Les principes que la dernière année nous rappelle
Lucas Blouin et Yannick Clérouin|Édition de la mi‑février 2023(Photo: 123RF)
L’ART D’INVESTIR. «Comment se fait-il que mon portefeuille ait autant baissé en 2022 alors que je détiens une forte pondération en titres à revenu fixe ?» Voilà la réaction que bien des investisseurs ont dû avoir en parcourant leur rapport de rendement de l’année qui vient de s’écouler. En effet, l’univers des obligations canadiennes établi par BlackRock a donné un rendement totalisant -11,7 % l’an dernier, un résultat deux fois pire que celui de l’indice S&P/TSX de la Bourse de Toronto, qui se situe à -5,8 %.
Pour un investisseur qui montre une faible tolérance à la volatilité, nous ne pouvons qu’imaginer l’inconfort de cette situation en constatant la piètre performance des obligations canadiennes l’an dernier. Qu’advient-il d’une personne retraitée qui dépend des décaissements de son portefeuille d’obligations pour financer son coût de vie ? Elle a peut-être été contrainte de cristalliser des pertes pour subvenir à ses besoins, ce qui pourrait à terme fragiliser son plan de retraite.
Bien comprendre les risques
Ce n’est pas une détérioration de la santé financière des émetteurs qui explique la contreperformance des obligations canadiennes, mais plutôt les hausses rapides et importantes des taux d’intérêt. Les mauvais résultats de cette catégorie d’actif illustrent ce qu’on appelle le «risque de taux d’intérêt». Les changements apportés au taux directeur par la Banque du Canada en 2022 ont eu pour effet de créer un marché des capitaux plus cher, ce qui a augmenté les attentes des investisseurs quant au rendement exigé.
Dans le cas d’une obligation dont les coupons et la valeur à l’échéance sont déjà fixés, la mathématique exige que la valeur au marché s’ajuste à la baisse pour refléter des taux de rendement plus élevés. Plus l’échéance d’une obligation est lointaine, plus sa volatilité en réaction aux changements de taux d’intérêt sera importante.
Pour illustrer ce propos, le fonds négocié en Bourse d’obligations canadiennes à long terme d’iShares (XLB, 20,16 $) a livré un rendement total de -21,9 % au cours de l’année. Celui des obligations canadiennes à court terme (XSB, 25,95 $) a limité sa perte à 4,1 %. Sur une période de cinq ans, le fonds XLB a livré une médiocre performance de -1,4 % par année. Autrement dit, un investisseur aurait mieux fait de laisser son argent sous son matelas pendant les cinq dernières années plutôt que de détenir des obligations à long terme.
Les courbes de taux d’intérêt ont, en règle générale, tendance à récompenser les obligations de plus longue échéance. Ainsi, le taux d’intérêt d’une obligation à échéance dans 20 ans sera supérieur à celui d’une obligation à échéance dans 5 ans. Les investisseurs ont donc un incitatif à investir dans des titres dont les échéances sont plus lointaines afin d’obtenir un meilleur rendement. Cette stratégie a d’ailleurs été particulièrement rentable dans les 30 dernières années, une longue période caractérisée par le déclin des taux d’intérêt. Or, un choc de taux d’intérêt aussi soudain et important que celui de 2022 peut effacer plusieurs années de bons rendements pour les obligations de longues échéances.
Dans ce contexte, un portefeuille détenant des certificats de placement garanti (CPG) a eu fière allure en 2022, en contraste à un portefeuille détenant seulement des obligations. Nous sommes d’avis que cette comparaison pourrait néanmoins créer un faux sentiment de sécurité chez ceux qui détiennent des CPG. Même si ces placements ne sont pas négociables sur un marché et que leurs prix demeurent statiques, cela ne veut pas dire que leur valeur ne bouge pas.
Par exemple, un investisseur peut se retrouver prisonnier d’un CPG offrant un taux d’intérêt de 2 % par année pendant cinq ans dans un environnement où il serait possible d’obtenir 5 % par année sur la même période. Quelle est la différence entre une obligation dont le rendement espéré initial était de 2 % et dont le cours a chuté de 13% pour refléter un rendement plus élevé, et un CPG dont le prix n’a pas bougé, mais qui rapporte 2 %? La réponse:aucune. Les risques liés aux taux d’intérêt demeurent les mêmes.
Comment se protéger contre le risque des taux ?
Dans une perspective de revenus fixes, il nous apparaît évident qu’investir uniquement dans des obligations de moyenne et de longue échéance n’est pas une stratégie adéquate:la performance des fonds d’obligations canadiennes de longue durée en 2022 nous le montre de manière éloquente.
Un gestionnaire de portefeuille diligent devrait évaluer le risque lié aux taux d’intérêt et bâtir le portefeuille de titres à revenu fixe en tenant compte de ce facteur. Ce dernier dispose de quelques outils pour réduire l’échéance moyenne pondérée d’un portefeuille. Il peut par exemple diversifier les échéances des obligations sélectionnées et acheter des titres à taux variables.
En conclusion, le travail des gestionnaires ne s’arrête pas uniquement à composer le portefeuille d’obligations de bonne qualité pour couvrir le risque de crédit. Ceux-ci doivent également viser un juste équilibre entre rendement espéré du portefeuille de titres à revenu fixe et risques liés aux taux d’intérêt. S’il s’avère impossible de construire un portefeuille de titres à revenu fixe sans volatilité, il demeure tout de même possible de couvrir certains risques afin que cette catégorie de placements remplisse ses missions premières:assurer une certaine stabilité de l’ensemble du portefeuille et financer les décaissements à court ou à moyen terme.
EXPERTS INVITÉS
Lucas Blouin est gestionnaire de portefeuille chez Medici.
Yannick Clérouin est gestionnaire de portefeuille chez Medici.