"Cette crise diffère par les changements culturels permanents qu'elle entraîne" - Don Peck, chroniqueur économique pour The Atlantic et auteur

Publié le 03/09/2011 à 00:00

"Cette crise diffère par les changements culturels permanents qu'elle entraîne" - Don Peck, chroniqueur économique pour The Atlantic et auteur

Publié le 03/09/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

Don Peck est chroniqueur économique pour le magazine américain The Atlantic. Il a sillonné pendant un an les États-Unis à la rencontre des victimes de la crise et il a évalué l'état de ses survivants. Il en a tiré le livre Pinched, qui plonge dans la psyché de la classe moyenne américaine tout en cherchant des solutions pour le prochain chapitre de l'économie.

Diane Bérard - Nous avons connu d'autres crises économiques, en quoi celle-ci diffère-t-elle ?

Don Peck - Elle diffère à cause des changements culturels permanents qu'elle entraîne auprès de la société et des individus. Cela s'est déjà produit trois fois dans l'histoire récente : en 1890, au début des années 1930 et lors du choc pétrolier de 1970. Ces crises ont toutes déclenché des années de désillusion au cours desquelles la politique est devenue plus mesquine et les relations de voisinage se sont détériorées.

D.B. - La crise a le dos large, l'économie montrait des signes de faiblesse bien avant l'automne 2008...

D.P. - C'est vrai, les crises font souvent office d'accélérateur de tendances. L'économie américaine - et canadiennne - change depuis 20 ans. Il se crée de moins en moins d'emplois chez nous, à cause des percées technologiques et de la mondialisation. Mais la bulle immobilière a tout camouflé. La classe moyenne a cru qu'elle progressait, parce que ses maisons prenaient de la valeur. Puis, la crise est survenue. Les entreprises ont sauté sur l'occasion pour implanter d'un coup les programmes de restructuration et de délocalisation qu'elles prévoyaient étaler sur plusieurs années.

D.B. - Est-ce la fin du rêve américain ?

D.P. - Si vous parlez de la grande mobilité socioéconomique possible aux États-Unis par rapport à l'Europe, par exemple, elle est largement exagérée. Nos riches demeurent riches et nos pauvres restent pauvres. La classe moyenne, par contre, a toujours été plus mobile. Aujourd'hui, elle a perdu ses tremplins pour passer aux échelons supérieurs. Les États-Unis se sont réinventés plusieurs fois déjà. Après les crises de 1890 et 1930, on a instauré des filets sociaux et un système de taxation progressif. Y arriverons-nous encore ? Je l'ignore.

D.B. - Votre ouvrage souligne que les États-Unis émergent de la crise divisés sur tous les plans : géographie, sexe, revenu... Commençons par la division géographique.

D.P. - Elle a débuté avant la crise. Depuis 20 ans, les diplômés les plus éduqués convergent tous vers les mêmes villes : Boston, Austin, Washington, Silicon Valley... Ils ont créé des îlots d'excellence et fait grimper le prix des maisons. La classe moyenne a fui vers les villes champignons du Sud, comme Phoenix. Là-bas aussi le prix des maisons a grimpé.

Mais, lorsque la bulle a éclaté, les diplômés d'Austin sont retombés sur leurs pattes alors que la classe moyenne de Phoenix s'est trouvée prisonnière de maisons qui ne valaient plus rien dans des quartiers à moitié déserts où la tension a grimpé. Et les politiciens font peu pour remédier à la situation, parce que l'élite réside dans les villes où l'économie se porte bien. Ils ont une compréhension intellectuelle de cette fracture géographique, mais ils ne sentent ni la douleur ni l'urgence d'intervenir.

D.B. - Parlons du syndrome "ce n'est plus le quartier où je choisirais d'habiter".

