Sortir d'une crise comme les Canadiens

Publié le 04/05/2013 à 00:00

Sortir d'une crise comme les Canadiens

Publié le 04/05/2013 à 00:00

Passer des bas-fonds du classement de la LNH au second rang en l'espace d'une seule saison, c'est l'exploit que revendiquent les Canadiens de Montréal. Au moment où la fièvre des séries éliminatoires atteint la métropole, voyons comment la transformation de la Sainte Flanelle peut vous inspirer dans la gestion de vos affaires.

Au printemps dernier, l'organisation des Canadiens était une entreprise en crise. L'équipe finissait au 15e et dernier rang de l'Association de l'Est de la LNH.

Exclue des séries éliminatoires, elle perdait ainsi des revenus (chaque match des séries éliminatoires rapporte environ 2 millions de dollars), des ventes (les multiples produits dérivés), de la crédibilité auprès des partisans, notamment sur son image de marque. De plus, ce cuisant échec faisait, au passage, des victimes collatérales : commerçants, restaurateurs, médias...

L'organisation, propriété de la famille Molson, a réagi. À la hauteur du désastre créé, selon les experts interviewés.

En commençant par embaucher un directeur général, Marc Bergevin. L'ancien défenseur originaire de Pointe-Saint-Charles semble faire l'unanimité. L'homme de 47 ans a rapidement pris des décisions courageuses, parfois risquées, toujours pertinentes, à tout le moins jusqu'à maintenant.

Marc Bergevin a un plan de match, et il le suit.

Résultat : le CH a connu une excellente saison et s'est aisément assuré une place en séries éliminatoires. Une nouvelle philosophie de gestion a émergé.

Pour réussir sur son territoire, la patinoire, les nouveaux dirigeants des Canadiens ont mis en pratique ce qui fait le succès des entreprises gagnantes.

Faire une évaluation claire et amorcer un plan d'action

«Par quoi commence-t-on ? C'est la question à la base de tout», dit Louis Hébert, professeur de stratégie au Service de l'enseignement du management de HEC Montréal. Lorsqu'une organisation est en crise, elle se doit de faire une évaluation claire et fidèle de la situation.

Dans le cas des Canadiens, les résultats n'étaient pas mauvais, «ils étaient atroces», dit Louis Hébert. «Ça se rapprochait plus de la crise que d'un redressement mineur. Le CH avait davantage besoin d'une transformation que d'un simple ajustement.»

Autrement dit, le CH n'était pas à près d'un joueur ou deux de participer aux séries éliminatoires, un peu comme une entreprise qui doit renouveler l'ensemble de ses produits plutôt que les mettre à jour.

Premier constat : les ressources en place n'étaient pas suffisantes. «Si on utilise les mêmes personnes, de la même façon, on arrive au même résultat. Pour les Canadiens, cette approche était inacceptable», dit Louis Hébert. En plus du changement d'attitude et de philosophie de gestion, il fallait un changement des troupes. Marc Bergevin a été nommé directeur général dans ce contexte de petite révolution. «Il est arrivé en poste avec l'idée très claire de changer des choses dans cette organisation centenaire», dit Alain Gosselin, professeur titulaire en gestion des ressources humaines à HEC Montréal.

Même constat que chez son collègue Louis Hébert : pour arriver à un résultat différent, il faut faire les choses différemment. «Marc Bergevin a un plan, et il le suit. On ne fait pas de l'improvisation.»

Embaucher les bonnes personnes, savoir leur faire confiance

Aussitôt en poste, Marc Bergevin a rompu avec une tradition bien ancrée chez les Canadiens : gérer en vase clos.

«Il s'est entouré d'hommes de confiance et d'adjoints, il bénéficie du point de vue de plusieurs personnes, il sait écouter, et ça rend ses décisions meilleures», dit Bruno Delorme, un spécialiste du marketing sportif qui enseigne aux universités Concordia et McGill.

