«Notre stratégie repose sur l'intuition informée» - Craig Mundie, stratège en chef chez Microsoft

Publié le 05/11/2011 à 00:00

«Notre stratégie repose sur l'intuition informée» - Craig Mundie, stratège en chef chez Microsoft

Publié le 05/11/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

Craig Mundie, 62 ans, oriente les choix technologiques de Microsoft. Il siège aussi au comité consultatif en science et technologie du président Obama, et se préoccupe des enjeux de sécurité et de guerre informatique entre États. Je l'ai rencontré à Montréal, où il était venu échanger avec les étudiants en génie de l'Université McGill.

DIANE BÉRARD - Vous êtes stratège en chef de la technologie chez Microsoft. Seul Bill Gates a tenu ce rôle avant vous. Comment prend-on son relais ?

CRAIG MUNDIE - J'ai d'abord travaillé de nombreuses années à ses côtés, ce qui m'a permis d'apprendre les rouages de l'entreprise. Mais ma façon de construire une stratégie est bien différente de la sienne. Bill, c'est un lecteur compulsif, il dévore tout ce qui lui tombe sous la main. C'est ainsi qu'il nourrit sa réflexion. Je suis plutôt un homme de conversation. Je préfère aller à la source et rencontrer l'auteur plutôt que de lire son livre ou son étude. Et, de préférence, avant qu'il l'ait écrit ! Ainsi, j'ai accès à de l'information privilégiée. Ma stratégie, je la construis en discutant avec des chercheurs, des dirigeants responsables des politiques industrielles et technologiques, des universitaires et des étudiants. J'aime bien explorer le cerveau des jeunes esprits. Chaque fois que je fais une présentation dans une université, je m'attarde pour bavarder.

D.B. - Que faut-il pour être un bon stratège ?

C.M. - La capacité de créer des liens entre plusieurs informations qui, en apparence, semblent sans rapport les unes avec les autres.

D.B. - Dans une autre vie, vous avez cofondé Alliant Computer Systems. Comment cette expérience influence-t-elle votre métier de stratège ?

C.M. - Si je suis devenu entrepreneur, cela signifie probablement que ma tolérance au risque est plus élevée que la moyenne. Or, en technologie, vous devez choisir aujourd'hui ce qui sera demandé dans cinq à quinze ans. Et faire suivre votre décision d'investissements. Si vous tolérez mal le risque, ce n'est pas un métier pour vous.

D.B. - Jusqu'à quel point les choix technologiques sont-ils des paris ?

C.M. - Élaborer une stratégie, c'est choisir. Nos décisions comportent toujours une part de risque. Avoir confiance en son intuition s'avère donc essentiel. Mais, l'intuition, ça se nourrit. La stratégie de Microsoft repose sur l'intuition «informée».

D.B. - Comment bâtit-on une stratégie ?

C.M. - Il existe plusieurs méthodes. À une extrémité du spectre se trouve la démarche analytique. Vous effectuez des études de marché, vous faites de la vigie, vous demandez à un des McKinsey de ce monde de vous accompagner. C'est une démarche guidée par les chiffres, les statistiques et l'information. À l'autre bout se trouve l'approche reposant sur un individu exceptionnel. Quelqu'un doté de vision, d'une grande curiosité, d'un talent pour décoder son environnement et d'un excellent esprit de synthèse. Microsoft, avec Bill Gates, s'inscrit dans cette dynamique.

D.B. - Certains disent que Microsoft a perdu son sex appeal...

C.M. - Notre technologie est excellente, notre stratégie aussi. Microsoft a lancé son téléphone intelligent avant l'iPhone. Nos failles furent plutôt sur le plan tactique ; nous avons fait des choix qui nous ont rendus vulnérables. Nous avons sous-estimé la concurrence. Nous n'avons pas consacré suffisamment de ressources au dossier du téléphone intelligent.

D.B. - Il semble que le marché des consommateurs, plutôt que celui des entreprises, dicte de plus en plus les tendances en technologie. Que pensez-vous de cette «consumérisation» de la techno ?

C.M. - C'est un mythe. On confond les consommateurs et les particuliers. Les particuliers ont toujours influencé la technologie et son niveau d'adoption, pas les entreprises. Aucun pdg n'a jamais téléphoné à Microsoft pour dire «amenez des PC dans mon entreprise». De tout temps, ce sont les individus qui ont fait pression sur leur milieu de travail pour avoir accès à la technologie. Aujourd'hui, ils poussent pour que cette technologie soit plus rapide, plus conviviale, plus interactive. Il y a quelques années, lorsque le vice-président, technologie disait «notre entreprise n'aime pas cette technologie, nous ne l'adopterons pas», les employés se soumettaient. Aujourd'hui, ils reviennent à la charge. S'ils estiment qu'une technologie enrichira leur travail, ils ne lâcheront pas.

D.B. - Microsoft sert à la fois le marché des particuliers et celui des entreprises. Est-ce un avantage ou un désavantage ?

C.M. - Les deux. Nous profitons des avantages de la diversification, mais servir deux marchés pose un défi. Le consommateur réclame du changement, les nouvelles versions ne sont jamais disponibles assez vite pour lui. Il exige aussi de la variété. L'entreprise, elle, veut le contraire. Elle désire le moins de mises à jour possible, pour éviter les frais associés à l'achat et la formation du personnel. Sans compter les enjeux de sécurité liés à la migration d'une version à l'autre. Microsoft doit naviguer entre ces pôles et trouver un juste équilibre.

D.B. - À quoi ressemble le service de R-D de Microsoft ?

C.M. - Il compte 40 000 employés et un budget de 9,5 milliards de dollars. C'est le plus grand laboratoire de recherche en informatique du monde. Mais ce qui nous distingue, c'est que nous effectuons de la R [recherche], alors que la majorité des entreprises se concentrent sur le D [développement]. Il y a 20 ans, nous avons pris la décision stratégique d'investir non seulement en recherche, mais en recherche fondamentale. Elle nous permet d'établir la base technologique pour les demandes de demain, que nous ne connaissons pas encore. Nos chercheurs se trouvent dans six laboratoires : trois aux États-Unis, un à Cambridge en Grande-Bretagne, un à Bangalore en Inde et un autre à Beijing. Nous avons aussi trois groupes de recherche appliquée répartis entre Israël, l'Égypte et l'Allemagne.

«Un bon stratège possède la capacité de créer des liens entre plusieurs informations qui, en apparence, semblent sans rapport les unes aux autres.»

LE CONTEXTE

Depuis plusieurs mois, Steve Ballmer, le flamboyant pdg de Microsoft, répète que son entreprise est en train de se réinventer. Craig Mundie, stratège en chef de l'organisation, est une pièce maîtresse de cette réinvention.

SAVIEZ-VOUS QUE...

À Davos, en 2010, Craig Mundie a évoqué la création d'un «permis d'utilisation» pour les internautes. Celui-ci, comme le permis de conduire, démontre que l'internaute connaît les règles, qu'il sait naviguer et qu'il est assuré (protégé contre les virus).

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