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Québec s’appauvrit en n’indexant pas la taxe sur les carburants

François Normand|Publié le 16 février 2024

Québec s’appauvrit en n’indexant pas la taxe sur les carburants

Les revenus tirés des prélèvements sur l’essence et les carburants à moteur par rapport PIB déclinent depuis 40 ans. (Photo: 123RF)

Le gouvernement du Québec se prive d’importantes sources de revenus en n’indexant pas la taxe sur les carburants, comme il le fait pourtant déjà pour l’alcool et le tabac. Cette situation mine sa capacité à financer correctement l’entretien des infrastructures routières et du transport en commun, sans parler, indirectement, de ses autres postes budgétaires comme la santé.

Voilà le principal constat d’une étude que vient de publier la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques (CFFP) de l’Université de Sherbrooke, qui s’intitule Taxation spécifique des carburants: vers une indexation du taux pour en protéger son rendement?

Luc Godbout, professeur titulaire à l’Université de Sherbrooke et chercheur principal à la chaire, et Michaël Robert-Angers, également chercheur, ont produit cette étude, en collaboration avec Camille Lajoie, une ancienne chercheuse à la chaire qui étudie actuellement à la London School of Economics.

«Avec le temps, la valeur réelle des taxes spécifiques sur le carburant, qui sont fixées à l’égard du volume transigé et non du prix, s’amenuise. La seule façon de redresser la valeur réelle de ces taxes est alors de procéder à une hausse de leurs taux, un choix gouvernemental impopulaire», souligne à Les Affaires Luc Godbout.

 

Déclin des revenus par rapport au PIB

Une statistique illustre bien cette problématique, soit l’évolution des revenus tirés des prélèvements sur l’essence et les carburants à moteur par rapport au produit intérieur brut (PIB), et ce, de 1981 à 2021.

Depuis une quarantaine d’années, ce pourcentage est en déclin dans toutes les provinces et au niveau fédéral.

Par exemple, au Québec, ce pourcentage dépassait 1,4% du PIB au début des années 1980. En 2021, il avait glissé sous la barre des 0,4%, malgré une légère remontée entre 2010 et 2013.

Il faut dire que les dernières hausses sur la taxe sur l’essence fédérale et provinciale ne sont pas récentes, ce qui confirme la réticence des gouvernements à remonter leur niveau.

Québec a modifié son niveau pour la dernière fois en 2013, tandis que la dernière hausse d’Ottawa remonte à 1995.

Selon Luc Godbout, le gouvernement du Québec pourrait certes recourir à une formule de taxation advalorem, c’est-à-dire une «taxe ascenseur», comme il l’a déjà fait du reste dans le passé, ainsi que d’autres provinces.

En revanche, cette approche ajouterait de la volatilité au prix final des carburants, explique-t-il.

C’est la raison pour laquelle l’étude souligne qu’une indexation annuelle statutaire des actuelles taxes volumétriques, comme dans le cas des droits d’accise sur les produits du tabac et les produits alcoolisés, est une meilleure stratégie.

«D’ailleurs une telle forme d’indexation est utilisée par certaines juridictions et plusieurs États américains», fait remarquer Luc Godbout.

En fait, 23 États américains indexent la taxe d’accise sur les carburants. De plus, au niveau fédéral, le Congressionnal Budget Office envisage aussi cette option pour réduire l’important déficit des États-Unis.

D’autres pays indexent leurs taxes volumétriques sur les carburants comme la Suède, les Pays-Bas et l’Australie.

La CFFP n’a analysé l’incidence potentielle d’une indexation de la taxe sur les coûts des entreprises au Québec, qui utilisent souvent du diésel.

Cela dit, pour les entreprises, une indexation annuelle serait plus facile à gérer qu’une taxe ascenseur volatile et plus imprévisible — la dernière hausse de la taxe fédérale sur le diésel remonte à 1987.

 

Incidence sur les autres postes budgétaires

La sous-évaluation de la valeur réelle de ces taxes sur les carburants est une problématique d’intérêt public.

C’est connu, les recettes tirées de ces taxes par Québec servent notamment à financer l’entretien et à construire des infrastructures de transport dans une perspective utilisateur-payeur, explique Luc Godbout.

Ce qui est moins connu, c’est que la sous-évaluation de la valeur réelle de ces taxes peut aussi avoir potentiellement une incidence sur les autres postes budgétaires, même sur la taxe sur les carburants qui est attribuée à un fonds dédié, le FORT.

«Si ce dernier est déficitaire, indirectement on se trouve à financer une plus grande proportion des infrastructures de transport à l’aide des prélèvements usuels (impôts sur le revenu, taxes à la consommation, etc.), cette dépense entre en compétition avec les autres missions de l’État», fait remarquer Luc Godbout.

Dans ce contexte, l’universitaire affirme qu’il faut aussi bien privilégier le recours au principe d’utilisateur-payeur.