Les limiers de Veritas Research à la recherche de signaux d'alerte

Publié le 08/12/2012 à 00:00, mis à jour le 06/12/2012 à 16:39

Les limiers de Veritas Research à la recherche de signaux d'alerte

Publié le 08/12/2012 à 00:00, mis à jour le 06/12/2012 à 16:39

Le monde du placement est une jungle, et même les grands investisseurs ont besoin d'un bon éclaireur. Veritas Investment Research, de Toronto, s'est donné pour mission de détecter des risques que d'autres investisseurs ne soupçonnent pas. Douze ans après avoir été la première à mettre en doute la qualité des revenus et des bénéfices de Nortel Networks, Veritas continue de passer au crible les états financiers de près de 80 sociétés canadiennes. L'un de ses fondateurs dévoile son approche et le plus récent verdict de ses analystes concernant Bombardier, SNC-Lavalin, Groupe Jean Coutu et Valeant.

Juillet 2000. Nortel touche des sommets historiques (de 840 $ US ajustés pour les fractionnements) jour après jour, et tous les investisseurs sont amoureux de la coqueluche technologique ontarienne, qui comptait pour 18 % de la valeur de la Bourse de Toronto. Tout le monde, sauf Veritas Investment Research.

Nortel a été un véritable tremplin pour la firme, qui est la propriété de ses 21 employés. «Nous étions à contre-courant en 2000», dit en entrevue Anthony Scilipoti, vice-président exécutif et l'un des fondateurs de Veritas.

La déconfiture de Nortel a clairement démontré le besoin d'une recherche indépendante dénuée de tout conflit d'intérêts, se rappelle M. Scilipoti.

Aujourd'hui encore, les deux tiers des recommandations des firmes de courtage canadiennes sont des achats, et à peine 4 % sont des recommandations de vente.

Les analystes des courtiers traditionnels utilisent toutes sortes de formules (performance similaire au marché ou à son secteur) pour éviter de recommander la vente d'un titre, leur employeur conseillant souvent les sociétés à propos de leurs financements ou de leurs acquisitions.

«Veritas a une bonne réputation pour ses analyses comptables diligentes. Elle n'est pas biaisée puisqu'elle n'offre pas de services de financement aux entreprises», indique Christian Godin, gestionnaire de portefeuille chez Montrusco Bolton.

Chez Veritas, il n'y a que des recommandations d'achat ou de vente, la plupart du temps également partagées. Les recommandations reflètent si un titre en Bourse intègre ou non tous les facteurs de risque. Ces derniers influencent à leur tour la valeur actuelle des futurs flux de trésorerie d'une entreprise sur lesquels repose la valeur «intrinsèque» que Veritas attribue à chaque société.

Veritas n'émet pas de cours cible. «Nous préférons dire à nos clients : voici les risques à surveiller si vous envisagez de détenir tel ou tel titre. Ça peut prendre des années avant qu'ils n'émergent et n'affectent le titre», explique M. Scilipoti.

Un appétit pour les opinions divergentes

«Les investisseurs aiment les bonnes histoires, et c'est ce que les courtiers traditionnels leur fournissent. Nos jugements reposent davantage sur une analyse froide des chiffres et des faits, dans un processus rigoureux qui s'apparente à celui d'un juricomptable. C'est ce qui nous distingue», explique M. Scilipoti.

Veritas est à son meilleur lorsque ses analystes décortiquent les états financiers, dit Claude Boulos, de Gestion de portefeuille Selexia. «On aime consulter des opinions divergentes.»

Moins une entreprise est transparente, plus Veritas cherche des signaux d'alerte, puisque la «gouvernance est le seul filtre entre ce qui se passe à l'interne et ce que la société divulgue», dit-il.

Les 18 analystes de Veritas cherchent des incohérences entre ce que disent les dirigeants et les faits.

«Plus nous trouvons de drapeaux rouges, plus les risques d'un titre augmentent. Quand nous recevons à l'occasion des lettres de mise en demeure, nous savons que nous avons mis le doigt sur le bobo», illustre M. Scilipoti, sans en dire davantage.

Le test du rendement

Comment durer et être rentable lorsque les courtiers traditionnels ont parfois du mal à rentabiliser leur service de recherche à l'aide des commissions de transactions que celui-ci génère, les émissions d'actions et de dettes, ainsi que les mandats-conseils ?

«Nous durons parce que nos analyses rapportent à nos clients. Nous mesurons le rendement de nos recommandations», répond M. Scilipoti.

