Fin des années 1970. Au Québec, l'information économique vient en bonne partie de Toronto. «Or, j'avais la conviction qu'il y avait ici de la place pour un bon journal qui traiterait différemment les questions économiques», dit Rémi Marcoux, fondateur de Transcontinental, qui a orchestré la relance du journal Les Affaires en l'achetant, en 1979.

Créé en 1928, le journal vient alors de célébrer ses 50 ans sans que beaucoup de gens s'en soucient vraiment. Il vivote. Comme pour aggraver les choses, son propriétaire, Jean-Paul Levasseur, est dans une situation précaire. Il vient de reprendre le journal à la suite de la mort de son père, et il est mal préparé pour en assumer la direction. Les dettes s'empilent. Le journal a même cessé temporairement de paraître.

Or, c'est précisément Transcontinental, alors toute jeune PME, qui l'imprime... mais n'est plus payée. Rémi Marcoux décide d'aller voir Jean-Paul Levasseur et lui dit : «J'efface ta dette, je paie des employés et je reprends le journal.» Marché conclu !

Bâtir une équipe solide

Mais encore fallait-il le redémarrer et lui redonner son lustre perdu. Rémi Marcoux recrute donc Rosaire Morin, connu pour avoir ensuite dirigé la revue L'Action nationale, et lui demande de persévérer temporairement. Il cherche en même temps à constituer une équipe solide et permanente.

«J'ai fini par rencontrer Claude Beauchamp, alors éditeur du Soleil, raconte-t-il. Claude avait déjà travaillé au journal. Je lui ai offert une participation dans Les Affaires s'il acceptait de s'en occuper, et il a accepté.»

Mais tout est loin d'être réglé. Les prêteurs ne sont pas convaincus. Ils se font pressants. Rémi Marcoux s'engage à redresser la barque sinon... «J'ai assuré la banque que j'étais prêt à "tomber dans le rouge" jusqu'à 400 000 $, peut-être un peu plus, mais que si les choses ne s'amélioraient pas, c'en serait fini du journal.»

La partie s'annonce serrée. Entre-temps, Claude Beauchamp a réussi à s'entourer de collaborateurs de qualité. Pour fortifier les ventes, il est allé chercher Rosaire Mailloux, à La Presse. Et pour prendre en charge la rédaction, il a convaincu un journaliste économique du Soleil, déjà respecté dans le métier, Jean-Paul Gagné, de le rejoindre à Montréal.

«Les résultats ont dépassé nos espérances, dit Rémi Marcoux. La nouvelle version du journal s'est imposée. Nous avons regagné des lecteurs et des annonceurs. Puis est arrivé le Régime d'épargne-actions, qui a gagné en popularité. Nous avons su jouer notre rôle, en conservant ce qui a fait notre force dès le début : notre crédibilité.» Le journal, qui avait failli rendre l'âme au tournant de la cinquantaine, s'est trouvé une deuxième jeunesse qui se prolonge aujourd'hui.

Et aujourd'hui, justement ?

Le paysage médiatique a bien changé. Le Québec a appris à s'instruire par lui-même. «Les quotidiens font un meilleur travail, dit-il. Les médias électroniques s'intéressent eux aussi à l'économie, sans compter ce qu'on peut trouver sur Internet. L'information est partout.» Il note aussi l'affluence des jeunes dans les universités. Les formations sont de plus en plus variées et élaborées.

«Je sens un revirement dans l'intérêt des Québécois pour l'économie», ajoute-t-il. Il cite le succès d'émissions télévisuelles comme Dans l'oeil du dragon ou Déficit zéro, celle-ci justement produite par TC Média.

Sans compter le capital maintenant plus abondant, l'émergence du Fonds de solidarité et des fonds privés... «On sent un souffle chez les jeunes entrepreneurs, et c'est encourageant. Pour ouvrir des marchés, nous allions à Chicoutimi. Eux vont en Chine.»

Et ce n'est pas parce qu'il a pris sa retraite qu'il tourne le dos au milieu, au contraire : le Parcours entrepreneurial Rémi-Marcoux, qui vient d'être lancé à HEC Montréal, vise justement à inspirer et à soutenir des jeunes qui veulent se lancer en affaires.Mais à l'entendre commenter le présent et rappeler le passé, on sent bien qu'il conserve encore un faible pour le point de départ de toute cette odyssée, le rachat il y aura bientôt 35 ans d'un certain journal appelé Les Affaires...