Les personnes qui veulent faire des investissements carboneutres vont comprendre rapidement toute la complexité de sélectionner des produits réellement positifs pour l’environnement. Au cœur du problème: l’absence de règles uniformes. (Photo: 123RF)
L’environnement tient le haut du pavé des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) en 2022. Les investisseurs priorisent désormais, de façon inégalée, la carboneutralité des entreprises où ils placent leur argent. Jusqu’à quel point un portefeuille peut-il être vert ? S’y retrouver parmi la multitude grandissante de fonds demeure un défi de taille.
Marchés des capitaux CIBC indiquait, dans un rapport publié en début d’année, que 3 % des fonds communs mondiaux et des fonds négociés en Bourse (FNB) sont désormais munis de critères ESG, ce qui représente un montant d’environ 2250 milliards de dollars. Les produits qui se concentrent sur l’environnement sont ceux qui ont connu la plus forte croissance en 2021, eux qui occupent désormais 20 % des fonds ESG. Ce pourcentage était de 16 % en 2016.
Selon les plus récentes données ESG, l’analyse de la CIBC rapporte que 60 % des entreprises qui constituent le S&P/TSX ont fait des divulgations d’émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2020.
Devant un si grand terrain de jeu, les investisseurs ne savent souvent pas où donner de la tête. La première étape, bien sûr, est de comprendre ce que veut dire «carboneutralité» (ou «net zéro»).
«Il y a des éléments positifs qui émettent des GES et des éléments négatifs qui vont les séquestrer, explique Charles Séguin, professeur au Département des sciences économiques de l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’UQAM. La carboneutralité, c’est lorsque la somme de ces éléments positifs et négatifs fait qu’il n’y a pas de GES émis au net.»
Carboneutralité totale?
L’investisseur est ainsi placé devant un choix de plus en plus diversifié, mais il demeure très difficile de posséder un portefeuille carboneutre à 100 %. Il pourrait bien placer toutes ses billes dans un seul fonds ou une seule entreprise qui est entièrement carboneutre, mais les risques liés à un manque de diversification accompagneront ce placement.
«Aujourd’hui, ce n’est pas possible d’avoir un objectif de carboneutralité pour un produit d’investissement qui va être diversifié et répondre aux bonnes règles de construction de portefeuille», estime Mari Brossard, directrice principale de l’investissement durable à Banque Nationale Investissements.
La raison, ajoute Mari Brossard, est que les produits d’investissement évoluent au même rythme que les entreprises. De plus en plus de sociétés commencent à adopter des objectifs de carboneutralité d’ici 2050 et certaines ont des cibles intérimaires, comme l’adhésion aux accords de Paris. Le marché demeure en évolution vers l’atteinte des cibles de réduction d’émissions de carbone.
«Par contre, on peut sélectionner des chefs de file dans la gestion de leur empreinte carbone, précise-t-elle. Des entreprises, des fonds, qui ont adopté des cibles plus agressives et qui ont de bons processus en place pour l’atteinte de ces cibles. C’est vraiment là où ça se joue présentement, avec l’état du marché, si on veut respecter toutes les règles de construction d’un portefeuille.»
Le président de De Champlain Groupe Financier, Sylvain De Champlain, indique lui aussi que la feuille de route des produits d’investissement sur le marché n’est pas complètement verte. Beaucoup de chemin a été parcouru depuis les dix dernières années, lui qui cite notamment «l’effet Greta», lié à la croisade pour le climat amorcée en 2018 par la jeune activiste suédoise Greta Thunberg.
«Dans sept ou huit ans, il n’y aura plus beaucoup de fonds qui ne correspondront pas aux critères ESG, affirme-t-il. Mais en ce moment, les firmes de gestion et les fonds communs ne peuvent pas simplement dire qu’ils abandonnent demain matin les entreprises qui ne suivent pas la parade. Certains titres s’écrouleraient.»
S’y retrouver
Les personnes qui veulent faire des investissements carboneutres vont comprendre rapidement toute la complexité de sélectionner des produits réellement positifs pour l’environnement. Au cœur du problème: l’absence de règles uniformes.
