Les caméléons, les aigles et les bergers

Publié le 01/05/2009 à 00:00

Les caméléons, les aigles et les bergers

Publié le 01/05/2009 à 00:00

Les acteurs de l'immobilier ont chacun leur manière de traverser la crise. Les premiers s'adaptent. Les deuxièmes foncent sur les proies affaiblies. Les troisièmes veillent sur leur parc immobilier et attendent.

La sortie 28 de l'autoroute 15 Nord, à Mirabel, est fermée. Elle doit mener à Lac-Mirabel, un complexe commercial et récréotouristique développé au coût de 450 millions de dollars dont l'ouverture était prévue pour l'automne 2009. Déjà, 90 millions de dollars ont été investis pour l'achat d'un terrain de 14 millions de pieds carrés, le déboisement, le réaménagement de zones humides et le déplacement d'une ligne d'Hydro-Québec. Mais, l'automne dernier, le promoteur du projet, la firme américaine Gordon Group, a perdu son financement auprès de la banque d'affaires Morgan Stanley. Depuis, il se bat comme un diable dans l'eau bénite pour trouver de nouveaux investisseurs. Et il n'y a pas que lui ! À Mirabel aussi on se démène, d'autant plus qu'on estime que ce projet doit créer quelque 3 000 emplois et entraîner des retombées économiques d'un milliard de dollars. "Nous posons des gestes presque tous les jours pour restructurer le financement", témoigne Jean-Luc Riopel, directeur général du CLD de Mirabel.

Coup de théâtre à la fin de mars ! Le financement aurait, à toutes fins pratiques, été trouvé, et Lac-Mirabel, bien que modifié, devrait voir le jour en 2011. "Nous n'avons jamais lâché parce que nous croyons qu'il y aura une reprise", explique Jean-René Marcoux, qui représente Gordon Group au Québec.

Des sagas comme celle de Lac-Mirabel, il y en a d'autres. Promoteurs, gestionnaires, investisseurs et prêteurs hypothécaires, tous ont leur façon de traverser la crise. Certains se font prudents et gèrent patiemment leur portefeuille en conservant leurs liquidités. D'autres passent carrément en mode acquisition. Et il y a les caméléons, qui s'adaptent à leur nouvel environnement.

Les caméléons

À l'instar de Gordon Group, Devimco n'a pas attendu le retour du beau temps. On connaît ce promoteur pour sa réalisation du Quartier Dix30, à Brossard, le plus important centre "style de vie" du Canada. Devimco s'attaque maintenant aux phases trois et quatre du projet. Et comme les premières phases ont été une réussite, trouver du financement s'est avéré plutôt facile. Il est également l'instigateur de l'ambitieux projet Griffintown, à Montréal, dont le coût est passé de 1,3 milliard de dollars à 400 millions de dollars. Cette fois, par con-tre, Devimco a été rattrapé par la crise des liquidités. En février dernier, il réduit la taille du projet des deux tiers. Nouvelle taille, nouvelle vocation. La phase un sera désormais résidentielle à 90 %. Tant pis - pour le moment - pour l'aspect commercial, prévu rue Peel, avec des détaillants haut de gamme. Une défaite ? Non, assure André Bouthillier, porte-parole de Devimco : "Nous avons modifié le projet parce qu'il sera plus facile de trouver du financement sur le plan résidentiel. La seule façon de traverser cette crise, c'est de contre-attaquer avec une stratégie qui nous permette de continuer d'avancer."

Une opinion que partage Solim, le bras immobilier du Fonds de solidarité FTQ. Solim opte maintenant pour une stratégie de développement mixte, qui consiste à construire ou à repositionner un actif pour lui donner plus d'une vocation. À cet égard, un de ses projets, développé en partenariat avec SIDEV et qui verra prochainement le jour au coin des rues Sainte-Catherine et De Bleury, en est un bon exemple. "Le marché absorbe plus facilement un produit mixte, dit Guy Gionet, le PDG de Solim. C'est une stratégie qui fonctionne bien quand le marché ralentit." Marché ralenti, mais pas nécessairement tranquille pour un investisseur immobilier. "En ce moment, nous sommes très sollicités, ajoute Guy Gionet. Pour obtenir du financement de nos jours, il faut mettre plus d'équité. Et un partenaire institutionnel comme nous sécurise les créanciers."

