Les banques montrées du doigt

Publié le 01/05/2009 à 00:00

Les banques montrées du doigt

Publié le 01/05/2009 à 00:00

"Il faut relancer la machine", martèle le gouvernement. "Aidez-nous !" disent les entreprises. "Nous ne pouvons pas tout faire", répliquent les banques.

Le 27 avril dernier, le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, a frappé fort. Non seulement il a encore baissé le taux de base de 25 points, mais il a aussi annoncé que ce taux ne changerait pas jusqu'en juin 2010 ! Les banques canadiennes ont compris le message : à midi le même jour, elles ont réduit leur taux préférentiel de 25 points. Il se situe maintenant au plancher historique de 2,25 %.

Depuis décembre 2008, Mark Carney reproche publiquement aux banques de ne pas prêter suffisamment. Pendant qu'elles se soucient d'accumuler du capital, dit-il, des projets d'investissement viables et prometteurs ne trouvent pas de financement. À la voix de Mark Carney s'est jointe celle du ministre des Finances, Jim Flaherty, et celle de plusieurs chefs de la direction. Pourquoi les banques ne prêtent-elles pas davantage ?

C'est pas nous, c'est eux !

La réplique des banques canadiennes : ce ne sont pas elles qui prêtent moins, c'est l'offre totale de crédit qui a diminué. Et les banquiers canadiens n'ont pas l'intention d'occuper la place laissée vacante par les prêteurs étrangers. Il faut rappeler que les lignes de crédit des grandes entreprises ne sont jamais assurées par une seule banque. Afin de diversifier les risques, des institutions financières se regroupent pour former un syndicat bancaire. Or, depuis le début de la crise du crédit, plusieurs banques étrangères se sont retirées progressivement de ces syndicats bancaires. D'autres types de prêteurs, qui se financent sans recourir à l'argent de déposants, comme GE Capital, ont aussi limité leurs activités. S'ajoute à cela l'absence des banques américaines qui ont fait faillite ou ont carrément disparu.

"Prenons l'exemple d'une banque canadienne qui participe à hauteur de 25 millions de dollars à un syndicat bancaire de 200 millions de dollars, illustre Robert Bastien, vice-président à la Fédération des caisses Desjardins. Dans le marché actuel, cette banque est sans doute prête à maintenir son engagement de 25 millions de dollars auprès de l'entreprise. En revanche, elle n'est pas disposée à prendre une place plus grande pour combler le vide laissé par d'autres institutions."

Denis Mathieu, vice-président et chef de la direction financière d'Uni-Select, un important distributeur de pièces automobiles, observe la même situation : "Il y a des banques étrangères qui ont quitté le marché canadien. Elles restent engagées dans les dossiers de financement qui sont déjà actifs, mais elles refusent d'aborder de nouveaux dossiers".

Cependant, nuance le financier, les banques canadiennes aussi se font moins visibles... "Elles honorent leur crédit avec les clients actuels, mais elles ne courent pas après de nouveaux dossiers. Si elles le font, ce sera à un prix de 150 ou 200 points de base supplémentaires." Il se félicite d'ail-leurs du fait que son entreprise a renouvelé toutes ses ententes de financement en janvier 2008.

Même bémol chez Couche-Tard. "En ce moment, les institutions financières en général ne sont pas très portées sur le risque, constate Raymond Paré, vice-président et chef de la direction financière d'Alimentation Couche-Tard. Si une entreprise doit rouvrir ses ententes de financement, ce qu'elle perçoit sur le marché, c'est que les institutions financières cherchent à diminuer leurs engagements avec tous leurs clients. Sauf lorsqu'il s'agit d'une relation privilégiée." Dans un syndicat bancaire, la banque principale (lead bank) a tendance à vouloir maintenir son de- gré d'engagement. Il s'agit souvent de la banque qui a accompagné l'entreprise tout au long de son développement. Couche-Tard, pour sa part, se réjouit de pas avoir à renégocier ses ententes de financement avant plusieurs années. L'entreprise dispose de 580 millions de dollars américains non utilisés dans ses lignes de crédit. Sa situation financière lui a d'ailleurs permis d'acheter 500 magasins d'Exxon Mobil aux États-Unis en avril dernier.

