«La Chine n'est pas une économie centralisée, au contraire» - Michael Hart, universitaire et ancien négociateur au ministère canadien des Affaires étrangères

Publié le 17/03/2012 à 00:00

«La Chine n'est pas une économie centralisée, au contraire» - Michael Hart, universitaire et ancien négociateur au ministère canadien des Affaires étrangères

Publié le 17/03/2012 à 00:00

Par Diane Bérard

Michael Hart fut négociateur au ministère canadien des Affaires étrangères et du Commerce international. Il tient aujourd'hui la chaire de commerce international à la Carleton University, à Ottawa. Auteur de nombreux ouvrages, dont Decision at Midnight sur les dessous de la signature du traité de libre-échange canado-américain, il vient de publier l'étude «Ambiguity and Illusion in China's Economic Transformation».

DIANE BÉRARD - Quel est le plus grand mythe à propos de l'économie chinoise ?

michael Hart - On s'imagine qu'il s'agit d'une économie centralisée, alors que c'est exactement le contraire. Le gouvernement de Beijing laisse beaucoup de pouvoir aux provinces et aux villes. Ainsi est née la concurrence entre les municipalités et, de celle-ci, la corruption. Ce modèle s'est installé sous le règne de Deng Xiaoping, à partir de 1978, lorsqu'il a ouvert la Chine au monde et implanté un capitalisme «à la chinoise». Deng Xiaoping savait que le virage serait beaucoup trop important, et la Chine trop grande, pour tout diriger à partir de Beijing. Il a donc laissé les villes les plus importantes, puis le reste de la Chine y aller de leur propre version du capitalisme. Tant que le gouvernement central ne trouve rien à redire, il tolère. Sinon, il intervient.

D.B. - Là où plusieurs observateurs déplorent une Chine qui résiste au changement, vous en voyez plutôt une qui accepte le compromis. Expliquez-nous.

M.H. - Il a fallu 15 ans à la Chine pour accéder à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Celle-ci a été soumise au protocole le plus exigeant jamais imposé à un État. Seule la Russie, dont l'OMC a accepté la candidature en décembre, a été soumise à un processus plus complexe. Il est donc faux de dire que la Chine ne fait pas de compromis.

D.B. - Qu'en est-il de la conduite de la Chine au sein de l'OMC ? Les autres membres sont-ils satisfaits ?

M.H. - Depuis 2001, les politiques commerciales de la Chine ont été évaluées trois fois. On a comparé deux rapports, l'un émanant du secrétariat du Parti communiste et l'autre, de l'OMC. Chaque fois, les politiques chinoises ont reçu de bonnes notes.

D.B. - Sommes-nous trop sévères à l'égard de la Chine ?

M.H. - Disons que nous avons la mémoire courte. On a beaucoup parlé de la non-qualité chinoise. Mais je me souviens d'une époque où les produits dont l'étiquette portait la mention «fabriqué en Corée» étaient synonymes de camelote. Or, la Chine grimpe beaucoup plus rapidement l'échelle de la qualité que ne l'a fait la Corée à l'époque.

D.B. - Vous dites que nous surestimons la contribution de la Chine manufacturière. Pourquoi ?

M.H. - La Chine n'a plus le poids manufacturier qu'elle a déjà eu. Elle fait désormais partie d'une chaîne d'approvisionnement mondiale beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Saviez-vous que la Chine ne contribue qu'à 20 % de la valeur de la plupart des produits ? Il faut de plus en plus remplacer la mention «fabriqué en Chine» par «assemblé en Chine». La Chine devient le maillon final d'une chaîne qui comporte de nombreux pays sur plusieurs continents.

D.B. - Stephen Harper a changé son fusil d'épaule face à la Chine. Que se passe-t-il ?

M.H. - Au cours des cinq années qui ont suivi son élection, il a concentré son énergie sur l'Europe et l'Amérique latine. Il estime aujourd'hui avoir atteint la limite de ce qu'il peut tirer de sa relation commerciale avec cette dernière. Quant à l'Europe, elle traverse une période difficile. Depuis l'élection de 2011, le gouvernement Harper a donc amorcé un rapprochement avec l'Asie en général et la Chine en particulier.

D.B. - Le gouvernement Harper a revu sa stratégie auprès du gouvernement chinois. En quoi consiste cette révision ?

M.H. - Avant l'élection de 2011, les échanges ont surtout porté sur les failles de Beijing : le manque de démocratie et la question des droits de la personne. Harper a adopté cette attitude, car c'est ce que les Canadiens souhaitaient. Mais cela n'a guère porté ses fruits. Le gouvernement chinois n'aime pas qu'on lui fasse la leçon. N'est-il pas préférable de travailler avec la Chine pour que les choses changent plutôt que de l'affronter ? Vous verrez donc Stephen Harper utiliser les canaux officiels pour bâtir une relation durable avec la Chine.

D.B. - Le Canada n'est pas aussi «ouvert» qu'on aime le croire. Vous citez le blocage de l'achat de Potash par BHP Billiton comme une mauvaise décision...

M.H. - Cette transaction avortée a lancé un très mauvais signal à la communauté internationale. Le Canada a commis une erreur. Si vous désirez réussir à l'étranger, vous devez accepter que d'autres pays connaissent le succès chez vous.

d.b.- Qu'est-ce que le Canada doit changer pour augmenter ses échanges avec la Chine?

m.h.- Il faut apprivoiser les fonds souverains. Établir quel type de relation nous sommes prêts à entretenir avec eux. Le gouvernement chinois s'attend aussi à ce qu'on revoit les règles de propriétés canadiennes pour les secteurs des télécoms, du transport et de l'énergie.

D.B. - La Chine étant dans l'OMC, le Canada a-t-il besoin de conclure avec elle d'autres ententes commerciales ?

M.H. - Si nous voulons augmenter nos échanges avec la Chine, je ne recommande pas de signer un traité bilatéral avec la Chine, mais plutôt de joindre des ententes multipartites, comme le Trans-Pacific partnership. Ce traité de libre-échange inclut neuf pays, dont les États-Unis.

LE CONTEXTE

Le premier ministre Harper a rencontré au début de février les dirigeants chinois ainsi que des représentants de la communauté d'affaires. Il désire un rapprochement économique avec la seconde puissance mondiale. Michael Hart est un observateur averti des relations Canada-Chine.

SAVIEZ-VOUS QUE...

La disparité de revenus entre les citoyens chinois est la même que celle qui existe entre les Américains ; les deux ont un coefficient de Gini (un indicateur d'inégalité de revenu) de 0,42.

«La transaction avortée Potash - BHP Billiton a lancé un très mauvais signal à la communauté internationale. Le Canada a commis une erreur. Si vous désirez réussir à l'étranger, vous devez accepter que d'autres pays connaissent le succès chez vous.»

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