Se lancer en affaires grâce à l’entrepreneuriat hybride
Emmanuel Martinez|Édition de la mi‑septembre 2022Elodie Lourimi Rezo, cofondatrice de la plateforme de vente et d’achat de vêtements de seconde main Upcycli (Photo: courtoisie)
ENTREPRENEURIAT. « Si j’avais continué, je serais devenue folle», confie Geneviève Samson, au sujet de sa décision de ne plus se consacrer uniquement à sa boutique en ligne My Little Flower Girl et de commencer à enseigner la commercialisation de la mode au cégep Marie-Victorin, à Montréal, en janvier dernier.
« Ce n’est pas parce que j’étais dans le rouge que j’ai pris cette job-là, mais parce que j’étais seule devant mon ordi depuis un an, raconte celle qui a fondé son entreprise de vêtements pour les bouquetières en 2021. C’est très solitaire, l’entrepreneuriat. Je ne croyais pas que j’allais me sentir si isolée. J’avais besoin de voir des gens. »
Il s’agit là d’une des raisons pour lesquelles l’entrepreneuriat hybride – parfois nommé flexipreneuriat –, qui consiste à avoir un emploi salarié tout en ayant une entreprise à soi, est si répandu au Québec. Environ 80 % des entrepreneurs émergents de la province occupaient un emploi ailleurs pour la période 2018-2020, contre 67 % dans le reste du Canada, selon le dernier rapport du Global Entrepreneurship Monitor. C’est également de plus en plus fréquent: cette proportion a augmenté de 12,8 % depuis 2013-2015 au Québec.
Développer des compétences
La montée de l’entrepreneuriat hybride est liée à la maturité économique d’un pays, estime Marc Duhamel, professeur d’économie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), qui étudie ce phénomène. Dans des États où les salaires sont élevés et le chômage faible, cette pratique réduit les risques financiers.
« L’entrepreneuriat hybride permet de tester de nouvelles idées pendant qu’on garde son emploi, explique-t-il. Dans les économies développées, l’innovation, qui est souvent basée sur du capital intangible, comme du savoir-faire ou de la propriété intellectuelle, est aussi plus difficile à financer de la part des banques. Par conséquent, travailler ailleurs sert à autofinancer son projet. »
C’est effectivement pour se renflouer qu’Elodie Lourimi Rezo, cofondatrice de la plateforme de vente et d’achat de vêtements de seconde main Upcycli, s’est pris un autre emploi. « C’est pour me stabiliser financièrement, dit-elle. Ce n’est pas vrai qu’on peut vivre décemment du salaire minimum en plus de réinvestir de l’argent dans l’entreprise. Ce n’est pas un choix, mais une nécessité. »
Toutefois, elle constate que travailler depuis l’an dernier comme conseillère en recrutement pour Cofomo a été une bénédiction. « Au lieu de ralentir la progression d’Upcycli, cela l’a propulsée, affirme-t-elle. Il n’y a pas une journée où je ne tire pas un apprentissage qui peut m’être utile. J’ai l’impression que je suis devenue une meilleure entrepreneuse ; j’ai appris à déléguer et j’ai développé d’autres compétences. »
Geneviève Samson ressent la même chose. « En préparant mes cours, je mets à jour mes notions de marketing numérique, par exemple. Et côtoyer des jeunes me nourrit. Je découvre leur point de vue en plus de m’ouvrir un nouveau réseau. Je trouve que mon emploi enrichit mon entreprise. »
Évidemment, le manque de temps représente un danger. « Le principal piège, c’est d’être trop pris avec le travail salarié, avertit Étienne St-Jean, professeur de management à l’UQTR et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la carrière entrepreneuriale. Cela peut constituer un frein parce que l’entrepreneur échappe des occasions. Plusieurs projets stagnent, car il n’a pas assez de temps. »
Bien qu’elle adore son nouvel emploi d’enseignante, Geneviève Samson reconnaît que cela a un effet sur la progression de sa PME. « J’ai baissé mes attentes par rapport à mon entreprise, admet-elle. Je consacre moins d’énergie au développement des affaires, donc c’est certain que mes ventes croissent moins vite. »
Elle est cependant très heureuse de la flexibilité offerte par ses deux défis professionnels, qui lui permet d’être présente pour ses enfants. D’ailleurs, l’entrepreneuriat à temps partiel est prisé par les mères.
Vive l’école !
Ce type d’entrepreneuriat est aussi l’apanage des étudiants. Jules Raymond a lancé sa boutique de sac en chanvre, Sac Échantillon, lorsqu’il était au cégep. Il soutient qu’être sur les bancs d’école lui a bien servi.
« Étudier m’a permis de participer à des concours, notamment ceux de l’Association des clubs d’entrepreneurs étudiants, souligne-t-il. J’ai gagné des prix qui ont servi à m’autofinancer. Cela m’a donné une notoriété : j’ai été nommé entrepreneur du mois et j’ai souvent fait partie des têtes d’affiche pour des événements. Cela m’a encouragé à continuer. »
« Cela en faisait beaucoup avec mes cours, mais toutes ces activités ont facilité la progression de mon entreprise », conclut-il.
De manière générale, la numérisation de l’économie facilite la création d’entreprise et l’entrepreneuriat hybride, croit Étienne St-Jean. « Un meilleur accès à la technologie permet aisément de structurer ses activités et d’aller chercher de clients, mentionne-t-il. Avec très peu de coûts technologiques, c’est plus facile de lancer une entreprise tout en conservant son emploi. » Il note que « c’est surtout vrai dans le secteur des services et de la distribution, mais bien moins dans le manufacturier ».
En somme, même si garder un emploi est encore vu par certains comme un signe de faiblesse lié à un manque de revenus, ce choix permet de prendre davantage son temps et de réinvestir les profits dans son initiative entrepreneuriale tout en fournissant une bouffée d’air frais pour persévérer.