Huit observations

Publié le 01/11/2008 à 00:00

Huit observations

Publié le 01/11/2008 à 00:00

Entretien avec Martin Boyer, spécialiste du risque. Le directeur du Département de finance de HEC Montréal croit que la crise financière américaine relève bien plus de la naïveté que de la cupidité.

1. La crise financière américaine a été causée par une erreur humaine.

Toutefois, contrairement à ce que pense l'opinion publique, cette faille ne résulte pas de la cupidité. "L'appât du gain n'est pas le problème, insiste le professeur Boyer. Au contraire, c'est lui qui fait rouler le système. Il est à la base de l'économie de marché. Le système fonctionne parce que les gens veulent s'enrichir. Et la grande majorité le fait en utilisant des méthodes légales. Les escrocs demeurent minoritaires."

Martin Boyer, directeur du Département de finance de HEC Montréal

Le problème tient plutôt à l'amnésie collective qui a frappé le monde des affaires et la population en général. "Quinze ans sans récession nous ont fait croire que nous pouvions éliminer ce mot et cette réalité de nos vies. Avec pour conséquence que de bons outils de financement, comme le papier commercial adossé à des actifs (PCAA), sont devenus des produits toxiques parce que nous les avons mal utilisés, pensant qu'aucune tempête ne se lèverait plus."

2. Les indicateurs positifs étaient en fait un signal d'alarme.

Le nombre de faillites en est un bon exemple, souligne Martin Boyer. Celles-ci sont en baisse constante depuis plusieurs années. De quoi célébrer ? Pas vraiment. Moins de faillites peut signifier que tout va pour le mieux ou que tout va très mal, prévient le spécialiste du risque. Il faut considérer cette mesure en rapport avec d'autres indicateurs. Dans le cas présent, c'était de mauvais augure. "Surfant sur plusieurs années de croissance ininterrompue, les entreprises en difficulté ont pu rembourser leurs dettes grâce aux faibles taux d'intérêt. Le financement était facile et chacun était convaincu que l'année suivante serait meilleure." Le système ne s'est pas "nettoyé" et le capital n'a pas été réalloué de façon plus efficace. Ce qui explique la correction brutale que nous subissons aujourd'hui. "C'est cruel, mais nécessaire. Nous payons pour des années de gaspillage des ressources. L'argent non productif doit disparaître du système."

3. La "nouvelle économie" n'a jamais existé.

Il n'y a jamais eu de nouvelle économie. Cette vue de l'esprit est en partie responsable de la crise actuelle. "Tout est - et sera toujours - une question d'offre, de demande, de prix et de quantité. Et il n'existe qu'une seule mesure adéquate de la rentabilité d'une entreprise : ses flux monétaires." Mais voilà qu'est apparu le secteur Internet, qui ne répondait à aucune des règles classiques de l'analyse financière : pas d'actif, pas de revenus, pas de flux monétaire. "Au lieu de conclure qu'il y avait un os et de se méfier, nous avons choisi d'inventer de nouvelles mesures de rentabilité, rien que pour les entreprises de ce secteur. Comme si un système pouvait fonctionner alors qu'une de ses parties suit ses propres règles."

4. Le papier commercial adossé à des actifs (PCAA) et les autres produits financiers sont innocents.

"Ce sont tous de bons outils de financement et de bons instruments d'investissement pour les entreprises qui ont beaucoup de liquidités." Le papier commercial adossé à des actifs, par exemple, permet aux entreprises de financer leurs comptes clients. Et les Credit Default Swaps (CDS) servent aux investisseurs d'assurance contre les décotes. Ainsi, une caisse de retraite qui possède 30 millions de dettes de Bombardier paie une prime (le CDS) pour s'assurer de ne pas perdre d'argent si la cote de l'avionneur est revue à la baisse. "Il existe des raisons logiques qui justifient l'existence de ces produits financiers. Mais ils ont été vendus en tenant compte d'une fausse prémisse : qu'il n'y aurait pas de récession. Donc, qu'il n'y aurait pas de décotes massives ou de masses de clients en défaut de paiement, bref que le système ne connaîtrait plus jamais de crise de liquidités." C'est un peu comme si vous élaborez une assurance-catastrophe dans un contexte où il n'y a pas eu d'ouragan depuis 15 ans et que, cette année-là, quatre tempêtes frappent en même temps !

