Un truc ultra simple pour mieux faire du remue-méninges
Olivier Schmouker|Mis à jour le 13 juin 2024Se creuser le ciboulot seul ou à plusieurs est souvent chose ardue. (Photo: Per Lööv pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «C’est décevant. Les rares fois où nous avons effectué des séances de remue-méninges en équipe, ça n’a pas donné de résultats probants. On a toujours eu l’impression d’avoir perdu notre temps. Comment, donc, trouver des idées neuves?» – Mégane
R. – Chère Mégane, si cela peut vous rassurer, sachez qu’il n’est pas rare de voir les participants à une séance de remue-méninges (brainstorming, en anglais) en ressortir frustrés, déçus, désappointés. Ils espéraient ainsi dénicher une idée carrément géniale, issue de Mars ou de Vénus, et ne se retrouvent, après toutes ces heures de travail cérébral intense, qu’avec une poignée d’idées quelconques, au mieux farfelues, qu’il leur sera impossible d’appliquer dans la vraie vie.
À quoi cela tient-il? Différentes études ont mis au jour que deux phénomènes récurrents nuisent grandement à la performance des séances de remue-méninges.
– Le blocage de la production d’idées. Les gens parlent généralement à tour de rôle lors d’une discussion en groupe, si bien que certains sont contraints de se taire pendant un moment, le temps que les uns et les autres aient fini de discuter un point ou un autre. Résultat? Il arrive souvent que des idées intéressantes soient ainsi tues, et même oubliées car ceux qui les avaient en tête les ont remplacées par d’autres, la discussion ayant évolué dans une toute autre direction. Mine de rien, cela suffit à tuer des idées qui, au final, auraient permis de faire une grande différence.
– L’inhibition sociale. Par timidité, ou encore par peur d’être jugé négativement par les autres, il arrive que des participants à une séance de remue-méninges s’autocensurent. Ils n’expriment pas les idées qui traversent leur esprit, sans réaliser que celles-ci auraient sûrement permis aux autres de rebondir dessus et de trouver une idée purement géniale.
Même si vous ne me fournissez aucun détail concernant l’organisation de vos séances de remue-méniniges, Mégane, je suis convaincu qu’au moins l’un de ces deux facteurs nuit à votre brassage d’idées en équipe. Et que cela se traduit par des idées pas assez novatrices et réalistes à votre goût.
Maintenant, comment contourner ces deux obstacles? Il se trouve qu’il existe peut-être bien un moyen inusité pour cela, que j’ai découvert dans une étude récente pilotée par Sebastian Bouschery, chercheur en intelligence artificielle (IA) à l’Université d’Aix-la-Chapelle, en Allemagne. Avec Frank Piller, professeur d’économie à la même université, et Vera Blazevic, professeure de marketing à l’Université Radboud de Nimègue, aux Pays-Bas, il s’est demandé si l’utilisation d’une IA lors d’une séance de remue-méninges pouvait permettre d’obtenir de meilleurs résultats que d’habitude, ou pas. Eh bien, ce que les trois chercheurs ont ainsi découvert devrait vous fasciner, me semble-t-il, Mégane.
Sebastian Bouschery et son équipe ont composé 42 groupes de quatre personnes volontaires pour leur demander de plancher sur différents projets novateurs, avec pour mission de brasser le plus d’idées neuves possible et d’en dégager le maximum d’idées créatives possible. Ces groupes n’ont pas tous été placés dans les mêmes conditions de travail.
– Groupes individualistes. Chacun de ces groupes a été invité à s’asseoir dans une pièce isolée, et il a été demandé à chaque membre de travailler de son côté, sans interagir avec les autres. Une fois que chacun a dressé la liste de toutes ses idées neuves et dégagé de celle-ci les idées qui lui paraissaient les plus créatives, un tirage au sort a été organisé pour déterminer lesquelles parmi ces dernières étaient retenues pour être débattues en groupe. À l’issue de ce débat, le groupe devait présenter aux chercheurs la liste finale de ses idées hautement créatives.
– Groupes interactifs. Chacun de ces groupes a été invité à s’asseoir dans une pièce isolée, et il a été demandé à chaque membre de travailler de son côté, sans interagir avec les autres. Une fois que chacun a dressé la liste de toutes ses idées neuves et dégagé de celle-ci les idées qui lui paraissaient les plus créatives, les meilleures idées des uns et des autres étaient débattues par le groupe afin d’en tirer la crème de la crème.
