Geneviève Gagnon, fondatrice, La Fourmi bionique: «C’est sécurisant de s’associer et de prendre des investissements, mais cet argent vient avec un coût. Qu’est-ce qu’un entrepreneur est prêt à céder pour ça?» (Photo: courtoisie)
Près de 20 ans après avoir fondé La Fourmi bionique, Geneviève Gagnon est redevenue l’unique propriétaire de son entreprise qui produit des céréales pour le petit déjeuner.
« C’est un énorme soulagement, confie-t-elle en entrevue téléphonique. Maintenant que je suis libérée, c’est incroyable. J’ai réalisé que j’avais un boss, même si c’était mon entreprise. »
Ce poids qui s’enlève de ses épaules n’avait rien à voir avec la personnalité de cet autre actionnaire (minoritaire) qui a « toujours fait preuve de confiance et de bienveillance », selon l’entrepreneuse. C’était plutôt la convention d’actionnaires qui lui imposait des contraintes qu’elle jugeait abusives. Elle devait notamment obtenir son approbation pour toute dépense de 5000 $ ou plus.
« C’était très défavorable à mon indépendance et à ma marge de manœuvre comme gestionnaire pour faire croître ma PME, précise la patronne. L’autre actionnaire avait un droit de regard sur plein de choses, comme ce qui concerne les salaires. Il ne l’a pas exercé, mais par écrit, il avait ces pouvoirs. Je devais soumettre des rapports tous les mois. C’était stressant. »
Des bévues
Geneviève Gagnon reconnaît avoir commis des erreurs lorsqu’elle a signé une convention d’actionnaires il y a une quinzaine d’années, notamment concernant les modalités de versement de dividendes, qui l’empêchaient d’être rémunérée de cette manière.
« J’étais au même rang que les autres actionnaires, explique-t-elle. Si je me versais un dividende, les autres recevaient un montant proportionnel. C’est une erreur de recrue. »
Elle souligne également qu’elle cautionnait « seule à 100 % » des obligations d’entreprises de manière personnelle comme si elle était l’unique actionnaire de la PME montréalaise.
« J’ai songé à renégocier la convention, mais on me disait que c’était mieux de ne pas remuer les choses », dit-elle.
Simon Clément, associé directeur du bureau de Québec et de Trois-Rivières pour le cabinet d’avocats Lavery, est d’accord pour dire que cela n’aurait pas été une bonne idée.
« On ne veut pas trop jouer dans la convention d’actionnaires, car c’est complexe et cela peut amener de la bisbille », affirme ce juriste en litige commercial qui connaît très bien ce type de document juridique.
Pour les seuils de dépenses, il souligne qu’un montant de 5000 $ peut être significatif pour une jeune entreprise avec un faible chiffre d’affaires. Il reconnaît toutefois qu’au fur et à mesure que la PME croît, cela peut devenir un fardeau. Il préconise donc d’inclure une clause qui permette de rehausser ce seuil au fil du temps.
Assurer un suivi
L’avocat déclare qu’il est impératif de se doter d’une convention d’actionnaires. Elles sont généralement assez standardisées afin d’établir les règles entre les différents partenaires d’affaires, de protéger les actionnaires et d’éviter les complications en cas de confit.
« Le contrat entre actionnaires, c’est un peu comme un contrat de mariage ; c’est utile quand ça va mal, juge-t-il. Il a pour but d’assurer la pérennité de l’entreprise en prévoyant l’imprévisible. »
Une convention d’actionnaires mentionne clairement l’identité des propriétaires d’entreprise et leurs rôles. Elle stipule les pouvoirs concernant les droits de vote et de participation aux décisions d’administration, d’opération et de financement. Elle prévoit aussi des modalités en cas de vente ou de transfert d’actions, d’influx de capital ainsi que de décès, maladie ou invalidité. Des clauses de non-concurrence sont généralement incluses. Elle devrait également détailler la nature des activités de l’entreprise et des pénalités s’il y a fraude ou non-respect de certaines normes.
« La clause d’évaluation de l’entreprise est la chose la plus contestée, note Simon Clément. En cas de vente, l’acheteur désire payer moins et le vendeur souhaite obtenir le plus possible. Les lacunes qu’on retrouve ne sont pas tellement dans la rédaction de la convention, mais dans le suivi. Par exemple, de ne pas faire une évaluation comptable annuelle de l’entreprise. Il faut ajuster la convention d’année en année. »
Dans le cas de La Fourmi bionique, la vente du bloc d’action détenu par le dernier actionnaire minoritaire s’est réalisée sans dispute. Malgré tout, Geneviève Gagnon recommande aux entrepreneurs qui accueillent des investisseurs de demeurer vigilants et d’être bien conseillés.
« C’est sécurisant de s’associer et de prendre des investissements, mais cet argent vient avec un coût, croit-elle. Qu’est-ce qu’un entrepreneur est prêt à céder pour ça ? »
La présidente de La Fourmi bionique se considère tout de même comme chanceuse. « C’est un heureux dénouement, dit-elle avec enthousiasme. On vient de faire des agrandissements et des investissements pour accroître la production. On a aménagé un espace dédié aux produits sans gluten. On est à l’aube de vivre une croissance importante : 2024 s’annonce comme une belle année. La vie fait bien les choses ! »
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