«Le secteur bancaire doit mieux se raconter, mais l'histoire ne sera pas la même partout» - Alberta Cefis, responsable de la division internationale de la Banque Scotia

Publié le 26/11/2011 à 00:00

«Le secteur bancaire doit mieux se raconter, mais l'histoire ne sera pas la même partout» - Alberta Cefis, responsable de la division internationale de la Banque Scotia

Publié le 26/11/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

Le magazine US Banker a nommé Alberta Cefis l'une des 25 femmes les plus puissantes du secteur bancaire mondial. Elle supervise la division internationale de la Banque Scotia, la plus «mondiale» des banques canadiennes. Cela lui a permis d'acquérir une vision nuancée du monde et de ses enjeux. Je l'ai rencontrée alors qu'elle était de passage à Montréal.

DIANE BÉRARD - Les banques canadiennes sont-elles vraiment les plus solides du monde ?

ALBERTA CEFIS - Absolument. Nous avons la place occupée jusque-là par la Suisse [en tant que modèle de robustesse] ! Aucune de nos banques n'a eu besoin d'aide depuis la crise, et toutes ont continué d'être rentables. Sans compter que nous faisons figure de précurseurs quant à la réglementation.

D.B. - Si notre système bancaire est si solide, pourquoi les autres pays ne s'en inspirent-ils pas ?

A.C. - Je crois que c'est une question de culture. Pour comprendre le système bancaire canadien, il faut tenir compte de notre nature conservatrice. Notre aversion au risque est plus élevée que la moyenne. Cela se reflète dans le niveau de capitalisation de nos banques ainsi que dans notre façon de «tenir nos livres». Jusqu'à présent, la prudence des banques canadiennes n'était pas considérée comme une vertu. Mais cette perception change. Le Canada est très écouté.

D.B. - Cette crise va-t-elle se terminer ? Les choses rentreront-elles dans l'ordre dans le secteur financier ?

A.C. - Le système financier se compose du gouvernement, des organismes réglementaires et des banques. Tout le secteur traverse une période de transition. Des excès ont été commis du côté de certains types de financement et des unités d'affaires ont pris trop de place. Il faut changer le modèle d'affaires.

D.B. - Réglementer est-il la solution ?

A.C. - Un cadre réglementaire, comme celui dessiné par les accords de Bâle III, s'avère essentiel. Mais je souhaite qu'il s'appuie davantage sur des principes que sur des règles strictes. Avec de telles règles, je crains l'apparition d'un risque asymétrique : lorsque certains États appliquent une règle et d'autres pas, les premiers sont désavantagés par rapport aux seconds. Visons plutôt à atteindre une vision et des buts communs.

D.B. - Le secteur financier est décrié partout dans le monde. Comme accueillez-vous ces critiques ?

A.C. - La Scotia est la plus internationale des banques canadiennes. Nous sommes présents dans 50 pays. Je passe ma vie dans les avions !

Et je peux vous affirmer que la réalité n'est pas aussi monolithique que vous l'affirmez. La perception des citoyens varie grandement d'un État à l'autre. Tout dépend de l'état de l'économie et de son système financier. Les Américains et les Européens ne voient pas leurs banques du même &#339il que les Canadiens ou les Sud-Américains.

D.B. - Même avant la crise, les banques n'étaient pas les chouchous de la population...

A.C. - Cette fois, vous évoquez un autre problème : la population prend les banques pour des services publics [utilities]. Ce que nous ne sommes pas. Nous sommes des entreprises.

D.B. - Est-il possible de changer la perception négative des banques ?

A.C. - Cela ne se fera pas tout seul, il faut y consacrer beaucoup d'effort. Notre secteur doit apprendre à mieux «se raconter». Mais l'histoire ne sera pas la même partout. Dans les pays où le gouvernement a financé le sauvetage des banques, celles-ci doivent complètement rebâtir leur relation avec leurs clients. Là où leurs activités sont rentables, les banques doivent plutôt expliquer leur rôle et leur contribution à l'économie et à la société. Et, dans les pays émergents, nous parlerons d'inclusion financière, du nouveau pouvoir que nous permettons aux citoyens d'acquérir et des buts que nous les aidons à atteindre.

D.B. - La Scotia est très présente en Amérique latine. Les affaires semblent tellement plus excitantes et rentables dans les pays émergents que dans les économies matures...

A.C. - Le plus excitant, c'est d'observer et de contribuer à la création de nouveaux réseaux d'échange et de commerce. Il y a trois ans, nous avons ouvert un bureau à Istanbul à cause du corridor entre l'Asie et la Turquie et de celui entre le Chili et la Turquie. Je peux aussi vous parler de la montée des échanges entre la Chine et le Brésil. Tout cela s'inscrit dans la foulée de la hausse des échanges Sud-Sud. Toutefois, ne nous illusionnons pas. Les pays émergents promettent beaucoup, mais le risque demeure omniprésent. Il ne faut pas y aller en amateur.

D.B. - La Scotia élargit sa présence en Colombie, mais pas aux États-Unis. Estimez-vous la Colombie moins risquée que les États-Unis ?

A.C. - [rires] Ce sont des risques différents qui attirent des institutions financières différentes. La Scotia se sent plutôt à l'aise à l'étranger. Saviez-vous que nous avons ouvert un bureau en Jamaïque, pour financer le commerce du rhum, avant d'en ouvrir un à Toronto ? Quant à la Colombie, elle a bien changé. Les perspectives économiques s'avèrent prometteuses, le PIB croît, tout comme la demande de services financiers. Aux États-Unis, nous n'offrons aucun service bancaire de détail, seulement des services de gros. Nos affaires américaines ne sont pas plus importantes, car nous n'y avons trouvé aucune occasion suffisamment rentable pour nos actionnaires.

D.B. - Vous avez été élue l'une des 25 femmes les plus puissantes de secteur bancaire mondial. À quoi sert le pouvoir ?

A.C. - Le nom de ce prix comprend le mot pouvoir mais, à mes yeux, il s'agit d'un terme plutôt vague. J'associe ce prix à une reconnaissance de mes réalisations : la taille de mon terrain de jeu, mon rôle, mes accomplissements compte tenu des ressources dont je dispose.

D.B. - Êtes-vous pour ou contre l'imposition de quotas pour forcer les conseils à intégrer plus de femmes ?

A.C. - En principe, je n'aime pas les quotas. Je voudrais bien que les conseils réalisent qu'ils passent à côté de candidates de qualité et corrigent le tir par eux-mêmes. Mais cela ne se produit pas. Sans quotas, nous mettrons une éternité avant d'atteindre la parité.

D.B. - Que pensez-vous du mouvement Occupons, qui vise directement le système financier ?

A.C. - Comme je vous l'ai dit, l'état du système bancaire varie d'un pays à l'autre. Bay Street n'est pas Wall Street. Pour ma part, derrière ce mouvement, je sens tout autant un appel à un plus grand leadership des politiciens qu'une critique du secteur financier. Et je suis d'accord : il y a beaucoup de volatilité dans l'air, l'économie a besoin d'être contrôlée et les citoyens, rassurés.

LE CONTEXTE

Le secteur bancaire est si décrié qu'on a oublié que, comme toutes les industries, il n'est pas soumis aux mêmes réalités partout. Mais peu de banquiers ont l'expérience internationale d'Alberta Cefis pour en discuter.

SAVIEZ-VOUS QUE...

Alberta Cefis a reçu un «World of Difference 100 Award», décerné par l'Alliance internationale des femmes, pour sa contribution à l'émancipation des femmes dans le monde.

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