«Après une année de réinvestissements, nous progressons bien»
Dominique Beauchamp|Édition de Décembre 2019Voilà un an qu'Éric Lefebvre a pris le flambeau du fondateur Stanley Ma à la tête du franchiseur de 7 441 ...
Voilà un an qu’Éric Lefebvre a pris le flambeau du fondateur Stanley Ma à la tête du franchiseur de 7 441 restaurants, mieux connu pour ses enseignes Thaï Express et Sushi Shop. Le PDG nous a accordé une entrevue où il fait le point sur sa stratégie et les nouveaux défis de la restauration.
DOMINIQUE BEAUCHAMP – Lors de votre nomination, en novembre 2018, vous avez évoqué un nouvel effort pour améliorer la croissance interne. Quels changements avez-vous apportés ?
ÉRIC LEFEBVRE – La nouvelle équipe canadienne a été finalisée dès la première semaine, avec la nomination d’un responsable pour chacun des segments : les restaurants avec service aux tables, les restaurants à service rapide et les restaurants décontractés. Ils sont appuyés par le directeur financier et le responsable de la chaîne d’approvisionnement. Nous avons rapidement instauré un régime incitatif axé à 100 % sur la croissance interne, mesurée par le bénéfice d’exploitation et les flux de trésorerie sans les acquisitions. Le conseil vient de remplacer la portion à long terme de ce régime par l’octroi d’options. En cours d’année, nous avons aussi ajouté des effectifs aux équipes régionales consacrées au développement des franchises et à la gestion de la chaîne d’approvisionnement.
D.B. – L’impact se fait-il sentir sur les ventes par restaurants comparables, un étalon auquel les analystes accordent beaucoup d’importance ?
E.L. – Sur une base consolidée, les ventes par restaurants comparables ont augmenté de 0,3 % au troisième trimestre. Au Canada, la hausse de 0,7 % représente un huitième trimestre de croissance, malgré la faiblesse en Ontario. Aux États-Unis, où 55 % de nos établissements se situent, ces ventes ont crû de 0,6 %, soit un deuxième trimestre de progression. À l’international, les restaurants au Moyen-Orient sont particulièrement frappés par le ralentissement de l’économie locale, mais nous tentons d’aider les maîtres franchiseurs à passer au travers de cette période, en suggérant des moyens d’améliorer leur exploitation.
D.B. – Est-ce que la conjoncture inégale nuit à vos efforts pour stimuler la croissance interne ?
E.L. – Il y a un an, je vous aurais dit qu’on s’en allait en récession. Aujourd’hui, la conjoncture est plutôt favorable. Les consommateurs sont d’humeur dépensière, comme en témoignent les ventes des crémeries Cold Stone, qui croissent le plus parmi nos enseignes. Après tout, les desserts glacés ne remplacent pas les repas et sont relativement chers. Par contre, la concurrence dans la restauration est très intense. Il y a énormément de restaurants des deux côtés de la frontière. Il nous faut donc constamment renouveler nos menus, accélérer les nouveautés et rafraîchir les images de marque. Les dépenses augmentent, mais nous en tirons un bon rendement de l’investissement.
D.B. – Considérez-vous que vous tirez également un bon rendement de vos partenariats avec les Uber Eats, Grubhub et DoorDash de ce monde pour la livraison ?
E.L. – On n’a pas le choix parce que de plus en plus des dollars dépensés en aliments vont aux restaurants et il faut capter notre part du portefeuille. Les partenariats de livraison varient selon les régions. Pour l’instant, les commandes en ligne et la livraison ajoutent globalement aux revenus, mais toutes nos enseignes ne s’y prêtent pas. Les dépenses augmentent aussi pour les franchisés tant pour la livraison que les applications numériques. On leur recommande d’essayer de relever leurs prix de vente lorsque c’est possible. Au siège social, on investit aussi pour améliorer notre intelligence d’affaires et mieux mesurer l’impact de ce qu’on fait.
D.B. – Comment adaptez-vous vos chaînes de hamburger gourmet au phénomène de la viande végétale ?
E. L. – Au Canada, nous offrons les boulettes de Beyond Meat parce que les clients nous les demandent. Aux États-Unis, la chaîne The Counter a lancé un hamburger Impossible Food. Son goût est vraiment très proche du boeuf. Il faut les offrir, mais ça n’augmente pas nos ventes ni nos coûts.
D.B. – L’achat récent de la chaîne américaine de 1 400 pizzérias Papa Murphy’s laisse les analystes perplexes. Elle devient votre plus importante enseigne sur le plan des ventes. Quel est son attrait à vos yeux ?
E.L. – Le concept de pizzas préparées non cuites du type Take ‘n’ Bake n’est pas intuitif au Canada. Ici, on achète nos pizzas à la pizzéria ou en épicerie. Pourtant, c’est un créneau qui fonctionne bien, dans le segment très compétitif de la pizza. Le produit doit être de qualité parce qu’il coûte plus cher que celui de Domino’s ou celui de l’épicerie. Les clients apprécient que la pizza n’arrive pas tiède dans une boîte souillée d’huile puisque la cuisson se fait à la maison. Pour les franchisés, le modèle requiert aussi moins de débours parce que l’établissement n’a pas besoin de fours et requiert moins de main-d’oeuvre. Les loyers sont aussi plus abordables puisque les franchises n’ont pas besoin d’occuper des immeubles de première qualité.
D.B. – La fermeture potentielle de 100 établissements Papa Murphy’s d’ici 12 à 18 mois laisse croire que le concept est en déclin. Qu’en est-il ?
E.L. – Ces fermetures étaient déjà dans le collimateur et ça ne veut pas dire que ça va mal. Nous déployons divers efforts pour garder le plus de ces franchises en affaires en envoyant des responsables visiter les commerces et proposer des moyens d’améliorer l’expérience client. Nous venons de recruter un nouveau responsable du marketing. Nous testons aussi actuellement un programme de loyauté. Le prochain trimestre, qui inclut l’Action de grâce [en novembre aux États-Unis], est le meilleur de l’année pour Papa Murphy’s. La finale de football entre Seattle et San Francisco le 11 novembre, un lundi, a été un vrai cadeau.
D.B. – Après 40 transactions depuis 2001, votre stratégie d’acquisitions prend-elle une pause ?
E.L. – Les derniers mois ont été très actifs, avec sept acquisitions, dont Papa Murphy’s pour 253 millions de dollars. Le pipeline est toujours aussi plein et les prix demandés par les vendeurs sont redevenus raisonnables. Toutefois, nous préférons ramener la dette à notre zone de confort d’ici 12 à 18 mois, avant d’envisager d’autres achats de taille. Ça va aussi dans le sens de présenter plus de prévisibilité.
D.B. – Vous avez tenu des rencontres avec les investisseurs dernièrement à Montréal et à Toronto. Quel message teniez-vous à transmettre à vos actionnaires ?
E.L. – Les années 2018 et 2019 ont vu beaucoup d’acquisitions, ce qui a accru la variabilité des résultats. Après une année d’ajustements et de réinvestissements, nous repartons en quelque sorte sur de nouvelles bases. L’autre message concerne les changements comptables que les nouvelles normes IFRS nous imposent. L’an prochain, les résultats ne seront plus du tout comparables aux années précédentes. C’est pourquoi les investisseurs devraient suivre les flux de trésorerie disponibles. L’argent comptant, ça reste de l’argent comptant.
Source: Reuters