– Groupes hybrides. Une fois de plus, chaque membre de ces groupes devait au préalable travailler de son côté avant de partager avec les autres ses meilleures idées. Mais là, chacun avait à sa disposition un outil particulier: un ordinateur doté d’une IA. Il suffisait de cliquer sur l’icône «Générer une idée» pour obtenir une idée neuve produite par l’IA. Chaque clic ne générait qu’une seule idée; chacun pouvait cliquer sur l’icône autant de fois qu’il le désirait. Il appartenait ensuite à chacun de faire le tri des meilleures idées de sa liste finale. Puis, le groupe se devait de débattre pour identifier ensemble la crème de la crème.
Enfin, un quatrième «groupe» a été formé par les chercheurs, un groupe hors-norme: il n’était composé que de l’IA, sans aucun être humain. Sa mission: concocter toute seule les meilleures idées qui soient.
Résultats? Ils sont clairs et nets:
– Les groupes hybrides ont surpassé les groupes individualistes et interactifs en termes de nombre d’idées neuves et de nombre d’idées créatives.
– L’IA seule a surpassé les groupes hybrides en ce qui a trait au nombre d’idées hautement créatives.
Autrement dit, pour améliorer l’efficacité d’une séance de remue-méninges, une équipe a tout à gagner à s’enrichir d’un membre supplémentaire, soit une IA. Car cela lui permettre de brasser davantage d’idées et de mettre au jour des idées plus créatives qu’à l’habitude. Et si jamais le groupe entend vraiment identifier des idées hautement créatives, du genre «l’invention du siècle», il lui faut savoir faire preuve d’humilité, laisser tourner l’IA toute seule et accepter comme un trait de génie la ou les idées “incroyables” qu’elle produit, aussi surprenantes et déstabilisantes soient-elles pour nous autres, pauvres humains que nous sommes.
Bon. Tout cela est bien beau, songez-vous sûrement, Mégane, mais comment pouvez-vous concrètement utiliser une IA lors de votre prochaine séance de remue-méninges? Voici comment s’y sont pris Sebastian Bouschery et son équipe.
– Ils se sont servis de l’IA générative GPT3, d’OpenAI, dont l’utilisation est gratuite et accessible à tous.
– Ils l’ont brièvement entraînée au remue-méninges avant que les participants puissent se servir d’elle. C’est-à-dire qu’ils lui ont juste présenté la question centrale sur laquelle allaient plancher les êtres humains ainsi que quatre réponses potentiellement intéressantes.
Pour information, voici ce dont il s’agissait, en l’occurence.
La question centrale était: «Comment pourrions-nous aider les jeunes à faire de l’épargne une habitude à vie?»
Et les quatre réponses étaient:
1. Permettre à l’utilisateur de partager ses objectifs d’épargne avec des amis et de disposer d’une communauté de personnes qui l’encourageront à persévérer dans ses efforts d’économie d’argent, ou qui le mettront au défi de persévérer, si nécessaire.
2. Récompenser l’utilisateur à l’aide d’une prime financière s’il ne dépense pas d’argent du tout durant un mois.
3. Permettre à l’utilisateur de configurer des «budgets amusants» (des «déclencheurs») visant à l’inciter à économiser plus d’argent. Par exemple, chaque fois qu’il règle un achat en ligne ou avec son cellulaire, une fenêtre numérique apparaît et lui demande s’il souhaite en profiter pour investir 5 dollars dans ses économies.
4. Dans le même ordre d’idée, montrer à l’utilisateur combien d’argent il pourrait économiser sur une année s’il décidait de renoncer à l’achat d’un café chaque fois qu’il s’en paye un, ou bien d’autres achats comme celui d’une nouvelle paire de sneakers.
– Avec ces seules données, l’IA générative a été capable de booster la créativité des êtres humains, et même de la surpasser lorsqu’on lui a demandé de travailler toute seule de son côté, sans aucune intervention humaine.
Voilà, Mégane. Le truc est finalement on ne peut plus simple. Dotez-vous d’une IA générative telle que GPT3, échauffez-la avant la séance de remue-méninges, puis invitez chaque participant à s’en servir à sa guise. Je serai très très très étonné que votre équipe ne parvienne pas, dès lors, à aller d’idée géniale en idée géniale.
En passant, l’humoriste français Sim aimait à dire, pince-sans-rire: «L’imaginaire met des robes longues à nos idées courtes».