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À l’aube d’une nouvelle ère avec la 5G

Emmanuel Martinez|Édition de janvier 2022

À l’aube d’une nouvelle ère avec la 5G

Harold Dumur, le fondateur et président d’Ova, une PME de Québec spécialisée dans le développement de logiciels immersifs assistés par l’IA, avec son directeur financier, David Carrier (Photo: Martin Flamand)

La 5G est à nos portes et promet de révolutionner le monde des affaires par la création de multiples start-ups, l’adoption de processus d’exploitation inédits et l’épanouissement de l’intelligence artificielle. Votre entreprise est-elle prête pour ce bouleversement?

Des ambulances qui roulent sans ralentir grâce à des feux verts synchronisés, des pelles mécaniques contrôlées à partir d’un bureau et la disparition des applications pour les cellulaires, la 5G n’est pas une 4G sur stéroïdes ; c’est un paradigme différent.

« Certaines personnes appellent cela une nouvelle révolution industrielle, relate Patrick Ostiguy, fondateur et président d’Accedian, une entreprise montréalaise de 300 employés qui fait de l’optimisation numérique partout dans le monde. Il s’agit d’une occasion incroyable pour créer des start-ups. C’est une vague de fonds qui ne passera pas de sitôt. »

« C’est la prochaine révolution, c’est clair, déclare de son côté Michèle Sawchuck, directrice du contenu à l’Association pour le développement de la recherche et de l’innovation du Québec (ADRIQ-RCTi). Pour l’industriel, c’est un “game changer”. »

Celle qui est aussi responsable des projets d’adoption de la 5G pour l’initiative privé-public Évolution des services en nuage dans le corridor Québec-Ontario pour la recherche et l’innovation (ENCQOR) souligne que les entreprises ne peuvent pas ignorer cette avancée.

« Tu ne peux attendre deux ans avant de te poser la question si c’est pour toi ou non, insiste-t-elle. Au minimum, les entreprises devraient faire une veille technologique. »

ENCQOR a mis en place le premier corridor précommercial d’infrastructure numérique 5G au pays. Environ 800 PME ont testé leurs solutions 5G. Au Québec, le Centech de Montréal et l’Institut intelligence et données de l’Université Laval de Québec sont les deux centres qui possèdent ces installations servant à faire des essais.

« Plus de la moitié sont des start-ups, précise Pierre Boucher, directeur général d’Innovation ENCQOR. Les entreprises qui font des tests sont surtout dans le domaine des villes intelligentes, de la santé et des transports. Il y a un peu de manufacturier et de technologie financière. »

« Cette cinquième génération de technologie sans fil a été conçue spécialement pour des usages de type industriel, comparativement aux précédentes, qui s’adressaient à des consommateurs mobiles, note-t-il. L’aspect industriel est très important. »

 

Les avantages de la 5G

Benoit Gendron, fondateur et président de Latence Technologies, une PME montréalaise qui mesure la qualité des réseaux 5G, estime aussi qu’elle répond à merveille à des besoins commerciaux.

« Je crois que cela va plus se développer du côté des entreprises que chez les consommateurs », mentionne-t-il en entrevue.

Il souligne que ce réseau possède une plus grande fiabilité et que la bande passante est multipliée par dix. « Un film complet de Netflix en une seconde, c’est la vitesse que nous avons expérimentée lors de nos tests au Centech. »

La latence, soit le temps de transmission, est presque éliminée. Le délai est de seulement 15 millisecondes ou moins, alors qu’un clin d’œil dure au moins 100 millisecondes.

« C’est LE point de bascule », croit Richard Chénier, directeur général du Centech, qui juge que cela permettra à l’intelligence artificielle (IA) « d’atteindre son plein potentiel ».

« Pour faire de l’IA, il faut traiter beaucoup de données, dit-il. Mais si on ne change pas de réseaux de communication, on aura un goulot d’étranglement. La 5G élargit la voie de manière importante. Et on roule en TGV au lieu d’un train régulier. »

Plus discrètes, les petites antennes 5G seront bien plus nombreuses. « On parle de 40 fois plus d’antennes qui doivent être branchées à la fibre optique », note Philippe Babin, cofondateur et président, d’Aeponyx, un des rares équipementiers québécois qui se focalise sur la fabrication de puces pour le réseau 5G.

Ces antennes se caractérisent aussi par le fort nombre d’objets connectés qu’elles peuvent desservir. On pourra connecter un million d’appareils par kilomètre carré !

Richard Chénier prédit ainsi que des objets inanimés pourraient devenir connectés. « Si on prend un exemple totalement fictif, on pourrait avoir des tuyaux intelligents réactifs à des fuites, ce qui empêcherait de gros dégâts dans des bâtiments. »

 

Avancées technologiques

Ce serait une erreur de voir la 5G comme une simple version améliorée de la 4G. Ce réseau fonctionne bien différemment. Il s’appuie notamment sur le « edge computing », c’est-à-dire que chaque antenne contient des capacités de traitement et de stockage des données. Cela favorise une plus faible latence et permet aussi, par exemple, de jouer avec un ordinateur beaucoup moins vigoureux qu’auparavant.

