Charles Boulanger, président et chef de la direction de LeddarTech (Photo: courtoisie)
SPÉCIAL 300 PME. C’est par la voie d’une acquisition que l’entreprise technologique LeddarTech s’est installée en Israël en 2020. Une opération compliquée par la pandémie, qui a affecté la fin des négociations et surtout la période d’intégration des deux équipes.
S’installer à l’étranger implique parfois d’accepter un contexte sécuritaire plus incertain qu’au Québec. L’attaque du Hamas contre Israël perpétrée le 7 octobre dernier l’a durement rappelé. Jusqu’à maintenant, toutefois, les effets directs sur LeddarTech sont plutôt contenus.
« Nous avons sept employés qui font partie des réservistes rappelés par l’armée israélienne et nos autres salariés ont dû travailler de la maison dans les jours suivant l’attaque », résume le président et chef de la direction, Charles Boulanger. Les deux voitures autonomes utilisées là-bas pour récolter des données ont aussi dû grandement limiter leurs déplacements.
Mariage technologique
C’est d’abord pour accélérer son développement que LeddarTech a acquis une entreprise israélienne. Les véhicules, en particulier les véhicules autonomes, emploient un grand nombre de capteurs, comme les caméras, le radar ou encore le lidar, des capteurs infrarouges qui mesurent la distance avec un objet. Ces capteurs aident les bolides à percevoir leur environnement, détecter des obstacles, se localiser ou se déplacer. Chacun d’entre eux présente des avantages et des inconvénients. Pour conjuguer leurs forces, on doit utiliser la fusion de capteurs. Celle-ci permet de créer une image plus complète d’une situation en jumelant la détection offerte par les différents capteurs.
En 2018, LeddarTech développait justement des logiciels pour la perception et la fusion des données de capteurs. « Ce marché bougeait très vite, donc nous voulions acquérir des technologies et de l’expertise pour accélérer notre développement, explique Charles Boulanger. Nous avons mandaté une firme pour identifier des cibles d’acquisition en nous basant sur des critères technologiques très précis. »
Le choix s’est finalement arrêté sur VayaVision, une entreprise israélienne fondée en 2016 par le Dr Youval Nehmadi et Ronny Cohen. Les dirigeants des deux entreprises se connaissaient pour s’être fréquentés dans des salons professionnels et des conférences. Leur modèle d’affaires allait bien avec celui de LeddarTech, centré sur l’octroi de licences. Mais surtout, les technologies développées par VayaVision complétaient bien celles de l’entreprise québécoise.
« Elle a développé de nombreux brevets, dont plusieurs sont bloquants pour la compétition et l’expertise de son équipe représentait une grande valeur pour nous », résume Charles Boulanger.
Négocier à distance
Les discussions s’amorcent et concernent les points habituels d’une fusion et acquisition : établissement d’une lettre d’intention, vérification diligente, négociations du prix et des conditions de vente, etc. Avec une grosse différence : toutes les étapes exigent la participation de consultants (comptables, avocats, spécialistes de la propriété intellectuelle) des deux pays. On doit structurer la transaction en fonction des règles, notamment fiscales, des deux pays.
Pendant les tractations, deux éléments sensibles surgissent. Comme la transaction se réalise sur la base d’un échange d’actions, on doit évaluer à la satisfaction des deux parties la valeur des deux entreprises. Par ailleurs, LeddarTech achète de la propriété intellectuelle et de l’expertise. Elle tient donc à ce que plusieurs employés clés demeurent chez VayaVision après la transaction.
Pour compliquer le tout, la COVID-19 s’immisce dans les négociations. LeddarTech envoie sa lettre d’intention juste avant Noël 2019 et amorce sa vérification diligente au début de 2020. Peu après, il devient impossible de se rendre en Israël. Cela alourdit les négociations, qui doivent se poursuivre en vidéoconférence.
La pandémie vient également bouleverser les calculs. On ne sait pas, à ce moment, combien de temps elle durera ni de quoi l’économie mondiale aura l’air par la suite. La pandémie affecte aussi les opérations de LeddarTech et de ses clients. « Nous avons dû réduire nos dépenses pour pouvoir continuer sur la voie de cette acquisition, et lutter un peu plus fort que prévu pour convaincre le conseil d’administration d’aller de l’avant », admet Charles Boulanger.
Une décision judicieuse
La pandémie compliquera aussi l’intégration, qui devra se faire à distance. Les deux entreprises auront en outre quelques différences culturelles à surmonter, dont certains très basiques. Par exemple, en Israël, la fin de semaine est le vendredi et samedi, plutôt que le samedi et dimanche, ce qui réduit à quatre le nombre de jours où les deux équipes peuvent travailler ensemble.
Avec le recul, Charles Boulanger se félicite d’avoir persévéré malgré les obstacles. L’équipe israélienne est passée de 25 à 70 employés, au point où l’entreprise va inaugurer un nouveau centre de développement en fusion de données de capteurs et de perception à Tel-Aviv, en juin 2022. Cette collaboration internationale a aussi enrichi son équipe sur les plans collectif et individuel. « C’est très riche et ça nous a permis de grandir plus rapidement », assure Charles Boulanger.
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Les conseils de Charles Boulanger
1. « On devrait toujours établir une stratégie d’acquisition claire avant d’identifier des cibles. On ne fait pas une acquisition juste parce qu’on apprend qu’une autre compagnie est à vendre. On doit bien cerner ce que l’on veut obtenir d’une acquisition, puis rechercher une entreprise qui correspond à cela. »
2. « Lorsque l’on fait une acquisition à l’étranger, on doit faire preuve d’une grande ouverture d’esprit. Par exemple, en Israël, ils négocient très serré et leur culture d’affaires ressemble plus à l’Europe continentale qu’à l’Amérique du Nord. Ça peut être déstabilisant. On doit savoir s’adapter. »