" Notre gouvernement ne puise sa légitimité que dans notre boom économique "

Publié le 13/11/2010 à 00:00

" Notre gouvernement ne puise sa légitimité que dans notre boom économique "

Publié le 13/11/2010 à 00:00

Par Diane Bérard

À 38 ans, Isaac Mao est une star du monde des affaires chinois. Membre du Forum économique mondial, conférencier international respecté, c'est un des rares capital-risqueur de la Chine. Sa firme, United Capital Investment, investit dans le secteur Internet, les technologies de l'information, le commerce et les nouvelles formes d'énergie. Ardent défenseur de la liberté d'accès à Internet, il tient un blogue depuis 2002 (isaacmao.com). Pour lui, le développement de la Chine passe par l'innovation, et celle-ci ne peut exister que dans une culture ouverte sur le monde. Nous l'avons joint à son domicile de Shanghai. La communication, via Skype, a été coupée à trois reprises pour cause de bande passante insuffisante. Chaque fois, M. Mao a eu recours à un fournisseur Internet différent.

Diane Bérard - Comme entrepreneur, investisseur et blogueur, vous êtes très militant. Craignez-vous pour votre vie ?

Isaac Mao - En Chine, personne ne peut dire qu'il se sent en sécurité. Même les riches ne sont pas à l'abri. S'ils ne sont pas associés au bon cercle de pouvoir, ils peuvent se voir retirer tous leurs privilèges d'un coup et se retrouver en prison. Les fonctionnaires non plus ne sont pas immunisés. Par exemple, l'ancien secrétaire du Parti communiste de Shanghai était un homme très puissant, jusqu'au jour où son supérieur de Beijing l'a pris en grippe et jeté en prison sous une pluie d'accusations. Pour ma part, je suis prudent. Je n'aborde jamais de questions politiques sur mon blogue.

D.B. - Vous dites ne pas faire de politique, mais vous militez pour un Internet libre...

I.M. - Je suis un homme d'affaires, j'aborde Internet sous l'angle du développement économique. Une économie a besoin d'innover pour progresser; or, l'innovation est une question de connaissances. Comment voulez-vous qu'un peuple innove sans se nourrir de ce qui se passe ailleurs ? Comment bâtir une entreprise sans connaître la concurrence ? Notre gouvernement affirme que nous devons cesser d'être un peuple de sous-traitants et innover, mais la censure qu'il exerce va à l'encontre même de son discours.

D.B. - Vous dirigez le fonds United Capital Investment Group. En quoi le secteur du capital-risque chinois est-il différent de celui, par exemple, des États-Unis ?

I.M. - Les conditions sont très différentes. L'industrie chinoise du capital-risque est jeune, elle a à peine 14 ans. Les écueils sont nombreux. D'abord, il s'agit d'un marché des capitaux immature qui nous laisse peu de canaux lorsque vient le temps de liquider notre participation dans une entreprise. Ensuite, il est difficile de trouver de bonnes candidates dans lesquelles investir. Plusieurs entrepreneurs chinois se contentent de copier les produits et les services qu'ils voient en Occident. Et puis, le comportement de l'État décourage l'entrepreneuriat : dès qu'il découvre un secteur lucratif, il s'y infiltre et vient ainsi concurrencer directement le secteur privé.

D.B. - Pourquoi affirmez-vous que, contrairement à ce que croient les Occidentaux, l'État chinois est plus présent dans l'économie qu'il y a 10 ans ?

I.M. - L'État chinois ne se retire pas de l'économie : il occupe encore plus de place. D'abord, il a permis au capitalisme de se développer. Et, maintenant que les entrepreneurs ont fait tout le travail, l'État revient dans l'économie pour ramasser la grosse part du gâteau en démarrant des sociétés d'État dans les secteurs les plus lucratifs ou en réclamant des pots-de-vin aux entreprises rentables. Cela m'est arrivé personnellement. En 1998, j'ai démarré ce qui est devenu la plus importante société de logiciels éducatifs de la Chine. Je l'ai vendue en 2002, parce que l'État me mettait de plus en plus de bâtons dans les roues, en subventionnant mes concurrents proches du Parti communiste, par exemple.

D.B. - La dictature était-elle une condition nécessaire pour que la Chine s'organise et émerge comme puissance économique ?

I.M. - Non. Ce n'est pas la politique qui est venue au secours de l'économie, mais bien l'économie qui sert à justifier le régime en place. Notre gouvernement ne puise sa légitimité que dans notre boom économique. C'est d'une tristesse ! Beijing sacrifie tout au nom de la croissance du PIB.

D.B. - Quel pouvoir les gens d'affaires chinois ont-ils ?

I.M. - Ils en ont de moins en moins. En fait, seuls les gens d'affaires qui gravitent autour du gouvernement ont du pouvoir.

D.B. - Les sociétés multinationales présentes en Chine ont-elles davantage de pouvoir ?

I.M. - Leur lune de miel avec l'État chinois s'est terminée brutalement en mars 2008, alors que le gouvernement de Beijing a dévoilé ses nouvelles règles pour l'investissement étranger. Jusque-là, il y avait deux séries de lois : celles pour les étrangers et celles pour la population locale. L'économie chinoise avait besoin d'argent étranger pour décoller; ce n'est plus le cas maintenant. La Chine s'asseoit désormais à la même table que les grandes puissances; elle négocie ses privilèges avec les gouvernements étrangers. Et les multinationales présentes ici sentent la compétition des sociétés d'État. Parlez-en à Google : deux sociétés d'État viennent d'annoncer qu'elles vont créer un moteur de recherche local qui concurrencera Google mais aussi Baidu, une société d'ici.

D.B. - Que souhaitez-vous pour votre pays ?

I.M. - Internet est notre seul espoir. Le changement ne viendra pas du monde traditionnel. La technologie, par contre, a le pouvoir de changer les structures sociales. Nos médias traditionnels sont des instruments de propagande, mais le gouvernement ne peut ignorer les citoyens de plus en plus nombreux qui s'expriment sur Internet.

Le pourquoi

Les gens d'affaires chinois parlent peu aux médias et encore moins aux médias occidentaux. Notre vision de leur univers et de leur quotidien repose surtout sur les commentaires d'expatriés à l'emploi de sociétés multinationales installées en Chine. Les propos d'Isaac Mao viennent jeter un autre éclairage sur le boom économique chinois.

Le chiffre

4,5

Total des investissements, en millions de dollars, de United Capital Investement, la firme de capital-risque d'Isaac Mao. Une somme provenant de la vente de son entreprise de logiciels, en 2002.

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