Aéroplan accumule des points

Publié le 01/01/2009 à 00:00

Aéroplan accumule des points

Publié le 01/01/2009 à 00:00

Groupe Aéroplan vient de réaliser sa première acquisition. Son but : devenir le leader mondial de la gestion de la fidélisation. Voici le premier pion de cette stratégie.

Dans les allées du supermarché Sainsbury's, au Royaume-Uni, un consommateur anglais déambule pour faire ses emplettes. À la caisse, il présente sa carte de fidélité Nectar, comme d'habitude, et récolte quelques précieux points qui lui permettront de s'offrir un autocuiseur, une caméra numérique, ou le nec plus ultra, une croisière sur un bateau de luxe. Bref, tout semble être comme d'habitude. En réalité, pas tout à fait : Nectar, son programme de fidélisation, vient de passer sous le contrôle d'une entreprise canadienne.

En effet, en décembre 2007, Groupe Aéroplan, le propriétaire du programme de fidélisation du même nom, a fait l'acquisition de la britannique Loyalty Management Group (LMG) pour 715 millions de dollars. La société privée, établie à Londres, est un chef de file du marketing de fidélisation qui développe et gère des programmes dans le monde, notamment Air Miles au Royaume-Uni, au Canada, en Espagne et au Moyen-Orient. Une des pièces maîtresses de ce groupe, c'est la division Nectar, le premier programme de fidélisation du Royaume-Uni, qui compte environ la moitié des ménages comme membres.

Depuis cette acquisition, Groupe Aéroplan a bien changé. En un an, il a intégré sa cible. Et, grâce à l'expertise de cette dernière, il a fait entrer l'épicier Sobey's dans sa coalition de partenaires. De fonds de revenu qu'il était, il s'est converti en société pour ouvrir son capital. Bref, en 12 mois, il a signifié son intention de devenir un leader mondial en gestion de la fidélisation. Voici un premier bilan.

Les complémentarités

En mettant la main sur Nectar, grâce à l'acquisition de LMG, Aéroplan poursuit la diversification de ses risques et revenus (voir l'encadré ci-dessus), mais il est surtout allé chercher un outil bien précis : une expertise dans le commerce de détail. Le programme de fidélisation britannique, qui compte 11 millions de membres actifs, est passé maître dans l'art de bâtir une coalition avec des partenaires dans le commerce de détail. Nectar, c'est 15 partenaires qui permettent d'accumuler des points, 6 000 points de vente et une trentaine de partenaires qui offrent des récompenses. Son tout premier partenaire est la chaîne d'épiceries Sainsbury's, qui représente 61 % de ses revenus. C'est ainsi qu'au Royaume-Uni, une carte Nectar est glissée dans un terminal toutes les 20 secondes.

Jasmin Bergeron, professeur de marketing à l'UQAM, voit d'un bon oeil la présence de partenaires dans le commerce de détail, dans quelque programme de fidélisation que ce soit : "C'est important d'avoir des détaillants dans son offre de partenaires, car ce n'est pas tous les jours qu'on s'achète quelque chose qui permet d'accumuler beaucoup de points d'un coup, comme un billet d'avion, par exemple. Il faut que les consommateurs puissent accumuler des milles facilement et régulièrement. Sinon, ils devront attendre 10 ans avant de pouvoir s'offrir quelque chose d'intéressant." Avec le risque que les gens décrochent du programme de fidélisation.

Mais il n'y en a pas que pour Aéroplan dans cette affaire : Nectar tire lui aussi profit de l'expertise du programme canadien. Depuis son bureau londonien, Tony Buffin, vice-président général et directeur délégué de Groupe Aéroplan-Europe (il était chef des affaires financières chez LMG avant l'acquisition), témoigne : "Ce qui nous plaisait chez Aéroplan, c'est sa capacité à développer et à gérer les partenariats dans le domaine du voyage. Quand on a ce type de partenaires dans sa coalition, les membres ont tendance à rester plus longtemps dans le programme. Il y a un engagement émotif, parce que ce type de récompense a plus de valeur qu'un nouveau grille-pain. C'est cet engagement que nous aimerions développer chez nos membres."