Morgan Stanley Capital International (MSCI) rapporte, dans une note sur les tendances ESG publiée au début de 2022, que 34 organismes réglementaires ont lancé des consultations sur les critères ESG en 2021. La CIBC souligne pour sa part que les règles semblent vouloir se raffermir un peu partout dans le monde, et prévoit que les divulgations des entreprises pourraient être obligatoires dès 2024. Actuellement, aucun barème clair, mondial et précis n’existe.
«Pour les petits investisseurs, c’est encore difficile de s’y retrouver, avoue Charles Séguin. Les normes ne sont pas tellement développées en ce moment, et ce sont toutes des normes privées.»
Il y a plus de 4000 fonds traditionnels offerts aux investisseurs sur le marché, rappelle Sylvain De Champlain. Dénicher ceux qui respectent des critères ESG, et encore plus ceux qui sont carboneutres, est complexe.
Les investisseurs peuvent utiliser plusieurs outils pour dénicher les produits qui répondent à leurs objectifs de placement, avance Mari Brossard. Selon elle, la présence d’objectifs de réduction d’émissions de GES et les cadres de références pour identifier les entreprises qui sont des leaders dans le domaine en sont deux bons exemples.
« Les cadres de référence internationaux sont ceux qui sont les plus crédibles dans un processus d’investissement, mentionne-t-elle. Ce sont des définitions communes, un consensus de ce qu’est le développement durable et qui permet de les transposer dans un contexte d’investissement », dit-elle.
Elle pointe notamment vers les 17 objectifs de développement durable adoptés par l’Organisation des Nations unies (ONU). Parmi ces objectifs, plusieurs ont un caractère environnemental, comme l’assainissement de l’eau, l’énergie propre et abordable, des villes et communautés durables ainsi que la consommation responsable.
Mari Brossard suggère également de vérifier si le manufacturier du produit d’investissement joue bien son rôle en matière de développement durable. Par exemple, il peut être signataire de la Déclaration des investisseurs canadiens sur les changements climatiques ou encore d’Engagement climatique Canada.
Rendements
Malgré la bonne volonté et la conscience sociale des investisseurs, la question des rendements se pose toujours quant à un produit carboneutre. Plusieurs sont convaincus qu’ils devront en sacrifier une partie pour sélectionner des entreprises environnementales ou des fonds environnementaux.
«Ce qui ressort clairement des méta-analyses, c’est qu’il n’en coûte pas plus cher d’investir dans des fonds ESG, révèle Marie-France Turcotte, professeure en responsabilité sociale des entreprises et directrice du Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’ESG UQAM. À risque égal, à gestion égale, le rendement est égal.»
Dans le guide La responsabilité sociale des entreprises sur le territoire nord-québécois, publié en 2020, les autrices Marie-France Turcotte et Annie Lachance, aussi de l’ESG, expliquent que le coût des emprunts affecte le rendement des entreprises dont la performance est moins bonne en matière de responsabilité sociale.
Au terme d’une étude du lien entre le coût du capital et la performance environnementale, qui a analysé, sur une période de 15 ans, plus de 5800 prêts bancaires et 13 000 observations de valeurs d’actions de firmes, les résultats montrent que, pour les entreprises qui ont une mauvaise performance environnementale, le taux d’intérêt est en moyenne de 20 % plus élevé et la demande de rendement annuel du capital investi, de 1,4 % plus élevée.
«On parlait de ce type de placement il y a 10 ou 15 ans, et le réflexe était de dire que les rendements étaient moindres, ajoute Sylvain De Champlain. Mais ils étaient embryonnaires et peu d’entreprises se qualifiaient. Aujourd’hui, un portefeuille ESG performe aussi bien sinon mieux que les indices traditionnels.»
Cette évolution vient du fait que les risques ESG sont aujourd’hui des risques d’affaires, mentionne Mari Brossard. Les entreprises ont avantage à se poser des questions d’affaires en relation avec l’environnement et la responsabilité sociale parce qu’ils ont un effet sur le cours de l’action.
Charles Séguin demeure toutefois perplexe quant à la rentabilité des produits carboneutres.
«Je suis très sceptique à l’égard d’un investisseur qui dit qu’un portefeuille carboneutre n’a pas de pénalité de rendement, sachant que les entreprises polluantes ne sont pas ou sont peu pénalisées financièrement, soumet-il. Si les rendements carboneutres étaient supérieurs, les capitaux auraient déjà migré vers ces options.»
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