La filière batterie requiert une évaluation critique renouvelée
Le courrier des lecteurs|Mis à jour le 13 juin 2024La rivière Richelieu (Photo: 123RF)
Un texte de Michel Pagé, Montérégie
COURRIER DES LECTEURS. J’entends ici faire valoir un éclairage différent sur le dossier du développement de la filière batterie et de Northvolt-sur-Richelieu singulièrement.
Malgré le techno-optimisme des uns, les plans des autres en situation de pouvoirs, il est impérieux de comprendre que, sous l’horizon conjoncturel actuel, peut-être jusqu’en 2040 voire 2050, à la lumière d’une analyse critique des projections de EIA et du GIEC, la combinaison des exigences énergétiques inhérentes à l’extraction des minerais dits stratégiques et à la fabrication manufacturière de la filière des batteries, de la consommation normale des énergies fossiles et de la croissance de la population mondiale engendrerait une zone de répercussions environnementales imparables avant que les bénéfices supputés de la filière batterie destinée au parc des automobiles et à la mobilité dite électrique et aux modes de stockage d’énergie électrique des technologies dites des énergies renouvelables ne puissent modifier la donne des émissions de GES.
Elles seraient accrues, atteindraient un sommet, car le nouvel essor industriel se cumulerait à la croissance fulgurante du trafic aérien, de l’achalandage aux aéroports et aux installations portuaires, de tous ces transports lourds de la mine aux usines, des échanges du commerce international global, de la consommation, ainsi de suite.
On anticiperait alors un accroissement des répercussions environnementales mondiales, et conséquemment le réchauffement climatique s’accentuerait donc… Ainsi, ce n’est pas la production d’un nouveau parc de batteries-automobilisées qu’il faille à l’humanité, mais de changer urgemment de paradigme.
– Le sommet des émissions n’est pas derrière nous, mais devant nous. La société industrielle de l’ère de la transition énergétique se réchaufferait à moyen terme.
– L’accroissement des émissions des GES est alimenté par l’accélération de l’extraction des minerais dits stratégiques, la fabrication industrielle, le renouvellement du parc automobile, la multiplication des transports lourds (dont maritimes) des impacts des dévastations des forêts et des biosystèmes sur le réchauffement planétaire, l’accroissement de la consommation, l’incohérence des réseaux de transports des produits vers et entre des usines de transformations des cathodes-anodes, etc., les multiples usines manufacturières ou pétrochimiques des multinationales… vers les marchés de la horde croissante des consommateurs…
– La faille du techno-optimisme provient de sa logique même qu’à chaque problème correspondrait une solution technologique, que chaque nouvelle situation de problèmes produirait ses solutions techniques par ailleurs utiles à solutionner d’autres problèmes particuliers. Cette pensée idéologique reposerait sur un constructivisme scientiste qui n’a pas de sens dans le domaine humain ou social. Le techno-optimisme — n’est pas l’avenir de l’homme, mais le serait une prise de conscience qu’il lui faudrait acquérir un supplément d’âme pour éclairer sa marche.
– Paradoxalement la transition énergétique de la filière batteries participerait à la croissance de la demande et de la consommation par le renouvellement du parc automobile, qui alors amplifie le gaspillage de ressources naturelles, à la pollution et aux émissions globales des GES, non seulement par le nombre d’autos par personne, mais aussi par la taille des véhicules —les modèles de luxe et les VUS requérants de plus grosses batteries—, mais la multiplication des liaisons d’approvisionnement et des infrastructures autoroutières. Les processus —extraction, raffinage, transformation, production, ainsi de suite— ont une répercussion sur l’environnement, sur la sécurité des populations, sur l’endettement des ménages, voire l’exclusion bientôt des petits ménages à l’accès à une mobilité familiale. Un cheval pour tous serait plus utile, écoresponsable et socialement juste! Et comprenons, entre gens rationnels, qu’il faudrait se méfier de cette curieuse alchimie qui consisterait à produire des sources d’énergies renouvelables à partir d’énergies qui polluent ou inondent ou irradient! Un gain net dans un cercle vicieux, comment est-ce réellement possible? C’est de la magie diabolique, c’est de l’alchimie des temps modernes! Il n’y a pas de processus de conversion sans pertes d’énergies, point d’activités sans augmentation de l’entropie!
La transition vers les énergies renouvelables passe vers des conversions d’énergies et la production d’énergies électriques n’aurait déjà pas les vertus supputées si elle n’est pas liée à la cohésion de l’aménagement territorial. Elle pourrait être une occasion de construire une cohésion sociale ou d’engendrer des discordes sur fond de faux-fuyants vers des destructions qui en découleraient…
L’argument selon lequel le Québec souhaiterait participer à l’effort mondial de décarbonation grâce à une politique d’électricité prétendue verte n’a pas de sens, car le monde évolue dans le sens d’un débordement imparable de la demande qu’il serait impossible de contenir sans changer de paradigme du développement, de la consommation et de la croissance des PIB; alors, saborder un pays, par les destructions répétées d’écosystèmes, les impacts sur les biodiversités régionales et la dévastation des meilleures terres agricoles n’a pas de sens.
