Le laxisme du Canada pourrait lui faire perdre des investissements étrangers

Publié le 01/08/2009 à 00:00

Le laxisme du Canada pourrait lui faire perdre des investissements étrangers

Publié le 01/08/2009 à 00:00

Le Canada soulève rarement les passions dans la capitale américaine, où les décideurs carburent plutôt aux grands enjeux comme l'Iran, la Corée du Nord et la récession. Mais c'était le cas en mai dernier.

Sans faire la manchette du Washington Post ou susciter de vifs débats sur K Street (l'avenue des lobbyistes), le pays faisait parler de lui dans plusieurs officines du gouvernement à propos de son régime de protection de la propriété intellectuelle.

"Que fera le Canada pour mieux protéger les entreprises américaines ?" Voilà la question qui était souvent sur les lèvres de plusieurs spécialistes de la propriété intellectuelle que nous avons rencontrés à Washington et ailleurs aux États-Unis.

Le Canada au même rang que la Chine et la Russie

Ils réagissaient à un rapport du Bureau du représentant américain au Commerce (USTR) - une agence relevant de la présidence américaine - qui pointait de supposées lacunes dans le régime de protection de la propriété intellectuelle au Canada, principalement sur le droit d'auteur, ce qui favoriserait le piratage.

Intitulé "2009 Special 301 Report", ce document place pour la première fois le Canada parmi les pays jugés à risque élevé par Washington pour les entreprises américaines. Le Canada s'y retrouve avec 11 autres pays, comme la Chine et la Russie, où le piratage sévit. Depuis 14 ans, le Canada figurait sur une liste de surveillance non prioritaire, avec un groupe de pays jugés moins problématiques.

Ce changement de classification reflète "l'inquiétude croissante" des États-Unis à propos du Canada. Selon l'USTR, Ottawa tarde à réformer son régime de droit d'auteur. Le manque d'effectifs aux frontières pour faire échec à la contrefaçon irrite aussi les Américains.

"On reconnaît qu'il y a eu des progrès au Canada", dit une source gouvernementale américaine sous le couvert de l'anonymat. "Mais on note une inquiétude croissante de la part d'entreprises et de politiciens américains sur ce que fera Ottawa du défunt projet de loi C-61."

Ce projet de loi renforçait la Loi sur le droit d'auteur, mais est mort au feuilleton dans la foulée de la dernière élection fédérale, en octobre 2008. Depuis, le gouvernement s'est engagé à déposer un projet de loi similaire, mais la possibilité d'un autre scrutin au cours des prochains mois n'augure rien de bon : tout projet de loi risque d'être à nouveau mis sur la glace.

Un obstacle à l'investissement ?

Le rapport annuel de l'USTR est produit à partir des mémoires d'entreprises et d'associations qui estiment qu'un ou des pays ne protègent pas suffisamment leurs droits.

Faut-il prendre ce rapport au sérieux ?

En 2007, devant un comité de la Chambre des communes, un représentant du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international avait affirmé que le rapport manquait "d'analyse fiable et objective" et était "axé sur les préoccupations de l'industrie américaine".

Les experts sont divisés sur le risque que le Canada perde des investissements si des multinationales, américaines ou d'autres pays, concluent que leurs droits y sont mal protégés.

Selon BIO (Biology Industry Organization), un organisme américain présent dans 34 pays, Ottawa ne doit pas sous-estimer ce rapport, car l'image négative qu'il donne du Canada pourrait nuire aux investissements étrangers.

"Pour une entreprise, la protection de la propriété intellectuelle est un facteur important dans le choix d'un pays où investir, même si ce n'est pas le seul", explique Lila Feisee, directrice de la propriété intellectuelle chez BIO.

Des pays comme la Chine, précise-t-elle, font des efforts pour améliorer leur système de protection pour attirer plus d'investisseurs, notamment dans les biotechnologies.

Dans son mémoire déposé à l'USTR en février, BIO déplore la difficulté pour certains de ses membres de faire breveter au Canada le vivant (plantes transgéniques et animaux). "Si le Canada veut continuer d'attirer des entreprises biotechnologiques, il doit mieux protéger l'innovation", soutient Mme Feisee.

Stéphane Caron, de l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada, minimise la portée du rapport 2009 de l'USTR. Selon l'expert, il ne devrait pas refroidir l'ardeur des investisseurs : "Les entreprises qui s'informent bien réalisent que leurs droits sont bien protégés au Canada", souligne-t-il.

Un manque de jugement

La Chambre de commerce américaine au Canada abonde dans le même sens, tout en écorchant l'USTR pour son manque de jugement. "C'est un peu fort de mettre le Canada sur la même liste que la Chine ou la Russie !" dit Tom Creary, président de la Chambre de commerce américaine au Québec.

Notre journaliste a séjourné trois semaines aux États-Unis dans le cadre de l'International Visitor Leadership Program du Département d'État américain.

DES CRAINTES NON FONDÉES, AFFIRME OTTAWA

Sans vouloir commenter le rapport du Bureau du représentant américain au Commerce (USTR), Ottawa soutient protéger adéquatement les droits de propriété intellectuelle des entreprises étrangères qui font des affaires au pays.

Cette année, le Canada s'est trouvé pour la première fois sur la liste des 12 pays qui, selon cette agence américaine, protègent peu la propriété intellectuelle.

"Le régime de protection et d'application des droits de propriété intellectuelle au Canada est entièrement cohérent avec ses obligations internationales", souligne Me'shel Gulliver Bélanger, porte-parole du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada.

Le gouvernement Harper fait valoir qu'il s'est engagé, dans le discours du Trône qui a suivi sa réélection à la fin de 2008, à déposer un projet de loi pour renforcer les lois sur le droit d'auteur et garantir une protection accrue de la propriété intellectuelle. Le gouvernement souligne aussi qu'il a présenté une loi pour mettre fin à l'enregistrement illégal de films dans les salles de cinéma.

"Ce gouvernement a pris et continuera de prendre des mesures visant à protéger les droits de propriété intellectuelle", ajoute Mme Gulliver Bélanger.

Par ailleurs, Ottawa refuse de dire s'il juge crédible le rapport de l'USTR. Ce ne serait pas le cas, selon une source canadienne proche du dossier. Il n'a pas été possible de confirmer cette information auprès du gouvernement conservateur.

Selon l'USTR, le Canada n'a jamais au fil des ans présenté de mémoires - comme le font d'autres pays - pour se défendre ou corriger des informations jugées fausses qui auraient pu être transmises à l'agence américaine par des entreprises et des associations sectorielles aux États-Unis.

francois.normand @transcontinental.ca

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