Les aigles

Chez BUSAC Immobilier, connue pour l'Îlot Voyageur controversé au centre-ville de Montréal, réagir à la crise équivaut à passer en mode acquisition. Est-ce bien raisonnable ? Absolument, croit Paul Hurtubise, premier vice-président, Financement commercial et immobilier, à la Banque Laurentienne. C'est vrai pour un prêteur, parce que bien des acteurs, comme les conduit lenders - les GE Capital et autres GMAC -, ont presque disparu du paysage. "Quand il y a moins de prêteurs, les risques que vous prenez sont moins grands, car vous pouvez sélectionner davantage, et vous prêtez avec moins d'effet de levier." Et c'est vrai pour les acheteurs, estime le banquier, car les taux d'intérêt sont encore historiquement bas. "Il y a de belles occasions. Les transactions qui se feront aujourd'hui seront de très grande qualité."

Ainsi, BUSAC Immobilier surveille les fonds de placement immobilier et les caisses de retraite. "Ils ont besoin de liquidités pour payer les rendements à leurs investisseurs, souligne le PDG, Michel Couillard. Pour cela, ils devront délaisser certains immeubles." Et chez certains assureurs et caisses de retraite, la pression de se départir d'actifs est double, car leurs portefeuilles sont déséquilibrés, fait remarquer Guy Charron, vice-président exécutif et de l'exploitation chez Homburg, propriétaire notamment du Complexe de la Gare centrale et de la Place-Alexis-Nihon. "Le cours des actions des sociétés publiques et les valeurs de certains autres produits d'investissement ont fondu. Pendant ce temps, les valeurs des actifs immobiliers ont été beaucoup moins touchées. Du coup, certains portefeuilles d'actifs de caisses de retraite et de compagnies d'assurance peuvent se retrouver en surpondération."

Cela se vérifie à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) où, en 2008, le recul du rendement des immeubles (- 21,9 %) et des dettes immobilières (- 7,6 %) s'est avéré moindre que celui des placements à revenus variables (entre - 28 et - 45,2 %). Toutefois, si certaines caisses se délestent de leurs placements immobiliers, ce ne sera pas la CDPQ. "Ceux qui attendent qu'on vende seront déçus, prévient Fernand Perreault, conseiller au président et ex-premier vice-président, groupe Immobilier. D'abord, le marché n'y est pas favorable. De plus, nos immeubles nous permettent de percevoir des revenus courants : c'est du cash-flow pour payer les pensions de nos déposants. Enfin, l'immobilier a l'avantage de protéger contre l'inflation." En revanche, Fernand Perreault reconnaît qu'il sera moins actif dans ce secteur.

À la SSQ Immobilier, une filiale de SSQ Groupe financier, un assureur qui compte 545 millions de dollars d'actif sous gestion, le portefeuille ne serait pas surpondéré en immobilier. "Depuis 2004, les valeurs étant surélevées, et les taux de capitalisation à la baisse, nous avons été plutôt tranquilles en matière d'acquisitions. Il y a même de la place pour davantage d'immobilier", assure le PDG, Jean Morency. Ce vide sera vite comblé par de nouvelles acquisitions - prévues à Montréal, à Ottawa et à Toronto - mais aussi par le projet de la Cité verte, à Québec, dont le démarrage a été annoncé en janvier dernier, après quatre ans de consultations. Ce complexe d'un million de pieds carrés, qui revalorise des bâtiments existants, aura une vocation commerciale et comportera aussi des bureaux. Mais sa principale vocation sera résidentielle, compte tenu de ses 800 unités de logement, majoritairement en copropriétés.

Les bergers

"Pour l'instant, nous prenons des décisions prudentes, parce que le marché l'exige. Mais il ne faut pas se laisser endormir par les mauvaises nouvelles, car ce n'est qu'une question de temps avant que la machine ne reparte", dit Guy Charron, de Homburg. Ce groupe hollandais détient 260 propriétés en Europe et en Amérique du Nord. C'est quatre milliards de dollars d'actifs et 20 millions de pieds carrés. "Nos actifs sont très diversifiés, par segments et par régions, cela nous sert bien en ce moment", souligne Guy Charron.