Ainsi, Aéroplan utilise l'expertise de Nectar (avec l'épicier Sainsbury's) pour augmenter sa pénétration dans le commerce de détail. Nectar, de son côté, améliore sa plateforme en ajoutant des partenaires dans l'univers du voyage et en utilisant mieux ses partenaires financiers, à l'instar du modèle d'Aéroplan avec Air Canada, CIBC et AMEX qui, à eux trois, constituent 89 % de ses revenus. "Nous nous échangeons nos recettes", dit Marc Trudeau, vice-président, Stratégie et Développement de Groupe Aéroplan. Et cela a porté ses fruits. En août dernier, Nectar accueillait dans son éventail de partenaires son tout premier voyagiste, et pas le moindre : Expedia, le plus important site d'achat de voyages en ligne du monde. Le mois suivant, la bannière des supermarchés Sobeys entrait dans la coalition d'Aéroplan.

Pour Louis Hébert, professeur de stratégie à HEC Montréal, cet échange de bons procédés crée une situation idéale : "La tentation, dans toute acquisition, c'est d'absorber et de digérer la cible. Et ce faisant, le rouleau compresseur écrase les expertises et les connaissances." Jean-Marc Bougie, directeur, Finance corporative, chez RBC Capitaux, ajoute : "Il faut s'assurer que la cible acquise n'est pas affaiblie et qu'elle grandit à l'intérieur de sa nouvelle famille".

Aéroplan et Nectar semblaient faits l'un pour l'autre. La seule chose qui peut paraître étonnante, c'est que le petit poisson, fort de quatre millions de membres, a mangé le gros. "Ce l'est moins quand vous considérez la taille de la business", souligne Tony Buffin. En effet, les revenus de LMG (y compris ceux de Nectar) devraient se chiffrer à plus de 400 millions de dollars pour 2008, tandis que ceux d'Aéroplan dépasseront un milliard de dollars, et ce, avec environ trois fois moins de membres ! En guise d'explication, le gestionnaire britannique rappelle que, forts d'un revenu annuel de 50 000 dollars, les membres du programme Nectar appartiennent généralement à la classe moyenne. Dans le cas du programme canadien, 80 % des ménages dont le revenu dépasse 100 000 dollars détiennent la carte Aéroplan. Ils voyagent plus souvent, de par leur travail, et ils consomment plus.

Les risques

La réussite d'une acquisition ne repose pas seulement sur le choix de la cible. L'intégration a aussi un rôle important à jouer. Pour Patrick-Claude Dionne, vice-président, spécialiste du financement international, chez Raymond Chabot Grant Thornton, la rapidité avec laquelle ces annonces ont été faites est le signe d'une intégration réussie. "Si l'intégration est mal faite, la meilleure des acquisitions peut être désastreuse. C'est pour cela qu'il est essentiel d'agir rapidement, afin de donner une direction à la nouvelle entité et d'éviter le flottement." Avantage non négligeable, la vitesse de l'intégration permet également de rassurer les marchés : "Face à toute acquisition, le marché est pressé et ses attentes sont énormes, observe Louis Hébert. Il faut tout mettre en oeuvre pour prouver que la décision était la bonne, qu'on réalise les synergies prévues et qu'on a pris de la valeur".

Dans le cas d'Aéroplan, Michel Magnan, professeur et titulaire de la Chaire de comptabilité Lawrence-Bloomberg à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia, se montre prudent : "Le flux de trésorerie en provenance de l'exploitation est en baisse pour les six premiers mois de l'année. Et la marge nette résultant de l'acquisition me semble mince", observe-t-il. Il s'inquiète de la récession au Royaume-Uni, qui risque de plomber les prochains résultats. Il faut aussi mentionner le risque financier lié aux déboires d'Air Canada. Après tout, Aéroplan tire encore 25 % de ses revenus de ce transporteur en difficulté. Pour sa part, Claude Proulx, de BMO Nesbitt Burns, n'est pas si enthousiaste face à l'entente prise avec Sobeys, inspirée de celle qu'a développée Nectar avec Sainsbury's. Il souligne que le partenariat ne permettra pas à Aéroplan de facturer tous les milles offerts aux clients de l'épicier, car ces derniers ont le choix de cumuler des points soit chez Sobeys, soit chez Aéroplan. Certes, ils peuvent convertir leurs points Sobeys en milles Aéroplan s'ils le veulent, mais à raison de deux points pour un mille. Le feront-ils ?

