«J'ai été chanceux, car l'industrie aérienne est un secteur difficile et mal compris» - David Neeleman, fondateur en série de compagnies aériennes

Publié le 12/11/2011 à 00:00

«J'ai été chanceux, car l'industrie aérienne est un secteur difficile et mal compris» - David Neeleman, fondateur en série de compagnies aériennes

Publié le 12/11/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

David Neeleman est l'enfant terrible des compagnies aériennes. Il en a fondé quatre et s'est fait éjecter de deux, Southwest et JetBlue. Malgré les turbulences, ses bailleurs de fonds le suivent dans chaque nouvelle aventure. Ils savent que cet homme de 52 ans réinvente tout ce qu'il touche. Sa dernière création : la société brésilienne Azul Airlines. Je l'ai joint à son domicile du Connecticut.

DIANE BÉRARD - En 27 ans, vous avez démarré quatre compagnies aériennes dans trois pays différents. Êtes-vous casse-cou ?

David Neeleman - Toutes les compagnies aériennes que j'ai démarrées se sont avérées des succès. Chacun a un don, le mien consiste à me projeter dans l'avenir pour évaluer avec exactitude ce qu'une idée peut rapporter. Aux yeux du monde, je suis casse-cou. Mes bailleurs de fonds, eux, vous diront que je ne prends que des risques calculés. D'ailleurs, ils m'ont suivi dans chacun de mes projets, augmentant chaque fois leur mise. Ainsi, ils ont investi 135 millions de dollars (M$) dans JetBlue et 235 M$ dans ma plus récente entreprise, Azul Airlines.

D.B. - Les quatre sociétés que vous avez créées sont des réussites, mais vous avez connu votre lot de revers : faillite, congédiement, rétrogradation... Comment tenez-vous encore debout ?

D.N. - J'ai une vision positive de la vie. Et puis, j'apprends vite de mes erreurs. À 23 ans, la faillite de mon unique fournisseur a entraîné la mienne. Je n'ai plus jamais compté sur un fournisseur unique. À 34 ans, j'ai encaissé 25 M$ en vendant mon entreprise, Morris Airlines, à Southwest Airlines. Quelques mois plus tard, j'étais malheureux. Je me suis rendu compte que je n'aspirais pas à être riche. Je voulais simplement gérer une entreprise et créer des emplois. Quand le conseil de JetBlue m'a déplacé de pdg à président du conseil, j'ai décidé que plus jamais je ne travaillerais pour une entreprise que je ne contrôle pas. Je suis donc l'actionnaire majoritaire d'Azul Airlines.

D.B. - Vous avez beaucoup d'idées et vous les réalisez rapidement. On serait porté à croire que c'est une qualité. La direction de Southwest Airlines, elle, a estimé que c'était un motif de congédiement. Pourquoi ?

D.N. - Lorsque Souhtwest a acheté la société que j'ai cofondée avec June Morris, Morris Airlines, j'ai intégré le comité de planification. J'ai voulu faire profiter Southwest de ce que j'avais implanté chez Morris. En cinq mois, j'ai introduit les billets électroniques, les réservations par téléphone et toute une panoplie d'outils technologiques. Je voulais aider. Mais j'avais sous-estimé un détail important : Southwest était l'acquéreur et moi, la proie. J'aurais dû connaître ma place ; il fallait que je m'assoie et que je me taise. Ces cinq mois n'ont pas été une époque heureuse de ma vie.

D.B. - Les choses auraient-elles pu se dérouler autrement avec Southwest ?

D.N. - Je ne sais pas. D'un côté, j'ai irrité beaucoup de gens là-bas en multipliant les suggestions et les changements. De l'autre, tout ce que j'ai implanté a eu une influence positive sur l'entreprise, sa performance et sa croissance. Peut-être aurais-je pu prendre davantage mon temps ? Lorsque je crois que quelque chose doit être fait, je me dis que, si c'est la chose à faire, il faut l'accomplir immédiatement.

D.B. - Comment en êtes-vous arrivé à cofonder WestJet, une compagnie aérienne canadienne ?

D.N. - Southwest m'a simplement fait signer une clause de non-concurrence de cinq ans. Toutefois, celle-ci ne concernait que les États-Unis. Alors, lorsque Clive Beddoe [fondateur de WestJet] m'a demandé de lui donner un coup de main concernant une ligne aérienne au rabais au Canada, j'ai sauté sur l'occasion et je me suis joint au conseil. Ma clause de non-concurrence expirait en 1999 ; j'ai lancé JetBlue en 2000.