Ce n’est pas un progrès, qu’est le progrès s’il n’y a que de l’aveuglement, qu’un manque d’intelligence ou d’imagination de politiciens, que l’action de spéculateurs? En bout de piste, en résulterait un appel à la résistance d’une population qui aimerait sa terre, son pays, la nature et priserait sa santé et celle de ses descendants, plus de désabusement des citoyens assurément!
Ainsi, la filière des batteries Li-ions et semblables technologies associées, nonobstant ce qu’en prétendrait le ministre de l’Économie, ne peut justifier la destruction des terres agricoles, la destruction de milieux écologiques, la mise en péril de la biodiversité régionale, le risque pour la santé de populations villageoises, la dévastation de paysages patrimoniaux, les destructions de terres agricoles indispensables à l’autosuffisance alimentaire, le risque de contaminer le Richelieu et un ensemble d’impacts cumulatifs encore inconnus.
C’est une stratégie perdante pour la nature et l’humanité, un marché de dupes pour le bénéfice de quelques-uns, mais point dans l’intérêt public, que de laisser miroiter la grandeur à venir d’une nouvelle ère industrielle énergivore requérant tant d’énergies, tant de dévastations, tant de spoliations d’eaux potables, de milieux aquatiques regorgeant autrefois de tant de vie et d’une faune aquatique indispensable à l’alimentation de populations.
Et ce paradigme du progrès par le développement incessant fait de dévastations suivies de reconstructions ailleurs, —car sous la politique économique actuelle, on invite les industries étrangères les plus énergivores, on brade notre électricité aux grands utilisateurs industriels à un coût moyen plus bas que le coût de production de nouveaux projets hydro-électriques, sur d’autres terres encore vierges laissant les anciennes à l’abandon et à la spéculation, est-ce progrès ou marche vers plus de désolations? Et les citoyens, les contribuables, financeraient à leur insu divers projets privés.
Avant de s’illusionner que des progrès technologiques permettraient à l’homme de fuir la planète Terre vers des exoplanètes encore habitables, ne serait-il pas sage, homo sapiens, de sauver le jardin que l’on appelait la Terre, la terre des hommes de bonnes volontés, le fleuve aux grandes eaux. «Ne tuons pas la beauté du monde», la beauté reflète l’âme d’un peuple, la richesse fondant sa pérennité, elle est la vitrine de son humanité.
La valeur des actions humaines sur son environnement relève d’un attribut ultime, la cohérence. L’évaluation environnementale appartient au domaine de la raison critique. La racine de l’harmonie, je vous la redis, serait «oikos», l’ordre dans sa maison écologique ou économique avant la précipitation et l’improvisation.
Au critère de cohérence de l’aménagement territorial correspondrait une manière plus sage d’évaluer la justesse préalable des projets dont tous ceux de la filière batteries qui détruiraient tant de beauté de Northvolt-sur-Richelieu à Bécancour, en passant par des liens autoroutiers et des enchevêtrements et des installations portuaires sur Varenne, sur Contrecœur, le long du fleuve alors définitivement toxique à la vie aquatique et mortel aux organismes marins. C’était si beau hier encore, moins aujourd’hui, si laid demain et affreusement hideux et désolant au lendemain des erreurs globales, à l’image de la cupidité et de la folie des petits despotes égocentriques de la gent de l’hommerie.
Dans tout cela, d’une manière ou d’une autre, le paradigme du développement et de la consommation aura prévalu, faisant de la transition énergétique pour contrer le réchauffement planétaire un paramètre de vente d’un plan de marketing pour faire entrer dans d’autres modes de dévastations d’une autre ère industrielle reposant sur une production accrue et accélérée d’énergies en général et de technologies d’énergies renouvelables qui, une fois une phase infernale dépassée, permettrait peut-être d’entrer dans un paradis des consommateurs de batteries, et de réseaux cybernétiques, d’intelligences artificielles énergivores et d’automobiles électriques individuelles au nombre et au poids multipliés inclus.
Il faudrait peut-être penser à réduire le volume et la capacité de l’estomac insatiable du consommateur pour sauver la planète et la nature de son obésité morbide! La croissance économique infinie n’est pas possible, car elle détruirait des ressources naturelles finies et des écosystèmes indispensables à l’habitabilité de la terre. Alors que le politicien pense à s’instruire avant de détruire pour ensuite prétendre réfléchir à minimiser les impacts cumulatifs, ahuris de tant de dévastations que son imagination comptable aura laissé se déployer sans ne rien anticiper des dévastations consécutives.
Le sens commun, hélas!, est-ce qui émerge en dernier lieu dans l’esprit humain de l’homme qui se croit rationnel! (Phrase inspirée de Proudhon J.P.)