«Remplaçons l'impôt sur le revenu par une taxe progressive à la consommation» - Robert H. Frank, professeur à l'Université Cornell

Publié le 10/12/2011 à 00:00

«Remplaçons l'impôt sur le revenu par une taxe progressive à la consommation» - Robert H. Frank, professeur à l'Université Cornell

Publié le 10/12/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

Charles Darwin et sa sélection naturelle nous éclairent davantage sur le comportement du marché qu'Adam Smith et ses théories économiques, estime Robert H. Frank, professeur à l'Université Cornell. La main invisible ne vise pas toujours l'atteinte du bien commun, souligne l'auteur de The Darwin Economy: Liberty, Competition, and The Common Good.

DIANE BÉRARD - Vous affirmez que Darwin, et non Smith, est le «père» de l'économie. Pourquoi ?

Robert H. Frank - Darwin a mieux saisi l'essence de la concurrence que Smith. Il a compris que les intérêts d'un individu et ceux du groupe auquel il appartient divergent souvent. Prenons l'exemple des bois des élans. Plus ceux-ci sont imposants, mieux un mâle se défend et plus il attire de femelles pour assurer sa descendance. Mais si tous les élans développent des bois surdimensionnés, le troupeau devient moins agile et tous éprouvent de la difficulté à fuir les loups. Un avantage individuel se transforme en un handicap collectif. Or, il est dans le cours normal de l'évolution que si un élan développe des bois plus imposants, les autres membres de la horde le feront aussi. Il en va de même dans l'économie : vous baissez vos prix, vos concurrents aussi. Vous innovez, vos concurrents aussi. Où est le gain ? La fameuse main invisible d'Adam Smith qui régule tout ne fonctionne pas toujours. Smith affirmait que le marché déraille lorsqu'il n'y a pas assez de concurrence. Darwin estime plutôt qu'il dérape lorsque celle-ci est excessive.

D.B. - En quoi la loi obligeant le port du casque de hockey illustre-t-elle une vision «darwinienne» de l'économie, comme vous l'avancez ?

R.H.F. - Tous les joueurs de hockey préfèrent patiner sans casque ; leur vision périphérique est meilleure et ils se déplacent plus rapidement. Pourtant, ils votent en bloc en faveur d'une loi qui commande le port du casque. Pourquoi ? Parce qu'ils savent que les autres joueurs aussi patineront sans casque, donc personne n'aura un avantage. Aussi bien exiger la sécurité et légiférer. Contrairement à la vision de Smith, l'économie darwinienne tient compte du contexte. Elle traduit le fait qu'un avantage est toujours relatif, jamais absolu.

D.B. - La concurrence atteint-elle toujours le stade des rendements décroissants ?

R.H.F. - Non, mais elle entraîne beaucoup de gaspillage. Parlons de la publicité, par exemple. Pensez à la prolifération de panneaux publicitaires en bordure des autoroutes. C'est très peu efficace. Pourtant, voilà un secteur où on trouve beaucoup de concurrence.

D.B. - Prenons un problème comme le déficit. Comment s'y attaque-t-on dans une économie «smithienne» et dans une économie «darwinienne» ?

R.H.F. - En suivant la logique de Smith, on augmente les impôts pour générer des revenus additionnels, tout simplement. Et on se dit que la main invisible veillera à ce que cet argent supplémentaire soit employé à bon escient. Les principes darwiniens nous poussent plutôt à tenir compte du contexte. Qu'est-ce qui a créé ce déficit ? Le gaspillage. Depuis 30 ans, nous observons une cascade de consommation. Les riches achètent des maisons de plus en plus grosses, organisent des fêtes de plus en plus décadentes, etc. Cela crée de l'envie chez la classe moyenne, qui les imite. Et ainsi de suite jusqu'au bas de l'échelle. Pour financer le déficit, nous n'avons pas besoin d'injecter plus d'argent dans le système. Il s'y trouve déjà. Il faut récupérer cet argent en décourageant les activités qui entraînent du gaspillage.

D.B. - Vous proposez de régler nos problèmes budgétaires en éliminant l'impôt sur le revenu pour le remplacer par une taxe progressive à la consommation...