D.P. - Les premiers résidants des villes champignons (boom towns) ont choisi un quartier, un voisinage, une vision de leur mobilité sociale. Leurs semblables de la classe moyenne les ont joints. La bulle immobilière a éclaté et les maisons se sont vidées. Les pelouses ont cessé d'être tondues. Il y a eu du vandalisme, des graffitis. Une autre vague de résidants s'est installée, profitant des bas prix. Eux aussi rêvent de mobilité. Mais ils sont ostracisés par le premier groupe qui les place sous surveillance et multiplie les règlements pour les prendre en défaut. Certaines communautés cohabitent mieux que d'autres. Mais la plupart des résidants sont malheureux, peu importe le groupe auquel ils appartiennent.

D.B. - Parmi les perdants de cette crise se trouvent aussi des gagnants, dont les femmes. Expliquez.

D.P. - Pour la première fois de l'histoire des États-Unis, les femmes forment la majorité de la main-d'oeuvre. Leur salaire est encore inférieur à celui des hommes, mais elles sont mieux équipées pour le nouveau marché du travail qui émerge. Elles étudient plus longtemps - trois diplômées universitaires sur deux sont des femmes - et leurs compétences sont arrimées aux besoins d'une économie davantage tournée vers les services.

D.B. - À l'opposé, l'homme américain peu scolarisé se voit de plus en plus marginalisé...

D.P. - Il est le chômeur type de cette crise, et sa faculté d'adaptation à l'économie de service est bien faible. Prenez Frank, la mi-quarantaine, qui a travaillé toute sa vie dans la construction. Après une longue période de chômage, son mariage éclate. Un retour aux études est hors de question, la perspective le terrifie. Tout comme un emploi dans le secteur des services. Frank est un bon gars, mais les habiletés relationnelles nécessaires lui font défaut. Pour survivre, il fait les poubelles et revend ce qu'il y trouve. Son histoire est loin d'être unique. Il faut aider ces hommes avant que la rancoeur et la désillusion ne s'installent de façon permanente. Ce fut le cas dans les années 1970, chez les Noirs qui ont perdu leur emploi lorsque les usines ont quitté les villes pour s'installer en banlieue ou dans le sud des États-Unis. Le tissu social de ces communautés s'est effrité, suscitant l'éclatement des familles et un climat de violence.

D.B. - Et les riches, comment s'en sont-ils sortis ?

D.P. - Ils ont rebondi et, du coup, accentué le fossé entre eux et le reste de la société. Mais le changement le plus préoccupant observé chez l'élite est son nouveau détachement face à ses concitoyens et aux questions nationales. À force de sillonner la planète pour leurs affaires, les riches se considèrent bien plus comme des citoyens du monde que comme des Américains. Du coup, leur sens des responsabilités civiques est plus faible que celui des élites des générations précédentes. Cela se résume dans cette observation que m'a faite un pdg parlant de ses activités en Chine : "Tirer trois Chinois de la pauvreté en leur donnant du travail, en éliminant un emploi aux États-Unis, ce n'est pas si mal." Mathématiquement, ce pdg n'a pas tort. Mais, pareille réflexion n'augure rien de bon pour l'économie américaine.

D.B. - Terminons en parlant des solutions : on réduit la dette ou on y va de mesures incitatives ?

D.P. - L'urgence se situe du côté de la relance. Toute décision entraînant une contraction de l'économie serait une erreur. On s'occupera de la dette dans deux ou trois ans lorsqu'on aura "réparé" l'économie.

"Cela s'est déjà produit trois fois dans l'histoire récente : en 1890, au début des années 1930 et lors du choc pétrolier de 1970. Ces crises ont déclenché des années de désillusion. La politique est devenue plus mesquine et les communautés ont changé de visage."

LE CONTEXTE

Plus de 14 millions d'Américains sont sans emploi. Certains, depuis deux ans. Les cicatrices de la crise de 2009 sur le tissu social commencent à apparaître. Don Peck est l'un des premiers observateurs à les mettre en lumière si justement.

SAVIEZ-VOUS QUE...

Les crises fragilisent les adultes, mais elles rendent les adolescents plus résilients et plus adaptables.

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