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Le casse-tête du retour au présentiel

Kévin Deniau|Édition d'avril 2021

Le casse-tête du retour au présentiel

Un effort important pour la sécurité des employés a été entrepris par les manufacturiers. (Photo: 123RF)

SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL. 14 pages. C’est la longueur du protocole des mesures sanitaires mises en place par l’entreprise Kongsberg Automotive, à Shawinigan, qui conçoit des pièces mécaniques, notamment pour des véhicules récréatifs. Destiné aux 400 employés de l’usine, il recense les gestes désormais prescrits pour continuer à travailler en contexte de pandémie. Port du masque dès la sortie du véhicule personnel et durant toute la durée du quart de travail, lavage des mains en entrant dans le bâtiment, prise de température, désinfection du poste de travail et des outils en arrivant et en partant… Tout y est indiqué dans les moindres détails.

L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) n’a d’ailleurs rien trouvé à redire lors de sa visite des lieux, il y a quelques mois. Pour Samuel Fortin, conseiller en santé et sécurité au travail de Kongsberg Automotive, le mérite revient en grande partie au comité de gestion de la pandémie, mis en place dès le mois de mars 2020. Ce dernier réunit la plupart des membres de la direction, soit une dizaine de personnes, et a pour but d’entériner collectivement les mesures sanitaires. 

« Au début, on se retrouvait une fois par jour pendant au moins une heure. Ce fut un vrai investissement, mais c’était nécessaire pour que chacun se sente imputable des décisions prises », confie le conseiller en relations industrielles agréé (CRIA). Aujourd’hui que les habitudes sont prises, le comité ne se réunit plus qu’une fois par mois.

 

Éviter le laxisme

Un effort semblable a été entrepris par la plupart des manufacturiers, pour qui le travail en présentiel est une obligation. Et les entreprises qui se posent la question du retour au bureau après des mois, voire une année entière, en télétravail, planchent sur le leur.

« Si l’entreprise est laxiste dans l’information et la mise en pratique sur le terrain de ses mesures sanitaires, elle s’en va dans le mur. Cela va affecter les salariés et créer de la frustration voire du stress », estime Marie-Ève Champagne, spécialiste santé, sécurité et mieux-être en milieu de travail à Nucléi Conseils.

Parfois, c’est la fonction même du lieu de travail qui va évoluer. Dans sa nouvelle politique de travail flexible, présentée ce mois d’avril, l’agence de marketing numérique montréalaise Bloom laisse ainsi le choix individuel à sa cinquantaine de salariés entre le télétravail, la présence au bureau ou le mode hybride. L’été dernier, une dizaine de salariés avaient choisi spontanément de revenir dans ses locaux du quartier Saint-Henri.

« On veut malgré tout garder un aspect présentiel, pour favoriser la construction d’une culture d’entreprise. Le bureau va ainsi devenir plus un espace pour se retrouver, faire des activités ensemble ou mener des projets collaboratifs », précise Marie-Joëlle Turgeon, responsable marketing de Bloom. Du moins quand les conditions le permettront.

Le casse-tête ne fait en effet que commencer. La première étape étant bien entendu la réorganisation de l’espace de travail pour permettre la distanciation entre les employés. Cela fait partie des mesures de prévention en milieu de travail recommandées par l’INSPQ, recensées dans un document de synthèse publié en juillet.

 

De nouveaux questionnements à prévoir

La question des mesures proactives reste également entière. Geneviève Lord, directrice du département Personnes et culture du cabinet en gestion des affaires Pvisio, recommande ainsi l’usage de questionnaire de symptômes et d’auto-évaluation en ligne lors de l’arrivée sur les lieux de travail, à l’image de la solution sherbrookoise Agendrix. La prise de température est aussi possible, mais sa fiabilité est limitée.

Quid des tests de dépistage fréquents pour ses équipes ? « Ce n’est pas raisonnable dans tous les milieux de travail », répond Katherine Poirier, conseillère en ressources humaines agréée (CRHA) et avocate associée chez Borden Ladner Gervais. Cela ne peut pas être rendu obligatoire et imposé aux salariés qui ne donnent pas des soins ou qui ne sont pas en contact rapproché avec des personnes vulnérables, par exemple. « Si le test est fait de façon intrusive, par la cavité nasale, cela prend un consentement libre et éclairé et il ne faut pas que la personne sente que, si elle ne le fait pas, elle va perdre son emploi ou subir une sanction », ajoute l’avocate. Il en est globalement de même pour la vaccination. 

Katherine Poirier soulève aussi l’enjeu du droit de refus, prévu dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST), qui permet à un travailleur de refuser d’exécuter un travail s’il a des motifs raisonnables de croire qu’un danger menace sa santé ou celle d’autrui. « Il y a eu des recours au début, mais la situation est aujourd’hui stabilisée, constate l’avocate. C’est quand les salariés vont devoir retourner plus largement sur leur lieu de travail qu’il risque d’y en avoir plus, surtout s’ils doivent prendre les transports en commun, un espace que l’employeur ne contrôle pas. »