D.B. - En mai 2007, le conseil de JetBlue a donné votre poste de pdg à David Barger, le chef de l'exploitation. Pourquoi ?

D.N. - Le conseil voulait que je me détache de l'exploitation, que je prenne la présidence du conseil pour ne me soucier que de stratégie et de vision. Ils ont commis une erreur, je ne suis pas fait pour ce rôle. Les membres du conseil passent trois heures par trimestre dans votre entreprise. Il ne faut jamais tenir pour acquis qu'ils comprennent votre société. Or, lorsqu'ils ne comprennent pas, ils développent leur propre vision des choses. C'est la dernière chose que vous voulez. J'aurais dû communiquer davantage avec le conseil de JetBlue, les tenir mieux informés.

D.B. - Votre nouvelle société, Azul Airlines, se trouve au Brésil. Pourquoi avoir choisi ce pays ?

D.N. - Je suis né là-bas et j'ai toujours rêvé d'y retourner. [David Neeleman est né au Brésil de parents américains.] C'est un pays qui n'a rien eu pour lui pendant très longtemps. Aujourd'hui, c'est son tour de briller. Une classe moyenne émerge et tout est à bâtir. Les occasions d'affaires sont inouïes. Je veux aider les Brésiliens à voyager, à rendre visite aux membres de leur famille à peu de frais.

D.B. - Vous travaillez dans l'industrie aérienne depuis plus d'un quart de siècle. Prendre l'avion devient de plus en plus pénible. Pourquoi aucun transporteur ne s'en soucie-t-il ?

D.N. - Nous avons fait notre part. Avec JetBlue, nous avons fait passer l'expérience de mauvaise à neutre. Ce n'est pas si mal. Nous avons ajouté des écrans individuels et plus d'espace pour les jambes, les horaires sont davantage respectés. Mais au-delà de tout cela, sachez que l'industrie aérienne est un secteur extrêmement difficile. Et surtout mal compris. La majorité des compagnies aériennes et leur pdg font tout leur possible. Moi, j'ai été chanceux.

D.B. - On ne nous fournit plus de repas, plus d'oreiller, plus de couverture, plus d'écouteurs... Tout est à nos frais. Sur quoi les compagnies aériennes couperont-elles demain ?

D.N. - Je crois que notre secteur a poussé les réductions de coûts aussi loin que possible. On ne peut tout de même pas vendre des sièges supplémentaires sur les ailes ! Les prochaines économies seront réalisées du côté du personnel que l'on remplacera par la technologie. Mais, là encore, il y a des limites.

D.B. - Le carburant est, de loin, votre coût le plus important. Des avions moins énergivores vous donneraient un sérieux coup de pouce.

D.N. - J'entretiens peu d'espoir sur ce plan. Un avion aura toujours un certain poids. On peut sans doute espérer des économies du côté du diesel.

D.B. - En tant qu'entrepreneur en série, qu'estimez-vous être le plus grand mythe à propos de l'entrepreneuriat ?

D.N. - Affirmer que le fondateur doit un jour céder sa place à un pdg professionnel. Les entrepreneurs peuvent croître avec leur entreprise. Personne n'a plus à coeur le bien de l'entreprise que son fondateur.

D.B. - Rachèterez-vous JetBlue ?

D.N. - JetBlue est une entreprise merveilleuse qui n'est pas gérée correctement. Elle est sous-évaluée par rapport à la valeur de ses actifs. Mais l'acheter ne fait pas partie de mes plans aujourd'hui.

«Je crois que notre secteur a poussé les réductions de coûts aussi loin que possible. On ne peut tout de même pas vendre des sièges supplémentaires sur les ailes ! Les prochaines économies seront réalisées du côté du personnel qu'on remplacera par la technologie.»

LE CONTEXTE

L'industrie aérienne peine à trouver un modèle d'entreprise rentable. Son salut passe-t-il par le transport au rabais ? David Neeleman est le roi de cette catégorie. Après avoir lancé des compagnies aériennes aux États-Unis (Morris Airlines, JetBlue) et au Canada (WestJet), il jette son dévolu sur le Brésil (Azul Airlines).

SAVIEZ-VOUS QUE

David Neeleman est mormon, membre de l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Lui et son épouse Vickie ont neuf enfants.

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