R.H.F. - Je le répète : nous n'avons pas besoin d'argent neuf, il faut réduire le gaspillage qui crée de l'endettement. Donc, taxer les comportements négatifs et encourager les comportements positifs. À la fin de l'année fiscale, chaque citoyen communique au gouvernement ses niveaux de revenu et d'épargne annuels. La différence entre les deux représente ses dépenses, voilà ce que vous taxez. Vous offrez une déduction de base, disons des dépenses de 30 000 $ pour une famille de quatre. Au-delà de ce seuil, vous taxez la consommation de façon progressive. Plus un citoyen dépense, plus il paie de taxes. Et [pour les biens les plus luxueux], le taux marginal pourra même dépasser 100 %.

D.B. - Comment ferez-vous accepter au 1 %, les plus riches, une taxe progressive à la consommation ?

R.H.F. - Avec l'aide de Darwin ! [rires] Pensez aux bois des élans. Si je ramène les bois de tous les élans à une taille plus raisonnable, ils continueront de se faire concurrence à armes égales. Et, collectivement, la horde sera moins vulnérable face aux prédateurs. N'oubliez jamais que la concurrence est une question de contexte. Si tous les riches paient la même taxe à la consommation, ils se retrouvent dans la même situation qu'avant les uns face aux autres. Et, collectivement, nous ne pouvons qu'y gagner. Si les riches consomment moins, nous réduisons le gaspillage. Et s'ils maintiennent leur niveau de dépenses, au moins le gouvernement s'enrichit grâce à leurs excès.

D.B. - Où trouverez-vous un politicien pour mettre en oeuvre une telle mesure ?

R.H.F. - Dans n'importe quel État au bord du gouffre ! Je discute actuellement avec certains sénateurs de l'Ouest des États-Unis.

D.B. - On vous associe souvent à la gauche. Pourtant, vos discours dénoncent aussi bien l'aveuglement de la droite que celui de la gauche...

R.H.F. - La gauche croit que les marchés sont automatiquement inefficaces. La droite estime qu'ils sont toujours efficaces. Et aucun clan ne se tait pour écouter le bon sens. Les marchés sont doués pour répondre aux désirs des individus. Lorsque ceux-ci coïncident avec ceux du groupe, c'est parfait. Mais le problème surgit lorsqu'il y a divergence. Dans ce cas-là, il faut guider la main invisible.

D.B. - La droite et la gauche ne s'entendent pas sur le rôle du gouvernement. Quel est-il dans une économie «darwinienne» ?

R.H.F. - Le gouvernement dispense des services qu'il serait inefficace de faire effectuer par le secteur privé. Il doit aussi empêcher les citoyens de se nuire entre eux.

D.B. - Joue-t-il son rôle de façon optimale ?

R.H.F. - Non. L'influence de l'argent sur la politique l'en empêche. Et aux États-Unis, il faut blâmer la Cour Suprême, qui refuse de légiférer pour limiter les contributions aux partis politiques.

D.B. - Si nous suivons votre logique, vous devez estimer que l'Europe fait fausse route avec ses programmes d'austérité ?

R.H.F. - En effet. Les consommateurs ne dépensent pas. Les entreprises n'ont aucune raison d'investir, elles ont déjà trop de stocks. Seul l'État a le pouvoir de mettre fin à cette crise. Lorsque les entreprises voient des occasions d'affaires, elles s'endettent pour investir. Mettre fin à la crise et amorcer la relance doit être vu comme l'ultime occasion d'affaires. L'État doit jouer son rôle aussi longtemps que nécessaire.

«Charles Darwin a mieux saisi l'essence de la concurrence qu'Adam Smith. Il a compris que les intérêts d'un individu et ceux du groupe auquel il appartient divergent souvent.»

LE CONTEXTE

À l'heure où l'endettement et les déficits de nombreux pays causent une inquiétude croissante, l'économiste Robert H. Frank, 66 ans, propose une nouvelle solution. De plus, contrairement à certains observateurs, il estime que la sortie de la crise pourrait se révéler moins pénible qu'on ne le pense.

SAVIEZ-VOUS QUE

Au cours de ses études en mathématiques à Georgia Tech, Robert H. Frank fut rédacteur en chef du magazine d'humour The Rambler.

DIANE.BERARD@TRANSCONTINENTAL.CA

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