"Nous ne contrôlons pas notre chaîne de valeur, mais nous subissons ses défaillances"

Publié le 27/11/2010 à 00:00

"Nous ne contrôlons pas notre chaîne de valeur, mais nous subissons ses défaillances"

Publié le 27/11/2010 à 00:00

Par Diane Bérard

Lorsque Patrice Pelletier a subitement quitté son poste à la tête de l'Administration portuaire de Montréal, au printemps 2009, il a fallu lui trouver un remplaçant au pied levé. Sylvie Vachon, vice-présidente, administration et ressources humaines, a été nommée pdg par intérim, puis confirmée dans ses fonctions quatre mois plus tard. Celle qui compte 19 ans d'expérience au port a été choisie pour ses "talents de négociatrice et sa capacité à induire le changement". Elle devra piloter l'expansion du port tout en gérant le risque quotidien associé au transport des marchandises. La femme que nous avons rencontrée semble à la fois en pleine maîtrise de la situation et lucide face à ce qu'elle ne contrôle pas.

Diane Bérard - Le port de Montréal doit-il une fière chandelle à la Chine ?

Sylvie Vachon - Oui, le boom asiatique est pour beaucoup dans l'accroissement et la diversification de notre volume d'activités. En 2000, 72 % de celui-ci provenait de l'Europe du Nord. Ce pourcentage est aujourd'hui de 51 %, dont 16 % en provenance de l'Asie et du Moyen-Orient. Notre nouveau trafic vient plus de l'Asie du Sud-Est que de la Chine.

D.B. - Le commerce par navire compte désormais pour 70 % du commerce mondial. Pourquoi cette explosion ?

S.V. - C'est l'oeuf et la poule... Le commerce en général augmente, en grande partie à cause des pays émergents, et cette augmentation a mené à la construction de bateaux plus grands, les super-panamax, qui transportent jusqu'à 12 000 conteneurs à la fois. Cela rend le commerce par navire plus attrayant.

D.B. - Qu'est-ce qu'un port de transbordement, et en quoi est-ce utile au port de Montréal ?

S.V. - Ce sont des lieux de transit où l'on transfère une partie de la cargaison venant, par exemple, d'Asie sur des super-panamax, dans des bateaux plus petits qui se rendront jusqu'à Montréal. Valence, en Espagne, est un de ces ports de transbordements. Un bateau peut donc quitter l'Asie, avec à son bord, à la fois de la marchandise pour l'Europe, qu'il laisse en chemin, et pour l'Amérique du Nord. Freeport, dans les Antilles, est aussi un port de transbordement. Pour l'instant, la croissance de l'activité à Montréal vient surtout du trafic sur le canal de Suez, mais on constate une augmentation de l'activité en provenance du canal de Panama, par Freeport.

D.B. - La ville de Québec s'est montrée agressive pour attirer les gros bateaux de croisière. Montréal a-t-elle perdu cette bataille ?

S.V. - Nous n'avons certainement pas baissé les bras ! Mais je ne vous cacherai pas que le défi est important. Le 22 septembre, nous avons accueilli notre plus gros bateau de croisière, l'Aida Luna, en provenance de New York. Il est revenu pour une deuxième escale du 13 au 15 octobre. Il a fallu deux ans de travail pour trouver comment faire naviguer ce navire de 2 100 passagers après Québec. Nous avons profité d'une marée basse pour y arriver. Toutefois, le problème n'est pas le niveau de l'eau, car nous pouvons y travailler, mais plutôt les ponts sous lesquels certains bateaux n'arrivent pas à passer.

D.B. - Le port de Montréal a intérêt à accueillir les plus gros bateaux possibles. Draguer vous simplifierait-il la vie ?

S.V. - Non, pour plusieurs raisons. D'abord, le niveau de l'eau est géré par une commission internationale; on ne drague pas impunément. De toute façon, nos instruments de gestion de l'eau sont suffisamment sophistiqués pour nous permettre d'augmenter de façon optimale la quantité d'eau disponible. Et puis, les nouveaux navires sont plus longs, pas plus profonds.

D.B. - Le problème des bateaux de croisière n'est pas que technique...

S.V. - En effet, il s'agit aussi d'un dossier touristique. Cela n'est pas notre spécialité : nous gérons un port. Le tourisme est l'affaire de la ville, de l'aéroport, du gouvernement et des autorités portuaires. C'est pourquoi nous travaillons ensemble pour convaincre les lignes maritimes de s'arrêter à Montréal.

D.B. - New York, Norfolk, la Virginie... la concurrence est féroce. Comment vous différenciez-vous ?

S.V. - La bataille se joue sur deux fronts : le coût et le délai, et les deux sont reliés. Le délai est fonction d'accès au réseau ferroviaire et routier à partir du port. Il est moins long de livrer par route à Chicago à partir de Montréal (1,5 jour) qu'à partir de New York (2,5 jours) ou de Savannah (2,5 jours). Nous avons aussi l'avantage dans les liaisons avec l'Europe. Un bateau qui quitte Anvers met 8 jours pour atteindre Montréal, 9 jours, New York et 11 jours, Savannah.

D.B. - Quels sont les plus importants facteurs de risque pour un port ?

S.V. - Nous ne contrôlons pas notre chaîne de valeur, mais nous en subissons les défaillances. Nous sommes tributaires de l'ensemble des actions des partenaires - les sociétés de chemin de fer et de camionnage, les débardeurs, les compagnies de chargement, etc. -, sur lesquels nous avons une influence limitée. Notre situation ressemble à celle d'un centre commercial : nous louons des espaces, nous offrons des services, mais nous n'avons pas le contrôle de la route qui amène les clients chez nous.

D.B. - Comment maîtrisez-vous ces facteurs ?

S.V. - En collaborant le plus possible. Un employé du Canadien Pacific et un autre du Canadien National sont en permanence sur notre site, ce qui nous permet d'intervenir rapidement pour assurer la fluidité du transport de marchandises et éliminer les goulots d'étranglement.

diane.berard@transcontinental.ca

À la une

Les bénéfices de Gildan en baisse de près de 20% au 1T

L’entreprise est dans une querelle avec certains de ses principaux actionnaires pour savoir qui devrait diriger Gildan.

L’ancien patron de Gildan a obtenu 10M$US au cours des trois dernières années

Le CA de Gildan l’accuse d’avoir «considérablement réduit» son implication quotidienne dans la gestion de la société.

Gildan: le PDG, Vince Tyra, dévoile sa stratégie de croissance

Il a fait le point lundi pour les investisseurs trois mois après avoir pris les rênes de l'entreprise.