Chez Canderel aussi, on se montre prudent. "En tant que société privée, nous n'avons pas accès aux mêmes montants de capital qu'une société publique. Alors, nous finançons notre expansion à même notre cash-flow", explique Luc Sicotte, PDG. Canderel vient de terminer l'aménagement du campus Bell, sur l'Île-des-Soeurs, pour près de 250 millions de dollars. Des acquisitions en vue ? "Nous n'avons fait aucune transaction depuis six mois, dit le PDG. Il y a trop de volatilité pour magasiner." En attendant, Canderel se concentre notamment sur son premier métier, le développement des propriétés. Pour 2009, il planche notamment sur des projets d'immeubles de bureaux à Montréal, à Ottawa et à Toronto.

André Jude, qui gère le Forum Pepsi pour le compte d'Ashkenazy Acquisition Corporation (AAC), a dû mettre de côté son projet d'agrandissement. La new-yorkaise ACC gère des propriétés aux États-Unis et au Canada qui représentent au total deux milliards de dollars américains et 10 millions de pieds carrés. "ACC vise les propriétés problématiques ou qui présentent des défis particuliers, mais qui ont un potentiel caché ou une valeur sur le long terme grâce à leur situation géographique", explique André Jude. C'est le cas du Forum Pepsi, acquis en 2005, qui avait un taux d'occupation de seulement 62 %. Au-jourd'hui, les choses vont plutôt bien, grâce à des locataires solides - la SAQ, la banque HSBC, le cinéma AMC - et à un taux d'occupation qui devrait atteindre 98 % cet été. Le Forum a même une capacité résiduelle de plus de 500 000 pieds carrés et peut doubler de superficie, si on ajoute des étages.

En attendant ses futurs locataires, André Jude se préoccupe de ceux qu'il a déjà. Car ceux-ci, qu'ils soient dans des édifices de bureaux ou dans des centres commerciaux, n'hésitent pas à faire réviser leur bail. "C'est clairement un marché de locataires et cela terrorise certains gestionnaires, observe Harvey Sands, spécialiste de l'immobilier et associé au cabinet RSM Richter Chamberland. J'ai des clients qui ont peur de se présenter au bureau, car leurs locataires téléphonent constamment pour demander des réductions d'espace !" Les gestionnaires n'ont guère le choix de renégocier, précise le consultant, car remplacer un locataire coûte plus cher en commissions et en frais d'aménagement que de lui accorder une baisse de loyer. Un peu de vigilance s'impose, toutefois. "J'ai un client dont les locataires ont réclamé des réductions d'espace, rapporte Brett Miller, vice-président exécutif et directeur régional de l'Est du Canada chez CB Richard Ellis. Il a exigé de voir leurs états financiers pour vérifier s'il y avait vraiment une chute des revenus au pied carré, un niveau d'inventaire élevé, un endettement excessif ou un problème de liquidités. Bien peu ont fourni les pièces justificatives."

La revanche des joueurs locaux

En dépit de la volatilité du marché, Brett Miller estime que la situation actuelle est une bonne nouvelle pour tous ces joueurs disciplinés qui ont dû rester sur la touche au cours des dernières années, faute d'avoir les poches assez profondes. "Les fonds canadiens et les fonds étrangers ont été très présents. Les taux de capitalisation étaient bas et les acteurs locaux ne pouvaient pas faire des acquisitions dans ces conditions. Mais ceux-ci ont préservé leur cash-flow. Maintenant, ils peuvent penser à acheter." C'est le cas de BUSAC Immobilier. "Cette période devrait être intéressante pour nous ; nous pourrions grossir", envisage Michel Couillard, qui songe autant à des immeubles qu'à des portefeuilles de dettes aux États-Unis. "En ayant des stratégies disciplinées de gestion d'actif, les propriétaires et les investisseurs immobiliers peuvent surmonter les difficultés du marché actuel, conclut Harvey Sands, de RSM Ritcher Chamberland. Que ce soit une acquisition ou une cession, ils peuvent ainsi réaliser de belles occasions d'affaires."

À la une

Les nouvelles du marché du vendredi 3 mai

Mis à jour il y a 1 minutes | Refinitiv

Warren Buffet parlera croissance, dividendes et succession à l’assemblée de Berkshire Hathaway.

Bourse: les gains du S&P 500 en 2024 restent fragiles

BALADO. Plus de la moitié du gain du S&P 500 lors des quatre premiers mois de 2024 est attribuable à... Nvidia.

Les dirigeants de Loblaw réfutent les critiques faites à leur endroit

Il y a 28 minutes | La Presse Canadienne

Les consommateurs déplorent l’augmentation importante des prix des aliments.