Michel Letellier (Photo: Martin Flammand)
PDG DE L’ANNÉE – MOYENNE ENTREPRISE. Le président et chef de la direction du producteur d’énergie renouvelable Innergex est assez unique au Québec, car il fait partie des rares chefs d’entreprises qui sont à la fois des entrepreneurs et des environnementalistes. Michel Letellier veut construire des projets énergétiques pour protéger l’environnement afin de léguer un monde meilleur aux générations futures.
Singulier aussi en ce sens qu’il peut vous parler dans la même heure de l’importance de faire des profits, de son admiration pour la jeune militante écologiste Greta Thurnberg et de la nécessité de générer des retombées socioéconomiques dans les collectivités où Innergex construit ses projets hydrauliques, éoliens et solaires, c’est-à-dire au Canada, en France, au Chili et aux États-Unis.
«Les profits sont importants. S’il n’y a pas de profit, il n’y a pas de projet. Maintenant, on ne fera jamais de profits sur le dos des collectivités», laisse-t-il tomber en entrevue à ses bureaux de Longueuil, au cours de laquelle il a indiqué à quel point il aime la nature et que la protection de l’environnement doit être une priorité.
Ce profil a plu au jury indépendant de Les Affaires, qui a décerné à M. Letellier le prix de PDG de l’année 2019 dans la catégorie Moyenne entreprise en raison des bons résultats de la PME, de sa croissance géographique diversifiée et du fait qu’elle brasse des affaires dans un secteur d’avenir, les énergies vertes. Sur ce dernier point, des spécialistes en développement durable soulignent à quel point des entreprises comme Innergex sont essentielles pour «décarboniser» l’économie, alors que le monde est engagé dans une lutte pour tenter de limiter le réchauffement de la Terre.
«Il faut ce type d’entreprise et ce type de PDG», affirme Alain Webster, professeur titulaire d’économie et d’environnement à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke.
Les résultats financiers sont aussi aux rendez-vous pour les actionnaires de cette entreprise inscrite à la Bourse de Toronto, qui compte 353 employés et qui exploite quelque 68 projets dotés d’une puissance installée de 3 062 mégawatts. Au troisième trimestre de 2019, les revenus d’Innergex ont progressé de 23 %, tandis que les bénéfices avant intérêts, impôts et amortissements (BAIIA) ont augmenté de 28 %. De 2016 à 2018, les revenus ont aussi doublé, pour atteindre 576,6 M$. Cette croissance rapide tient en grande partie aux acquisitions de centrales ou de parcs éoliens, qui permettent de générer de nouveaux revenus. Depuis sa fondation, en 1990, l’entreprise a réalisé 24 de ces acquisitions, dont 6 uniquement en 2016. En fait, Cloudworks Energy (en 2011), Alterra Power (en 2018) et les parcs éoliens Cartier (également en 2018, en achetant la part détenue par TransCanada) sont les seules acquisitions d’entreprises.
Cette progression du chiffre d’affaires a eu du coup une incidence sur la valeur de l’action. Depuis le début de l’année, elle a gagné 27 %, pour atteindre 17 $. Depuis cinq ans, on parle d’une hausse de près de 50 %. Les huit analystes qui suivent Innergex la voient d’ailleurs d’un oeil favorable. Trois proposent d’acheter le titre, tandis que cinq suggèrent de le garder. Aucun ne recommande de le vendre.
Des valeurs mobilières aux énergies vertes
Âgé de 55 ans, M. Letellier a grandi à Longueuil, où il fait ses études collégiales. Il poursuit ses études universitaires de premier cycle en finance à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), pour ensuite terminer un MBA à l’Université de Sherbrooke. M. Letellier a roulé sa bosse avant d’arriver chez Innergex. Après ses études, il a travaillé dans l’industrie des valeurs mobilières à Montréal, un secteur qui lui a appris des choses encore utiles aujourd’hui, confie le dirigeant. «Connaître le marché, la négociation d’obligations et la négociation en général, ça m’aide pour le financement.»
