Chine: préparez-vous à des relations économiques «tendues»
François Normand|Édition de Décembre 2019La relation commerciale du Canada avec le géant asiatique s'annonce tumultueuse à long terme. (Photo: 123RF.com)
PERSPECTIVE DES MARCHÉS ÉTRANGERS. Même si Pékin a levé l’embargo sur le porc canadien en novembre, la relation commerciale du Canada avec le géant asiatique s’annonce tumultueuse à long terme en raison de l’arrestation d’une dirigeante de Huawei et de l’enjeu de la technologie de réseau 5G, affirment deux spécialistes du domaine.
«La relation risque d’être tendue. Il faut s’attendre à de l’instabilité entre les deux pays et à une relation qui va osciller entre les conflits et la coopération», dit Zhan Su, professeur spécialiste de la Chine et directeur de la chaire Stephen A. Jarisloswky en gestion des affaires internationales à l’Université Laval.
À ses yeux, la levée de l’embargo sur le porc a beaucoup plus à voir avec l’épidémie de fièvre porcine qui sévit en Chine, et qui a décimé le cheptel national, qu’avec un réchauffement des relations avec le Canada.
Les deux pays sont effectivement à couteaux tirés depuis que la police canadienne a arrêté la cheffe de la direction financière de Huawei, Meng Wanzhou, fille du fondateur du géant chinois des télécommunications.
Les autorités l’ont interceptée en décembre 2018 lors d’une correspondance à Vancouver, en réponse à une demande d’extradition faite par la justice américaine. Les États-Unis souhaitent que Mme Meng – qui est actuellement assignée à résidence à Vancouver – soit extradée afin qu’elle réponde à des accusations de fraude relativement à des contrats que Huawei aurait conclus avec l’Iran, transgressant ainsi les sanctions imposées par Washington contre Téhéran.
La police chinoise a par la suite arrêté sur son territoire deux Canadiens, l’ancien diplomate Michael Kovrig et l’homme d’affaires Michael Spavor, pour des motifs liés à la sécurité nationale. Or, selon les spécialistes, il s’agit de représailles à l’arrestation de Mme Meng.
Peu après, Pékin a aussi interdit les importations de semences de canola ainsi que de viandes canadiennes.
Le Canada est un État de droit. Ainsi, le système de justice canadien ne libérera pas Mme Meng, même si la Chine exerce des pressions sur Ottawa, selon Jérôme Beaugrand- Champagne, avocat et conférencier à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
C’est pourquoi il faut s’attendre à ce que les relations avec la Chine demeurent tendues. «Elles risquent de perdurer jusqu’à l’extradition de Mme Meng aux États-Unis afin qu’elle fasse face aux chefs d’accusation, dont celle de fraude bancaire», dit celui qui a travaillé pendant 20 ans en Chine à titre d’avocat.
Un entrepreneur canadien présent en Chine depuis plus de 10 ans, et qui préfère garder l’anonymat, nuance toutefois ce risque. «Je fais la différence entre les relations entre le Canada et la Chine du côté commercial – entreprise à entreprise – et du côté diplomatique. Je dirais que la part strictement commerciale se porte beaucoup mieux depuis l’été déjà, mais que la part diplomatique est toujours dans une impasse.» Il croit que la venue du nouvel ambassadeur canadien Dominic Barton «va sûrement aider énormément le coté diplomatique [des relations entre les deux pays] dans les prochains mois».
Chute des exportations et inquiétudes autour de la 5G
Ces tensions ont quand même un impact sur le commerce entre les deux pays. De janvier à août 2019, les exportations canadiennes de marchandises en Chine ont diminué de 5,3 % par rapport à la période correspondante l’an dernier, selon Statistique Canada.
En revanche, les exportations du Québec ont augmenté de 12,2 %. Une hausse qui tient en partie à l’augmentation importante des exportations de minerais de fer et de fèves de soja, a indiqué en octobre le directeur des représentations du Québec en Chine, Jean-François Lépine, en marge d’une conférence devant le Conseil des relations internationales de Montréal.
Du côté des technologies, la 5G risque également de devenir une source de tension avec le gouvernement chinois, estime le professeur Su.
Les États-Unis demandent en effet à leurs alliés du réseau de surveillance Five Eyes (le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande) d’interdire à Huawei d’installer sa technologie dans leurs infrastructures de télécommunications, car Pékin pourrait s’en servir pour les espionner.
Washington menace même de ne plus partager d’informations stratégiques avec ses partenaires s’ils donnent le feu vert à Huawei.
Ottawa a trois options, a souligné le quotidien The Globe and Mail. Il peut bannir sa nouvelle technologie de réseau au pays, maintenir le statu quo qui permet déjà à la société de vendre certains composants à des firmes canadiennes ou alors autoriser la 5 G de Huawei au Canada.
Mais comme le Canada est un allié des États-Unis, il serait surprenant qu’Ottawa choisisse cette dernière option, souligne M. Su. Le cas échéant, le gouvernement chinois n’aimera pas cette décision, ce qui risque d’avoir aussi un impact sur le commerce entre les deux pays et, du coup, les exportateurs canadiens.
Le Canada doit donc en tenir compte dans sa relation avec le géant asiatique, selon ce spécialiste. La Chine est actuellement au deuxième rang des marchés d’exportation du Canada, avec 5,4 % des expéditions de marchandises nationales, si l’on inclut les exportations canadiennes à Hong Kong. Même si ce pays deviendra bientôt le plus grand marché de consommateurs du monde, le Canada doit diversifier ses marchés en Asie afin de ne pas trop concentrer ses exportations sur le marché chinois, en misant davantage sur l’Indonésie et l’Inde, par exemple.
M. Beaugrand-Champagne croit aussi que le Canada a tout intérêt à diversifier davantage ses marchés partout dans le monde.
«Il serait préférable de suivre l’énoncé économique de l’automne 2018 par lequel le gouvernement devrait investir 1,1 milliard de dollars en six ans pour diversifier le commerce international et augmenter les exportations canadiennes (excluant vers les États-Unis) de 50 % d’ici 2025», fait-il valoir.