Marc Bergevin n'est pas un homme seul au sommet, note Alain Gosselin. Il délègue et laisse de la marge de manoeuvre à ceux qu'il a embauchés, les Martin Lapointe, Patrice Brisebois, Rick Dudley ou Scott Mellanby. «Il fait confiance à ses hommes de hockey.»

Plusieurs d'entre eux sont francophones, une denrée rare dans le passé récent de cette organisation pourtant si ancrée dans l'imaginaire collectif québécois. C'est sans parler de la nomination, par intérim, d'un entraîneur-chef unilingue anglophone, Randy Cunneyworth, la saison dernière, à la suite du congédiement en catastrophe de Jacques Martin. Cette décision avait déclenché une tempête médiatique. «En embauchant des francophones, l'entreprise lance un message», dit Bruno Delorme.

Marc Bergevin lance un autre message sur le plan des ressources humaines, dit Alain Gosselin : il récompense les employés loyaux à l'organisation. «Il a ramené le vétéran défenseur Francis Bouillon et a fait confiance à David Desharnais en lui accordant une prolongation de contrat. Ce sont des joueurs qui ont l'organisation tatouée sur le coeur. Ça a une valeur symbolique.»

Prendre des décisions courageuses

Avec son rendement anémique et son salaire faramineux, l'attaquant Scott Gomez était devenu le dindon d'une mauvaise farce, la risée des médias sociaux. Il représentait à lui seul cette nonchalance et cette médiocrité qui avaient caractérisé les Canadiens au cours des dernières saisons.

Racheter le contrat de Gomez - dès l'ouverture du camp d'entraînement en janvier - a été un geste à la fois courageux et hautement symbolique, dit Alain Gosselin. «Un véritable statement.»

«Si le nouveau message d'une organisation est qu'il faut travailler fort, elle ne peut pas conserver un flanc mou», dit Louis Hébert. C'est une question de cohérence dans ces moments charnières que sont les redressements. «Les décisions n'ont pas seulement une valeur d'affaires, elles sont aussi symboliques. Financièrement, le CH aurait pu s'accommoder du salaire de Gomez. Mais ce n'était pas le bon message à envoyer.»

L'embauche d'un Michel Therrien deuxième mouture (il avait été entraîneur-chef des Canadiens de 2000 à 2003) a aussi beaucoup plu à Bruno Delorme. Ça n'était pas la route la plus facile, croit le spécialiste du marketing : «Ramener Michel Therrien derrière le banc des Canadiens, c'était un geste osé, courageux.

Il est rare qu'une entreprise réembauche un employé qu'elle a congédié.»

Michel Therrien a pris beaucoup de maturité depuis son premier passage chez les Canadiens, dit-il. Il a notamment été à la barre des Penguins de Pittsburgh, de 2005 à 2008, où il a dirigé Sidney Crosby à ses débuts dans la LNH. «Il est plus à l'écoute, plus patient.»

Marc Bergevin a aussi fait preuve de courage et, surtout, de doigté dans sa gestion du conflit avec P.K. Subban, resté à la maison lors des premiers matchs de cette saison écourtée. Le meilleur défenseur des Canadiens était joueur autonome avec restriction et souhaitait ratifier un contrat à long terme. «Marc Bergevin est allé à Toronto afin de discuter avec Subban et son agent, raconte Bruno Delorme. Il a tenu son bout, préférant lui accorder un contrat de deux ans, mais il se devait d'avoir un joueur heureux.»

Investir dans la relève

Les Canadiens ont innové aussi quant à la gestion des jeunes recrues, en décidant cette année de leur faire confiance. Ainsi, Brendan Gallagher et Alex Galchenyuk ont fait bien plus que de la figuration, dit Alain Gosselin. «Les jeunes joueurs font partie d'un vaste plan. Les Canadiens ne nous avaient pas habitués à ça. Ils ont eu beaucoup de glace. Il est vrai qu'ils ont bien répondu.»