Après avoir travaillé plus tard un an chez Boralex, un autre producteur d’énergie renouvelable, il joint finalement la petite équipe d’Innergex en 1997, alors qu’elle compte trois ou quatre personnes, incluant son président et fondateur Gilles Lefrançois.
M. Letellier touche alors à tout : il est vice-président des finances, chef de la direction, pour devenir enfin président et chef de la direction en 2007.
Depuis qu’il a les deux mains sur le volant, il a piloté la croissance rapide de la société et son implantation dans plusieurs marchés clés à l’extérieur du Québec, souligne Jean-François Samray, PDG de l’Association québécoise de la production d’énergie renouvelable (AQPER), qui compte Innergex dans ses membres. «Michel Letellier, c’est l’homme de l’expansion d’Innergex au-delà des frontières du Québec, dit-il. La Colombie-Britannique, l’Ontario, mais également les États-Unis, le Chili, la France, voilà autant de régions où s’est implantée l’entreprise longueuilloise.»
L’implantation d’Innergex dans ces territoires repose sur une philosophie de gestion bien précise, inscrite dans l’ADN de l’entreprise : construire (ou acheter) des projets de production d’énergie renouvelable et gérer ces projets à très long terme, et ce, afin de développer des relations durables avec les collectivités locales. «C’est difficile d’avoir des relations à long terme dans une collectivité si tu promets des formes de gestion ou de communication et que, sitôt que tu as sécurisé tes permis, voire fait la construction d’un projet, tu le vends», explique-t-il.
Non seulement cette situation mine-t-elle la crédibilité des développeurs, mais elle fait aussi en sorte que la collectivité locale développera plutôt une relation à long terme avec le futur acheteur du projet.
«C’est pour cette raison que nous voulons construire, gérer et être en bonne relation avec le milieu», souligne M. Letellier.
Le marché de l’avenir
Du Canada à la France en passant par le Chili, les occasions d’affaires sont nombreuses pour Innergex. Pour autant, ce sera aux États-Unis que la PME québécoise affichera la plus forte croissance de ses revenus dans les prochaines années. Du reste, Innergex a déjà plusieurs projets sur le marché américain.
Au troisième trimestre de 2019, la société a terminé la mise en service commerciale du parc éolien Foard City de 350,3 MW, au Texas, avec en main un contrat de vente d’électricité de 12 ans signé au distributeur Vistra Energy. Toujours au Texas, Innergex a aussi inauguré, cet automne, son parc solaire Phoebe, qui produira à terme 315 MW d’électricité. Shell Energy North America, une filiale de la pétrolière Shell, achètera de cette énergie sur une période de 12 ans.
Par contre, la congestion du réseau est un enjeu au Texas, rendant un peu plus difficile la vente d’électricité. C’est notamment pourquoi la croissance du BAIIA d’Innergex au troisième trimestre a été un peu moins élevée que prévu, souligne dans une note Mark Jarvi, analyste à la Banque CIBC.
De tous les projets d’Innergex aux États-Unis, ce sont sans doute les deux projets solaires photovoltaïques avec stockage d’énergie par batteries, à Hawaii, qui sont les plus structurants pour l’entreprise, confie M. Letellier. «Cette composante de stockage va unifier ou compléter l’offre d’énergie renouvelable pour la rendre plus commerciale et moins intermittente. Je pense que l’avenir est dans ce domaine-là», affirme-t-il.
Le producteur n’a pas l’intention de faire des acquisitions pour se mettre à produire des batteries de stockage pour ses projets d’énergie éolienne solaire et hydraulique (les centrales au fil de l’eau ne peuvent pas stocker l’énergie comme les grands barrages d’Hydro-Québec).
Par contre, la société veut maîtriser cette technologie pour l’offrir dans tous ses projets aux États-Unis et ailleurs dans le monde. «On veut être les pionniers dans la connaissance et l’application des batteries, et être reconnus comme un joueur important dans l’industrie», confie le patron d’Innergex.