L’inflation force le secteur à s’adapter et à être flexible
François Normand|Édition de la mi‑septembre 2022«L’inflation va avoir un impact sur plusieurs postes budgétaires des entreprises. Il faut donc planifier en conséquence pour protéger les liquidités», selon Pierre-Laurent Boudrias, ingénieur et conseiller manufacturier, Sous-traitance industielle Québec
SECTEUR MANUFACTURIER ET INFLATION. Les entreprises devront être patientes: l’inflation demeurera élevée au Canada en 2022 et en 2023, mais elle devrait redescendre à un niveau plus normal en 2024, selon la Banque du Canada.
En juin, l’indice des prix à la consommation (IPC) a progressé de 7,6 % par rapport au même mois l’an dernier, soit un léger recul comparativement à juin (8,1 %), selon Statistique Canada. Or, il s’agit d’une donnée mensuelle ; les données annuelles brossent un portrait plus réaliste.
Par exemple, en 2021, l’IPC moyen s’est établi à 3,4 %. Ce taux est légèrement plus élevé que la fourchette d’inflation de la Banque du Canada, située pour sa part entre 1 % et 3 %.
Les choses se gâteront toutefois en 2022, avec une inflation qui devrait s’établir à 7,2 %, selon l’institution fédérale. En revanche, elle table sur un IPC qui atteindra 4,6 % en 2023, pour un retour à une inflation dite normale à 2,3 % en 2024.
Les prévisions sont plus optimistes aux États-Unis, où l’inflation s’est pourtant établie à 9,1 % en juin 2022, selon le U.S. Bureau of Labour Statistics.
Cette année, l’inflation devrait y atteindre 5,2 %, selon la Réserve fédérale américaine (Fed). L’institution prévoit qu’en 2023 et en 2024, l’IPC aux États-Unis devrait s’établir respectivement à 2,6 % et 2,2 %.
Un voile d’incertitude
Malgré ces prévisions des banques centrales, il est difficile d’anticiper avec certitude le taux d’inflation d’ici 2024. Cette situation crée beaucoup d’incertitude auprès des entreprises, selon Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec.
« Un de nos membres m’a dit qu’il ne sait plus comment coter sur les prix », confie-t-elle, en expliquant que les entreprises manufacturières doivent constamment s’adapter et être flexibles.
Le président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec (CPQ), Karl Blackburn, constate la même incertitude auprès des grandes entreprises québécoises.
« La hausse de l’inflation et des taux d’intérêt inquiète, mais aussi le contexte international et le risque de récession », dit-il, en précisant que la moitié des membres du CPQ ont reporté un projet d’investissement en raison de cette incertitude.
Cela dit, l’inflation est appelée à diminuer, car la Banque du Canada a commencé à augmenter son taux directeur pour combattre la hausse des prix. Des taux d’intérêt plus élevés incitent les consommateurs et les entreprises à diminuer leurs dépenses, ce qui réduit la demande globale.
Actuellement, le taux directeur s’établit à 2,50 %. La banque centrale pourrait annoncer une nouvelle hausse le 7 septembre, et d’autres pourraient suivre en 2022 et en 2023.
Réduire les attentes psychologiques
« Pour réduire l’inflation, la Banque du Canada doit casser les attentes psychologiques des agents économiques », explique Mario Fortin, professeur au Département d’économique à l’Université de Sherbrooke.
Par exemple, si les agents économiques s’attendent à terme à une inflation de 4 %, le taux directeur doit donc être supérieur à ce niveau, selon la théorie économique.
Les attentes des consommateurs et des entreprises sont connues au pays, selon deux enquêtes publiées par la Banque du Canada, en juillet.
Ainsi, au deuxième trimestre de 2022, les consommateurs canadiens s’attendaient à une inflation de 5 % sur un horizon de deux ans. Quant aux entreprises, elles anticipaient une inflation de 3,4 % sur la même période.
C’est la raison pour laquelle il faut s’attendre à d’autres augmentations du taux directeur de la Banque du Canada afin de ramener l’inflation au pays dans une fourchette de 1 % à 3 %.
Steven Ambler, professeur en économie à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM) et chercheur à l’Institut C.D. Howe, estime toutefois que les attentes en matière d’inflation ne brossent pas nécessairement un juste portait de la situation.
« Il faut faire attention aux attentes inflationnistes, car elles sont influencées par le prix de l’essence », fait-il remarquer.
C’est la raison pour laquelle il s’attend d’ailleurs à ce que le taux directeur ne monte pas nécessairement à des niveaux si élevés. Il estime qu’il pourrait s’établir dans une fourchette de 3,25 % à 3,50 % dans un an, puis dans une fourchette de 2,75 % à 3 % dans deux ans.
Même si le taux d’inflation pourrait revenir à la normale en 2024, deux ans peuvent représenter une éternité pour une entreprise. C’est pourquoi les organisations doivent se préparer en conséquence à moyen terme, selon Sous-traitance industrielle Québec (STIQ), un important réseau de sociétés manufacturières.
« L’inflation va avoir un impact sur plusieurs postes budgétaires des entreprises. Il faut donc planifier en conséquence pour protéger les liquidités », insiste Pierre-Laurent Boudrias, ingénieur et conseiller manufacturier à la STIQ.