012... si tout va bien.

Le constructeur, grand spécialiste des PPP, défend sa gestion.

«Lorsque nous avons eu le contrat en 2006, les nouvelles normes imposées aujourd'hui n'existaient pas, explique Sophie Weigand, porte-parole d'Eiffage. Nous avons donc livré un hôpital qui n'en tient pas compte.»

Risque prévisible

Le risque était pourtant prévisible, selon la Cour des comptes, l'équivalent français de notre vérificateur général. Mais l'administration publique n'a pas assuré ses arrières, déplore-t-elle. «Les termes du contrat liant les parties ont permis de faire supporter davantage le risque par l'établissement que par la société Eiffage», écrit Christian Colin, qui dirige la section hospitalière de la chambre régionale des comptes d'Île-de-France, dans un courriel au journal Les Affaires.

Rendu public en février dernier, le rapport de la Cour des comptes critique sévèrement le choix de la formule PPP, jugé «très onéreux». «Le recours à une maîtrise d'ouvrage publique financée par l'emprunt aurait été une solution certainement moins coûteuse, moins hasardeuse et surtout davantage maîtrisable par l'établissement», mentionne le document.

Marcel Boyer, ancien économiste en chef de l'Institut économique de Montréal, n'est pas de cet avis. «La Cour des comptes, ce n'est pas crédible, c'est l'équivalent de notre vérificateur général, affirme-t-il. Ils n'ont pas la compétence pour se prononcer sur des mécanismes d'octroi de contrats. Ce ne sont pas des économistes, ce sont des comptables.»

Il reconnaît cependant qu'il n'a pas lu le rapport en question : «Je ne peux pas suivre tous les cas de PPP, même si j'en ai mentionné dans mes papiers...»

En 2009, il citait le CHSF en exemple pour féliciter le gouvernement Charest de recourir au PPP concernant les nouveaux hôpitaux universitaires montréalais. «Le plus grand chantier PPP en France est le Centre hospitalier sud-francilien : plus de 1 000 lits, ouverture en 2011, contrat PPP d'une durée de 30 ans. Que dire de plus ? Trop compliqué pour le Québec, mais pas pour les autres !» écrivait-il.

Aujourd'hui, Marcel Boyer, membre du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), croit que les problèmes du CHSF sont en grande partie dus à une mauvaise négociation du contrat de PPP et aux «syndicats», qui résistent aux changements résultant de la fusion des multiples hôpitaux dont ils sont issus en un seul.

De son côté, la Fédération hospitalière de France a critiqué le recours aux PPP pour les hôpitaux dès les débuts du projet sud-francilien. «Cette formule nous paraît trop risquée, dit Yves Gaubert, responsable des questions financières au sein de l'organisation, qui représente les intérêts des hôpitaux publics, comme le CHSF. Le principal problème, c'est l'adaptation à la technologie, qui change très rapidement dans le domaine médical. Dans ce cas-ci, ça a cloché dès le début.»

Eiffage n'est pas de cet avis, même si la firme reconnaît que le projet a connu d'importantes difficultés. «C'est une exception», dit Sophie Weigand. Le groupe a construit trois autres hôpitaux français en PPP, sans problème. «L'hôpital sud-francilien, c'est beaucoup plus complexe.»

40 Depuis les débuts de la planification du nouveau Centre hospitalier sud-francilien, le loyer que le public doit payer au propriétaire de l'infrastructure est déjà passé de 29 à environ 40 millions d'euros par an.

QUÉBEC DOIT SOIGNER SES NÉGOCIATIONS

À la chambre régionale des comptes d'Île-de-France, équivalent du bureau de notre Vérificateur général, Christian Colin s'est penché sur les dérapages dans le partenariat public-privé du Centre hospitalier sud-francilien (CHSF). Parmi ses constats : le public ne sait pas négocier avec les grandes firmes de génie-construction.

«Face à des entreprises aguerries», les autorités «doivent disposer de techniques suffisantes pour apporter un regard critique sur les hypothèses de calcul et les paramètres financiers utilisés ou proposés dans le contrat», écrit-il dans un courriel à Les Affaires.

Le Québec a encore moins d'expérience que la France dans ce genre de négociations, d'après Marcel Boyer, ancien économiste en chef de l'Institut économique de Montréal et membre du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) : «Il y a beaucoup plus de mécanismes institutionnels en France pour négocier ces contrats.»

Est-ce à dire que le Québec risque encore plus de problèmes dans ses deux hôpitaux universitaires construits en PPP ? L'organisme public Infrastructure Québec est chargé de coordonner les grands travaux dans la province, y compris ceux des hôpitaux. Sa porte-parole, Carole Bissonnette, se fait rassurante. Pour obtenir les équipements les plus modernes possible, le plus tard possible, «l'achat de l'ensemble des équipements médicaux est sous la responsabilité du secteur public, et non du partenaire privé», dit-elle. Quant aux locaux demandant d'être adaptés en fonction des équipements, «le CHU doit remettre les dessins au partenaire privé de «12 à 24 mois avant la livraison du bâtiment, afin que le partenaire privé adapte les plans des locaux en conséquence». H.J.

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