« C’est une révolution, explique Harold Dumur, le fondateur et président d’Ova, une PME de Québec spécialisée dans le développement de logiciels immersifs assistés par l’IA. Avec la 5G, on n’a plus besoin d’avoir un ordinateur puissant. Avec une simple tablette, on peut avoir accès à un processeur virtualisé. »

« Cela change fondamentalement la façon de faire fonctionner les logiciels, acquiesce Patrick Lauzière, président et cofondateur de Niosense, qui offre des solutions pour améliorer la fluidité routière. Le traitement des données se fait localement dans les antennes à proximité, au lieu de faire plein de calculs qui bouffent la batterie et qui prennent de l’espace de l’appareil mobile. »

Harold Dumur entrevoit la fin des applications dans les téléphones intelligents au profit du « streaming ». Et la réalité virtuelle jouira fortement de ce nouveau traitement de l’information, ainsi que d’une latence presque réduite à zéro.

« Notre outil de création virtuel est limité par la capacité des ordinateurs de nos clients, mais avec la 5G, cette limite sera brisée, explique-t-il. L’outil qu’on a conçu démocratisera la réalité virtuelle qui sera générée par n’importe quelle entreprise. »

Cela ouvre la porte au métavers, un monde 3D virtuel où les consommateurs pourraient essayer des produits ou magasiner dans le confort de leur salon. Ces possibilités enthousiasment Jean-Philippe Desjardins le président de Wallrus Creative Technologies, spécialisée en réalité augmentée et virtuelle.

« C’est comme travailler en mobilité dans les années 2000 avec le lancement du iPhone, dit-il. On veut positionner notre technologie comme essentielle pour lier le monde physique au virtuel. »

Il explique que Wallrus est en discussion avec une entreprise qui possède une dizaine de parcs d’attractions qui souhaitent créer un métavers. « On pourrait faire interagir des gens qui sont au parc d’attractions et ceux qui ne sont pas là dans le métavers », donne-t-il en guise d’exemple.

Selon Jean-Philippe Desjardins, la 5G permettrait d’inventer des outils pour essayer virtuellement une auto qu’on veut acheter, de participer à une réunion avec un casque qui provoquerait l’illusion d’être entouré de ses collègues ou de faire des réparations sur une machine avec le téléphone qui devient en quelque sorte un lecteur qui peut détecter les problèmes et indiquer à celui qui le tient la marche à suivre. Les applications sont en quelque sorte infinies.

 

Grâce à ses investissements dans la 5G, la minière canadienne ­Agnico ­Eagle sera une des premières au monde à pouvoir optimiser le recours à des camions autonomes dans ses installations de ­Kittilä, en ­Finlande. (Photo: courtoisie)

 

Une mine sur la 5G

La minière canadienne Agnico Eagle n’a pas attendu que le train démarre pour sauter dans la 5G. Ses installations de Kittilä, en Finlande, seraient les premières au monde, dans cette industrie, à compter sur cette nouvelle technologie dès cette année.

« Nous voyons cela comme un investissement qui nous permettra d’épargner ainsi que d’accroître la productivité et la sécurité, explique le directeur général de la mine, Tommi Kankkunen, en entrevue téléphonique. La 5G est une solution à long terme dont les coûts d’implantation seront absorbés d’ici trois à cinq ans. »

Le dirigeant de la plus grosse mine d’or d’Europe mentionne que le déploiement favorisera l’efficience.

« En cas de problème avec une machine, on pourra le résoudre directement par vidéo au lieu d’attendre 45 minutes pour que quelqu’un de plus qualifié se rende sur place. La maintenance des équipements sera optimisée, parce qu’on recevra automatiquement des données d’utilisation pour chaque machine. »

De plus, Tommi Kankkunen fait valoir que la 5G améliorera les communications et la localisation d’équipement et d’employés, des aspects cruciaux pour la sécurité. Plus globalement, la 5G viendra bouleverser la vie de la mine.

« L’automatisation augmentera et les machines, comme les foreuses, seront plus contrôlées en surface. Nous allons générer des emplois qui seront plus intéressants et qui seront moins sous terre. On aura plus besoin de spécialistes de données et d’informaticiens. » 

Tout ceci n’est que la pointe de l’iceberg, selon lui : « La 5G va également nous fournir des occasions que nous ne sommes même pas en mesure d’envisager pour le moment. »

 

Révolution en transport

Le monde des transports et de la logistique est un autre secteur qui bénéficiera grandement des pouvoirs de la 5G.