Plusieurs signes indiquent que les banques ont mis la pédale douce sur leurs activités de prêts, ou qu'elles se montrent plus exigeantes. "Les banques laissent moins de marge de manoeuvre à nos clients. Par exemple, une entreprise qui pouvait emprunter un montant équivalent à trois fois son cash flow ne peut plus emprunter que deux fois cette somme", précise Denis Mathieu, d'Uni-Select, qui approvisionne un important réseau de grossistes en pièces automobiles et en pièces pour camions.

Les banquiers reconnaissent que pour certains types de projets, il est plus difficile d'obtenir du crédit. "Il y a moins d'intérêt pour des prêts à long terme de l'ordre de 15 à 20 millions de dollars", confie Robert Bastien, du Mouvement Desjardins. Ce dernier cite l'exemple de projets d'immeubles à bureaux, de résidences pour personnes âgées ou de centres commerciaux, qui peuvent éprouver des difficultés à se faire financer, quelle que soit leur qualité.

Plus indépendantes que leurs consoeurs américaines

La fin du resserrement est-elle proche ? Pas sûr. L'influence du gouvernement sur les banques canadiennes reste limitée. Con-trairement à leurs consoeurs américaines, celles-ci n'ont pas eu besoin de l'aide de l'État pour continuer à exister, souligne Jean Roy, professeur titulaire de finance à HEC Montréal et spécialiste des banques et des systèmes financiers. Cela donne aux banques canadiennes une certaine indépendance par rapport aux pressions politiques. "Elles vont conserver leurs objectifs fondamentaux, qui sont de rester solvables et d'offrir une certaine rentabilité à long terme à leurs actionnaires", poursuit Jean Roy.

Au gouvernement, il reste sa politique monétaire. À ce titre, la Banque du Canada, comme les banques centrales des autres pays occidentaux, a mené une politique de relance agressive en baissant les taux d'intérêt à plusieurs reprises. Cette politique ne s'est cependant pas toujours traduite en prêts bon marché pour les entreprises. Le taux préférentiel est passé de 6,25 % en juillet 2007, juste avant l'éclatement de la crise du crédit, à 2,25 % en avril 2009. Mais les écarts que les banques ajoutent à ce taux ont augmenté. Par exemple, une entreprise qui bénéficiait jusqu'à récemment d'un prêt au taux préférentiel plus 0,5 % l'obtient aujourd'hui au taux préférentiel plus 1,75 %.

Les banques justifient cette hausse par l'augmentation marquée de leurs coûts de financement. Les premières sources de financement des banques canadiennes sont les dépôts des clients. Mais elles se financent également en émettant des titres de dettes sur les marchés financiers. Certains titres consistent, par exemple, en portefeuilles d'hypothèques garantis par la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL). Les investisseurs internationaux exigent désormais de plus hauts rendements sur les titres émis par les banques, car le risque associé à celles-ci est perçu comme plus élevé qu'auparavant. "C'est la première fois que nous faisons face à une telle hausse relative de nos coûts", note David Pinsonneault, vice-président, vente et service, entreprises, à la Banque Nationale. "Les entreprises des autres secteurs sont habituées aux fluctuations de prix. Par exemple, lorsque le prix du carburant monte, les entreprises de transport augmentent leurs prix. Comme nous n'en avons pas l'habitude, peut-être que nous ne sommes pas très habiles à expliquer nos hausses de prix", continue David Pinsonneault.

Puisque les banques ne semblent pas pressées d'ouvrir le robinet, le gouvernement prend une autre voie : des capitaux sont injectés dans des sociétés de la Couronne. Depuis le début de la crise du crédit, la Banque de développement du Canada (BDC) et Exportation et développement Canada (EDC) sont appelées à jouer un rôle accru. En janvier dernier, le gouvernement fédéral a annoncé un investissement de capitaux de 350 millions de dollars dans la BDC. Cette somme permet à cette dernière d'offrir un financement supplémentaire de 1,5 milliard de dollars à des entreprises partout au Canada. Selon plusieurs des financiers consultés, le recours à des sociétés de la Couronne est une politique appropriée pour relancer les prêts aux entreprises... en attendant !

fabrice.tremblay@sympatico.ca

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