Toutefois, les synergies, elles, semblent au rendez-vous, d'après Marc Trudeau : pas tant sur le plan des coûts, car les programmes de fidélisation, utilisant des bannières nationales comme partenaires, se définissent par leurs frontières géographiques. Aucun consommateur canadien n'aurait intérêt à se procurer une carte Nectar. (Ce qui n'est pas le cas d'Aéroplan, dont la coalition comprend des transporteurs aériens : du coup, 15 % de ses membres ne sont pas canadiens, et presque exclusivement des voyageurs d'affaires). Les synergies se réalisent plutôt au chapitre du développement d'entreprise, car il faut une équipe considérable pour parcourir la planète à la recherche de partenaires qui enrichiront la coalition. "Maintenant, nous avons une meilleure présence dans le monde, dit Marc Trudeau. Nous parlons plus de langues et nous avons plus d'expertises, qu'il s'agisse de voyages, de cartes de crédit ou de commerce de détail."

La suite

Et surtout, Groupe Aéroplan a plus d'impact. "Grâce à la présence d'Aéroplan, nous pouvons approcher de grandes sociétés publiques auxquelles nous n'avions pas accès auparavant, confie Tony Buffin. Nous avons gagné plus de crédibilité." Les sociétés dont il parle, ce sont de nouveaux partenaires, mais aussi des sociétés auxquelles Groupe Aéroplan veut fournir des services de gestion de programmes de fidélisation. Judicieux, si l'on en croit Jean-Marc Bougie : "Un des actifs les plus importants d'Aéroplan, c'est son expertise dans le développement et dans la gestion de ce genre de programmes de fidélisation. C'est sa propriété intellectuelle."

Cette propriété intellectuelle sera en effet un de ses instruments de croissance dans des marchés qui ont une masse critique où la fidélisation est peu développée. À cet égard, la conversion du fonds de revenu Aéroplan en société de capitaux, en juin dernier, n'est pas un geste anodin, puisque désormais, la propriété étrangère du capital n'est plus limitée. L'expérience d'Aéroplan pourra également servir à l'acquisition de programmes déjà existants, comme ceux de transporteurs aériens en restructuration. À l'instar de sa propre émancipation d'Air Canada en 2003 (voir l'encadré de la page 32), il pourra mener le programme à son premier appel public à l'épargne et se faire payer en équité.

Les possibilités de croissance ne s'arrêtent pas là. En plus de Nectar, LMG compte aussi la division Insight & Communications (I&C), dont les analyses des paniers d'épicerie ont pour but de permettre aux grands détaillants et aux groupes de produits de consommation courante de comprendre le comportement des consommateurs. Par exemple, en analysant le contenu de paniers d'épicerie, I&C a découvert qu'il existe un lien entre la bière et... les couches pour bébés ! Tout simplement, de jeunes pères se rendent à l'épicerie le soir pour y acheter des couches et en profitent pour prendre une caisse de bière. Ce type d'analyse constitue une mine d'informations pour les fournisseurs de supermarchés, tels que Unilever ou Kellog's, qui peuvent alors réaménager physiquement les produits ou organiser des promotions conjointes. En plus de devenir un leader en gestion de la fidélisation, Aéroplan, au moyen d'I&C, veut devenir un pont entre les marques et les consommateurs.

Groupe Aéroplan semble bien parti avec ce premier pion de sa stratégie internationale. "La seule mauvaise surprise, c'est la situation économique mondiale et la récession au Royaume-Uni, avoue Marc Trudeau. Mais il se pourrait que les temps durs fidélisent davantage les gens..."

11 MILLIONS

C'est le nombre de membres du programme de fidélisation Nectar acquis par Aéroplan.

6 000

C'est le nombre de points de vente où les membres Nectar peuvent échanger leurs points.

61 %

C'est la proportion des revenus de ce programme qui provient de la chaîne d'épiceries Sainsbury's.

20 secondes

C'est la fréquence à laquelle une carte de fidélité Nectar est glissée dans un terminal Sainsbury's.

aude.perron@transcontinental.ca

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