Cela dit, Veritas n'offre pas sa recherche aux vendeurs à découvert, qui profitent de la baisse d'un titre en vendant des actions empruntées, dans l'espoir qu'elles baissent, pour récolter un gain.

«Nous ne sommes pas non plus un Muddy Waters qui vend des titres à découvert, avant de dévoiler les malversations qu'il a découvertes», se défend-il. Cette firme a mis au jour la fraude du propriétaire de forêts en Chine, Sino-Forest.

Veritas vend sa recherche à une cinquantaine de clients, surtout aux gestionnaires de caisses de retraite et de fonds communs de placement. Le Bureau du surintendant des institutions financières et le Conseil canadien sur la reddition de comptes, le vérificateur des vérificateurs, consultent aussi ses rapports.

Veritas reçoit également une part des commissions que sa recherche génère chez les courtiers indépendants, à la discrétion de ses clients.

Veritas transmet aussi sa recherche aux courtiers des divisions de gestion de patrimoine de RBC Dominion valeurs mobilières et de la Financière Banque Nationale.

«Il y a longtemps que nous croyons que le titre de Nortel est surévalué. La société a été remarquablement habile à détourner l'attention des investisseurs de ses pertes d'exploitation et de ses flux de trésorerie négatifs.»

- Extrait d'un rapport de juin 2001 sur Nortel rédigé par Anthony Scilipoti

LES BONS COUPS

DE TIMMINCO À YELLOW MEDIA, EN PASSANT PAR LES BANQUES

La feuille de route de Veritas compte plusieurs bons coups. L'analyste Neeraj Monga a été l'un des premiers à mettre en doute les promesses de croissance de l'éditeur d'annuaires Yellow Media (Tor., YLO, 0,065 $), dès 2006, et à recommander la vente du titre, qui a fondu de 17 $, en 2006, à 0,07 $ à la suite d'une restructuration récente avec ses créanciers.

M. Scilipoti s'explique mal comment Marc Tellier, son président, peut encore être à la tête de l'entreprise après avoir tant embelli ses perspectives. «Groupe Pages Jaunes, à l'époque, donnait peu d'informations sur les sources de croissance dont elle se targuait. Nos analystes ont donc épluché trois ans d'annuaires dans neuf villes canadiennes pour compter le nombre d'annonces», dit M. Scilipoti. Le bilan a révélé un déclin du nombre d'annonces, dans toutes les catégories. Certains annonceurs diminuaient aussi la taille de leur annonce. «C'était un signal d'alerte pour nous qui indiquait que la croissance des annuaires n'était pas aussi solide que ne l'affirmait la société», dit-il.

L'été 2007 a aussi constitué un autre tournant. En juin, l'analyste Ohad Lederer a recommandé la vente du titre de la Banque CIBC (Tor., CM, 80,34 $), qui valait alors 100 $. Un renflouement inhabituel de son capital, comme mesure de précaution concernant des placements, indiquait que la Banque percevait la probabilité de défaillance des parties prenantes à ses contrats de défaillance de crédit.

En août de la même année, un rapport de M. Lederer dévoilait que cinq fonds monétaires de la Banque Nationale avaient investi 17 % et 46 % de leurs actifs respectifs dans le papier commercial adossé à des créances, qui a plus tard été paralysé.

UN MOINS BON COUP

COGECO

Après les radiations qui ont suivi l'échec de l'acquisition portugaise de Cabovisao, l'analyste Neeraj Monga croyait que Cogeco Câble (Tor., CCA, 37,10 $) se replierait sur ses forces canadiennes et redistribuerait plus de ses flux de trésorerie aux actionnaires.

Or, l'entreprise de Louis Audet a entrepris une nouvelle aventure américaine avec l'achat du câblodistributeur Atlantic Broadband pour 1,36 G $. «Le niveau de risque augmente de nouveau», indique M. Monga.

