«Les compétences des gamers sont transférables dans le monde réel» - Jane McGonigal, designer de jeux vidéo

Publié le 21/07/2012 à 00:00

«Les compétences des gamers sont transférables dans le monde réel» - Jane McGonigal, designer de jeux vidéo

Publié le 21/07/2012 à 00:00

Par Diane Bérard

Un designer de jeux vidéo lauréat du prix Nobel de la paix en 2023 ? Jane McGonigal, à qui l'on doit les jeux World Without Oil et SuperBetter, en rêve. La designer de 34 ans estime que le monde virtuel peut servir à améliorer le réel. Elle entrevoit un nouveau cycle pour le jeu vidéo. J'en ai discuté avec elle à New York, au World Innovation Forum, en juin dernier.

DIANE BÉRARD - Un milliard de personnes s'adonnent désormais aux jeux vidéo. Quel genre d'employés sont-ils ?

Jane McGoniGal - Les gamers travaillent comme ils jouent. Ils veulent savoir de quelle façon ils progressent vers leurs objectifs et s'attendent à une rétroaction quotidienne. Mais d'abord, ils désirent comprendre le but des missions qu'on leur confie. Et, surtout, ils aspirent à ce que ce but ait un sens plus grand que la rentabilité de l'entreprise. Et puis, les adeptes de jeux vidéo ne se concentrent que sur leurs forces. Ils sont obsédés par le fait de les améliorer. Ne leur parlez pas de leurs faiblesses, elles leur sont complètement inutiles.

D.B. - Toutes ces heures passées à jouer, est-ce pour évacuer le trop-plein de créativité inutilisée au travail ?

J.M. - Peut-être... Près de 71 % des employés ne sont présents que physiquement, selon un récent sondage Gallup. Ils sont là, mais se fichent de ce qui se passe ou pas.

D.B. - Vous affirmez qu'il faut injecter l'esprit du jeu au monde du travail. Mais n'est-ce pas ce que les employeurs reprochent à la génération Y, son côté trop ludique ?

J.M. - Il est temps que les employeurs réalisent le déficit d'engagement auquel ils font face de la part de leurs employés. Le monde virtuel a beaucoup à leur enseigner. Chaque employeur doit trouver comment susciter chez ses employés gamers la même passion face à leur travail qu'ils manifestent face à leur jeu. Toutes les qualités et les compétences que nous employons lorsque nous jouons sont transférables dans le monde réel... pour peu qu'on y fasse appel.

D.B. - Pourquoi proposez-vous d'utiliser le monde virtuel pour régler les grands problèmes de notre société ?

J.M. - Vous l'avez dit vous-même : la planète compte un milliard de gamers. Aucune communauté n'est aussi importante, il s'agit d'une occasion d'affaires sans précédent. Vous ne trouverez aucune façon de rejoindre autant de gens à la fois que dans l'univers des gamers.

D.B. - À quoi pourrait ressembler la contribution des joueurs à la résolution de problème ?

J.M. - Nous pouvons nous inspirer du principe «jouez-y avant de le vivre». C'est l'esprit derrière le jeu World Without Oil auquel j'ai collaboré en 2007. Pendant six semaines, 1 800 joueurs ont imaginé leur vie et celle de la planète au cours des 32 premières semaines d'une crise pétrolière mondiale. Plus de 1 500 documents ont été déposés sur le site. Nous les avons regroupés en un alphabet sous des rubriques telles que «l'architecture sans pétrole», «l'immigration sans pétrole», etc. Un an plus tard, le prix du baril a atteint un plafond de 145 $ le baril. Et tout ce que les joueurs avaient prévu, la pression sur les transports en commun par exemple, s'est produit. La créativité dont font preuve les joueurs en ligne peut être mise au service de la société.

D.B. - Mais les joueurs - et les designers de jeux - ont-ils envie de délaisser Call of Duty pour régler les défis de l'humanité ?

J.M. - Il n'est pas question de choisir entre le jeu vidéo qui fait plaisir et celui qui fait le bien. Les deux peuvent cohabiter. La première génération de joueurs a grandi, elle veut toujours jouer, mais elle aspire aussi à autre chose.

D.B. - Vous voulez maintenant nous faire jouer pour vaincre la maladie...

J.M. - La maladie, c'est la perte de contrôle et, avec elle, la perte de l'espoir. À l'inverse, lorsque vous jouez, que vous terrassez un ennemi, vous avez le contrôle. Si je vous permets de détruire vos cellules cancéreuses à l'écran, je vous redonne le contrôle. C'est le but du jeu Re-Mission, destiné aux adolescents et aux jeunes adultes atteints de cancer. Le joueur contrôle un nanorobot injecté dans le corps humain. Ce robot emploie différentes armes pour lutter contre le cancer. Le joueur doit aussi surveiller la santé du patient. Le jeu est conçu pour induire des comportements et des attitudes chez le joueur afin que son vrai traitement soit plus efficace. Le taux d'adhésion de la chimiothérapie serait plus élevé chez les patients qui jouent à Re-Mission. Le traitement virtuel influence le traitement réel.

D.B. - Le jeu pourrait même sauver les économies en crise ?

J.M. - En juin, Valve Software (créateur des jeux Team Fortress et Half-Life) a recruté un économiste pour se pencher sur le fonctionnement des univers économiques virtuels de ses jeux. Le but : voir s'il est possible de créer une monnaie unique avec laquelle négocieront tous les joueurs de tous les jeux de Valve. Le monde virtuel rejoint le monde réel et peut nous aider à le comprendre. Le défi posé par une monnaie unique pour toute la communauté de joueurs de Valve peut servir de laboratoire pour comprendre le défi de l'euro. Valve a d'ailleurs recruté un économiste européen, le Grec Yanis Varoufakis. Au cours des prochains mois, il modulera les règles et les paramètres de l'économie de Valve pour voir comment les joueurs réagiront. Il est impossible de transformer une économie en laboratoire. Dans le monde virtuel, c'est possible.

D.B.- On reproche aux jeux vidéos la violence qu'ils peuvent faire naître chez les joueurs. Vous croyez plutôt que les gamers peuvent devenir des citoyens exemplaires. Comment ?

J.M.G.- Prenez l'exemple du jeu Farmville où vous devenez le propriétaire d'une ferme virtuelle. Il faut labourer, semer, arroser, récolter, etc. Et ce 24 heures sur 24. Mais comme vous n'êtes pas toujours présent, vous pouvez déléguer l'entretien de votre ferme à un ami. On a observé que la communauté Farmville est plus encline à contribuer à des jardins et des fermes communautaires. La réalité peut rejoindre la fiction.

«Le jeu Re-Mission est destiné aux adolescents et aux jeunes adultes atteints de cancer. Le taux d'adhésion à la chimiothérapie serait plus élevé chez les patients qui y jouent. Le traitement virtuel influence le traitement réel.»

LE CONTEXTE

Depuis le printemps, le monde compte un milliard de joueurs de jeux vidéo. Les joueurs de la première génération entrent dans la trentaine, comme la designer Jane McGonigal. Ils jouent toujours, mais s'interrogent aussi sur la société qui les entoure : les enjeux planétaires infiltrent leur univers virtuel. Et s'ils se donnaient pour mission de les résoudre ?

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