5. Quinze ans sans récession, c'est trop long.

"Il y a toute une génération de courtiers qui étaient trop jeunes pour même épeler le mot "récession" pendant celle qui a eu lieu en 1991 !" Quant à ceux qui sont assez vieux pour l'avoir connue, ils se sont laissé prendre par le concept de nouvelle économie et porter par un optimisme débridé. Sans compter qu'un système qui ne se nettoie pas pendant 15 ans accumule les inefficacités.

6. La réglementation a augmenté le risque au lieu de le réduire.

Si Martin Boyer attribue la crise financière actuelle en partie à notre naïveté face aux risques de récession, il pointe aussi vers une autre preuve de notre crédulité : penser que la réglementation nous mettait à l'abri. "En forçant les banques américaines à conserver une réserve pour garantir leurs investissements plus risqués, nous les avons incitées à sortir ces risques de leur bilan. Et nous avons obtenu l'effet inverse de celui qui était désiré : nous avons injecté du risque dans le système." Si ces investissements risqués étaient restés au bilan, ajoute-t-il, le marché aurait fait pression pour qu'ils soient mieux gérés. Toutefois, privé d'information, le marché n'a pas pu intervenir. "Il était naïf de penser que ces règles réduiraient le risque. Ceux qu'elles visaient étaient plutôt encouragés à les contourner parce qu'elles étaient trop coûteuses."

7. Les financiers ont les mêmes problèmes d'anticipation que le reste de la population.

Comment tous les experts de la finance, dans les institutions financières comme dans les entreprises, ont-ils pu être aussi imprudents ? Au moment d'évaluer le risque, les financiers ne diffèrent pas du commun des mortels, rappelle Martin Boyer. Ils sont convaincus de pouvoir prédire l'avenir mieux que les autres. "Tout comme chacun de nous croit qu'il est un excellent conducteur !" blague-t-il. Et les financiers prennent leurs décisions de la même manière que la plupart d'entre nous : en écartant la possibilité d'événements perturbateurs. Dans le cas présent, ils ont vendu ou acheté des produits financiers sans jamais envisager la possibilité d'une triple crise : celle du financement à court terme (PCAA), du financement à long terme (CDS) et du marché immobilier.

Peu importe ce que nous en pensons aujourd'hui, le fait de croire que l'on peut prédire l'avenir apporte plus de bénéfices que de coûts. "Sans cette conviction, aucun projet d'affaires ne se réaliserait jamais et il n'y aurait pas de développement économique."

8. Le système se réparera de lui-même... à moyen terme.

Nous serons tous plus riches dans 20 ans. Martin Boyer en est convaincu. Dans deux semaines ou dans deux mois ? Rien de moins sûr. "Si nous n'injectons pas suffisamment de liquidités rapidement pour permettre aux banques de recommencer à prêter, aux entreprises de réaliser des projets et aux individus de conserver leur maison, nous pourrions entrer dans une récession qui pourrait durer trois ans. Le système doit redémarrer au plus vite."

À la une

Le Québec pâtira-t-il de la guerre commerciale verte avec la Chine?

17/05/2024 | François Normand

ANALYSE. Les producteurs d’acier craignent que la Chine inonde le marché canadien, étant bloquée aux États-Unis.

Bourse: Wall Street finit en ordre dispersé, le Dow Jones clôture au-dessus des 40 000 points

Mis à jour le 17/05/2024 | lesaffaires.com, AFP et Presse canadienne

REVUE DES MARCHÉS. La Bourse de New York a terminé en ordre dispersé.

À surveiller: AtkinsRéalis, Boralex et Lightspeed

17/05/2024 | Charles Poulin

Que faire avec les titres AtkinsRéalis, Boralex et Lightspeed? Voici des recommandations d’analystes.