Un peu comme une entreprise qui choisit d'accorder des responsabilités à ses jeunes employés plutôt que de les confiner à des rôles de soutien.

Gallagher et Galchenyuk sont en nomination pour le trophée Calder, décerné à la recrue de l'année. «Ça faisait longtemps que le CH n'en avait pas eu un, dit Bruno Delorme. Alors, imaginez deux !»

Par ailleurs, Marc Bergevin a fait venir des jeunes joueurs du club-école de Hamilton, à tour de rôle, afin de les observer dans le contexte d'un match de la LNH. Un pari de gestion de la relève risqué et audacieux, dit Bruno Delorme, qui confirme la vision à long terme de Marc Bergevin.

Et un pari de gestion... financière. Le CH devra composer dès l'an prochain avec un plafond salarial qui passera de 70,2 M$ à 64,3 M$, lui qui dépense déjà le maximum autorisé. «L'économie du hockey change, dit Louis Hébert, les salaires sont plus élevés, et les recrues coûtent moins cher. Leur présence permet de conserver quelques stars plus coûteuses.»

Rester fidèle à son plan tout en sachant s'adapter

Les experts à qui nous avons parlé sont unanimes : Marc Bergevin a un plan à long terme, et les récents déboires de l'équipe (une série de défaites à haut pointage dans le dernier droit de la saison régulière) ne viendront pas l'ébranler.

«Il sera patient, dit Alain Gosselin. Il a hérité d'une équipe qui a fini dans le fond du classement. Il sait qu'il faut du temps.»

La décision de Marc Bergevin de ne pas bouger sur le marché des transactions, en avril, en témoigne.

Ce passage à vide qu'a connu l'équipe ces dernières semaines est par ailleurs normal lors de changements organisationnels majeurs, dit Louis Hébert.

«Lorsque les changements sont implantés, il y a un sursaut de performance. L'organisation reçoit un choc. Mais l'effet tend à se dissiper. Les vieilles habitudes refont surface.»

La tâche devient alors plus ardue, estime Louis Hébert. «L'important est de continuer de suivre son tableau de bord.»

Les résultats initiaux confirment que l'organisation est sur la bonne voie, même s'il est trop tôt pour parler de réussite, dit-il. Après l'acquisition de nouvelles compétences, le développement de nouvelles habiletés, le plan d'action doit maintenant évoluer en fonction des circonstances. «La vie n'est pas un long fleuve tranquille, dit Louis Hébert, le chemin le plus court entre les points A et B n'est pas toujours une ligne droite. Les entreprises connaissent des imprévus, de nouvelles interventions gouvernementales, elles font face à une nouvelle concurrence. Dans le cas des Canadiens, il y a les blessures, la force des adversaires, etc.»

On juge un leader à sa capacité d'adaptation. «Les entreprises les plus habiles à s'adapter aux changements sont celles qui réussissent à gagner», souligne Louis Hébert.

Les prochaines semaines seront déterminantes. Car, pour Marc Bergevin, cette saison n'est que le début d'une aventure qu'il souhaite, comme tout bon gestionnaire, longue et fructueuse.

169 M$

Les revenus des Canadiens de Montréal ont été de 169 millions de dollars lors de la saison 2011-2012 L'organisation montréalaise aurait fait des profits de 51,6 M$ lors de cette saison.

Source : Forbes

9 ans

Les Canadiens jouent à guichet fermé depuis 2004. Le Centre Bell est l'amphithéâtre de la Ligue nationale de hockey doté de la plus grande capacité, avec 21 273 sièges.

Source : Bruno Delorme, spécialiste du marketing sportif

Des séries payantes

+ 50 %

Le prix des billets pour les séries éliminatoires est majoré de 50 % par rapport à celui des billets en saison régulière. Comme les équipes ne versent pas de salaires à leurs joueurs pendant les séries, on comprend qu'un beau parcours fait toute la différence entre de petits et de grands profits.

Source : Bruno Delorme, spécialiste du marketing sportif

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