« Elle nous permettra de faire d’énormes changements, car pour pouvoir améliorer, il faut mesurer, note le fondateur et président de Nuvoola AI, Martin Renière. Avec davantage de bande passante, on peut mettre plus de caméras pour obtenir plus d’informations pour nos analyses. Un débit accru, c’est ce qui nous intéresse avant tout. »

Son entreprise montréalaise d’une cinquantaine d’employés a notamment développé des guérites munies de caméras pour les entrées des camions dans les ports. Les images envoyées captent ainsi des informations de base sur le véhicule, le chauffeur et son chargement qui peuvent être traitées grâce à l’IA qui est en mesure de déchiffrer des documents PDF ou des codes QR.

« Si l’humain perçoit quelque chose, on est capable de concevoir des outils d’analyse d’intelligence artificielle avec des caméras, soutient Martin Renière. On fait aussi de la transformation numérique avec Rio Tinto pour optimiser leurs entrepôts. On examine comment faire pour que la manutention prenne le moins de temps possible. Sur les autoroutes, en Ontario, on est en mesure de détecter les camions transportant les matières dangereuses. On peut savoir combien il y en a et s’assurer de leur conformité. On pourrait même développer un système d’alerte. »

Le dirigeant souligne que l’installation de ses équipements est beaucoup plus facile avec la 5G.

« On n’a pas besoin d’amener de câble pour se brancher aux serveurs, remarque-t-il. On se connecte directement à l’infonuagique par les ondes. On a juste besoin d’une prise électrique. Au lieu de prendre des mois, la mise sur pied ne dure que quelques heures. »

Les véhicules autonomes et la fluidité des transports seront gagnants avec la 5G. Niosense travaille par exemple sur un projet pilote de synchronisation des feux de circulation à Trois-Rivières pour faciliter le transit des camions tout en augmentant la sécurité des autres usagers de la route, comme les piétons.

« Le feu est ajusté pour que le camion roule à basse vitesse, explique le patron de la start-up, Patrick Lauzière. On fait cela en temps réel. On avertit les feux qu’il y a des camions pour qu’ils puissent passer au vert. Ce sont des changements de trois à quatre secondes, mais cela fait la différence sur le trafic. On évite le freinage de dernière minute, qui est dangereux. »

Selon lui, cette approche minimise le bruit et la pollution tout en maximisant la sécurité routière. Elle engendre également des économies de carburant et de temps pour les compagnies de transports, qui survivent avec de faibles marges. Il explique aussi que la circulation pourrait être modifiée en fonction de caractéristiques, comme les pistes cyclables, ainsi que le type de véhicule, telles les déneigeuses et les ambulances, qui pourraient ainsi toujours rouler sur des feux verts.

 

Le Québec à la traîne

Le Québec et le Canada tirent déjà de la patte comparativement à des pays asiatiques comme le Japon et la Corée pour l’implantation de la 5G.

« Par rapport à l’Asie, on est deux ans en retard, affirme le président d’Accedian. Avant la pandémie, ils étaient en mode de croisière tandis qu’on n’avait pas démarré le moteur. Ce n’est pas facile d’être prophète dans son pays, mais on garde espoir. »

Pierre Boucher, d’ENCQOR, abonde dans le même sens : «D’un point de vue commercial, on a un certain retard. Le gouvernement du Canada doit encore décider quelles portions du spectre seront mises à disposition. »

Richard Chénier, du Centech, se réjouit de l’intérêt des start-ups pour la 5G, mais déplore l’indifférence des autres entreprises.

« Ceux qu’on voit moins, ce sont les entreprises traditionnelles, glisse-t-il. Il faudrait qu’elles jouent davantage avec ces outils. Elles sont moins sensibilisées et pas assez proactives. Le défi des entreprises établies, c’est de sortir de l’opérationnel. »

Pour tirer son épingle du jeu, le Québec devrait profiter de son savoir-faire dans des domaines où il excelle déjà, selon Patrick Ostiguy.

« On a une certaine expertise en jeu vidéo, en multimédia, en réalité virtuelle, en IA et en aéronautique, déclare-t-il. On a le potentiel, mais on n’a pas d’efforts concertés. »

Le dirigeant d’Accedian ajoute que 75 % du réseau 5G devrait être achevé vers la mi-2023 au Canada.

« Cela a été constamment retardé, dit-il. La COVID et la crise des composants électroniques ont provoqué des ralentissements. Mais les télécoms d’ici prennent cette technologie au sérieux. Le déploiement devrait durer jusqu’en 2024-2025. »

Quel que soit le moment où la 5G sera accessible à grande échelle au pays, les PME qui s’y intéressent sont déjà sur la ligne de départ.

« On est prêt, dit Patrick Lauzière, de Niosense. Si on me donne l’autorisation, je suis en place en trois mois. »

Le futur est donc bien plus près de se réaliser qu’on aurait pu l’imaginer.