LES RECOMMANDATIONS DE VERITAS RESEARCH

Bombardier (Tor., BBD.B, 3,33 $)

> vendre

Valeur intrinsèque : 3,00 $

Anthony Scilipoti a plusieurs soucis à l'égard de Bombardier. Les marges aéronautiques auraient été inférieures à 4 %, au troisième trimestre, sans les changements concernant la valeur résiduelle des appareils et les hypothèses de la société entourant ses garanties de crédit. Bombardier Transport ne se révèle pas le coussin financier souhaité pour Bombardier Aéronautique non plus. Depuis neuf mois, ses flux de trésorerie sont déficitaires de 298 M $. L'annonce d'une restructuration chez Bombardier Transport, malgré un carnet de commandes de quatre ans, suggère que d'autres contrats problématiques pourraient émerger. L'accès que la société dit avoir à des crédits de 3,5 G $ ne donne pas l'heure juste, puisque Bombardier n'a pas réellement accès à de telles sommes en raison des contraintes de ses clauses de financement qu'elle ne divulgue pas. Enfin, M. Scilipoti ne voit pas d'un bon oeil que la société ait modifié à son avantage, à la fin de 2011, le calcul de ses bénéfices avant intérêts, impôts et amortissement ajustés et la dette ajustée.

SNC-Lavalin (Tor., SNC, 39,85 $)

> vendre

Veritas a été la première à sonner l'alerte à propos des pratiques comptables de la firme d'ingénierie-construction en 2008 concernant la comptabilisation de ses revenus et de son carnet de commandes. En avril, M. Scilipoti et deux de ses analystes ont publié un rapport cinglant sur les violations des contrôles internes et sur les carences de gouvernance mises au jour dans l'examen du comité de vérification du conseil de SNC-Lavalin. Le rapport, intitulé «Les squelettes dans le placard», concluait que les problèmes de SNC-Lavalin étaient loin d'être réglés. L'annonce récente que les autorités suisses cherchent désormais la trace de 139 M $ et les perquisitions au Centre universitaire de santé McGill, appuient ce que Veritas craignait : les malversations ont une plus grande ampleur que la société ne veut le reconnaître et font partie de sa culture. À mesure qu'il grandira, le scandale aura aussi un impact sur les affaires de l'entreprise, prévoit M. Scilipoti. «Cinq des huit hauts dirigeants ayant eu connaissance des paiements suspects sont aussi encore à l'emploi de SNC-Lavalin», déplore-t-il.

Valeant Pharmaceuticals (Tor., VRX, 54,57 $)

> vendre

L'acquéreur en série Valeant Pharmaceuticals n'a pas gagné la confiance de l'analyste Dimitry Khmelnitsky, malgré les explications qu'elle fournit à ses questions. Sa comptabilité est si complexe et changeante et sa structure fiscale si opaque que l'analyste n'est pas en mesure de calculer une valeur intrinsèque fiable pour la société. Valeant change souvent la présentation d'éléments clés de sa performance, comme la croissance de ses revenus, sans l'effet des acquisitions. Valeant inclut aussi des postes qui gonflent ses flux de trésorerie, mais exclut certains coûts qui y sont associés. La société profite d'une structure fiscale avantageuse qui n'est peut-être pas durable. Des filiales à la Barbade, en Suisse et en Irlande, ainsi que des pertes fiscales reportées, font en sorte que Valeant paie un impôt de 5 %, par rapport à 20 % pour les entreprises équivalentes.

Jean Coutu (Tor., PJC.A, 14,37 $)

> Acheter

Valeur intrinsèque : 16,00 $ (exclut la valeur de 19,7 % de Rite-Aid)

Comme le démontre l'achat du fabricant de produits génériques Pro-Doc en 2007, l'intégration verticale de Groupe Jean Coutu est rentable. «Jean Coutu capture ainsi la marge d'exploitation de 40 % du fabricant, qui s'ajoute à celle de 6,25 % qu'elle dégage sur ses fonctions de distributeur», écrit l'analyste Kathleen Wong, dans un rapport.

Cela compense la baisse imposée sur les prix des médicaments par les gouvernements. La croissance soutenue de l'usage des médicaments génériques et l'échéance des brevets des médicaments d'origine devraient profiter aux marges de Pro-Doc de façon durable. Les pratiques comptables et de gouvernance de l'entreprise passent également le test, ajoute M. Scilipoti.

Répartition actuelle des recommandations chez Veritas

36 acheter (45 %)

44 vendre (55 %)

0 conserver

Source : Veritas

Répartition actuelle des 5 916 recommandations chez les courtiers canadiens

3 703 acheter (63 %)

1 953 conserver (33 %)

260 vendre (4,4 %)

Source : Starmine (Thomson)

Valeur ajoutée par rapport au S&P/TSX

Du 25 mars 1999 au 31 octobre 2012

Les recommandations d'achat ont ajouté 7,7 % au rendement annuel composé.

Les recommandations de vente ont sous-performé le S&P/TSX de 5,5 % par an.

Source : Veritas

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