Il en faudra beaucoup pour redonner le goût des projets publics aux firmes québécoises. (Photo: 123RF)
Redonner le goût des marchés publics aux firmes québécoises
Jean-François Venne
Les investissements publics en infrastructures explosent au Québec, mais plusieurs projets peinent à intéresser les firmes de génie. Un grand nombre se retrouvent même sans soumissionnaire. Le projet de loi 12 pourrait-il contribuer à régler ce problème ?
Présenté par la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, en février dernier, le projet de loi 12 (PL 12) vise notamment à encourager l’achat de biens et de services locaux dans les projets publics et à favoriser l’innovation ainsi que le développement durable. L’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) a bien accueilli ce projet dans l’ensemble, mais soutient que d’autres modifications seront nécessaires pour qu’il atteigne ses objectifs.
« Nous apprécions l’accent placé sur l’innovation, souligne la présidente de l’OIQ, Kathy Baig. Nous croyons que cela favorisera des projets de meilleure qualité et qui correspondent davantage aux nouveaux défis environnementaux. Pour les citoyens, ces projets seront rentables à long terme. »
Kathy Baig croit par exemple que la volonté du gouvernement de développer de nouveaux processus d’octroi de contrats pour favoriser l’innovation pourrait briser l’image de rigidité qui décourage certaines firmes de soumissionner sur des projets publics. « Les organismes publics devront toutefois disposer en interne d’une expertise adéquate pour bien planifier les projets et surveiller leur réalisation », précise-t-elle.
Protéger la concurrence
Le PL 12 prévoit notamment que les organismes publics privilégient les procédures d’octroi de contrats régionalisées, tout en s’assurant d’effectuer une rotation entre les entreprises de la région pour les contrats de gré à gré, donc sans appel d’offres. Mais est-ce bien réaliste ?
« Il y a des régions où l’on ne retrouve que deux ou trois firmes, donc celles-là devront probablement regarder sur un plus grand territoire pour s’assurer de préserver la concurrence », avance François Plourde, PDG de CIMA+.
Il souligne aussi que les tarifs horaires admissibles pour des services professionnels fournis au gouvernement par des ingénieurs n’ont pas été indexés depuis 2009. « Or, il y a un coût pour des firmes comme la nôtre à conserver des services dans plusieurs régions éloignées des grands centres, rappelle-t-il. La volonté de miser sur des fournisseurs locaux deviendra difficile à réaliser si le gouvernement opte pour la règle du plus bas soumissionnaire. Surtout que nous devons de notre côté investir pour trouver des conceptions durables et qui aident à combattre ou à s’adapter aux changements climatiques. »
Rattraper les tarifs du marché
Pour l’instant, le ministère des Transports et la Société québécoise des infrastructures fonctionnent avec une approche basée sur les compétences et non en fonction du plus bas soumissionnaire. L’Association des firmes de génie-conseil (AFG) craignait que cela ne change avec le projet de loi 12, mais ce n’est pas le cas. « C’est une très bonne nouvelle », lance son PDG, Bernard Bigras.
Mais il en faudra plus pour redonner le goût des projets publics aux firmes québécoises. Bernard Bigras dénonce en premier lieu la caducité du décret 1235-87, qui définit les services requis pour les mandats d’ingénierie, dont les étapes de réalisation des projets, les méthodes de paiement, les barèmes d’honoraires et les dépenses admissibles. Presque tous les organismes publics l’utilisent comme base de négociation avec les firmes.
« Ce décret date de 1987 et est complètement dépassé, souligne le PDG de l’AFG. On y trouve encore des références à la dactylo, alors que les ordinateurs, eux, restaient rares dans les bureaux à l’époque. La réalité des firmes a complètement changé depuis ce temps, mais les barèmes du décret ne reflètent pas cette évolution. »
Lui aussi pointe du doigt l’absence d’indexation des honoraires prévus au décret, en particulier dans un contexte où la pénurie de main-d’œuvre et l’inflation engendrent une pression à la hausse sur les salaires des professionnels et les coûts de réalisation des projets. « Les firmes ont naturellement tendance à aller vers les projets privés, qui paient le prix du marché, plutôt que vers les projets publics », observe-t-il.
Elles risquent même, selon lui, de se désintéresser du marché québécois pour lorgner les occasions offertes ailleurs au Canada ou aux États-Unis. Des firmes comme CIMA+ et Englobe ont d’ailleurs effectué dernièrement plusieurs acquisitions en Ontario et dans l’Ouest canadien pour accéder à ces contrats.
« Les tarifs dans ces provinces sont presque deux fois plus élevés que ceux offerts au Québec, constate Bernard Bigras. Le gouvernement doit résoudre ce problème s’il souhaite vraiment favoriser l’innovation. On ne fera pas de l’innovation au rabais, c’est impossible. »
-30-Redonner le goût des marchés publics aux firmes québécoises
Jean-François Venne
Les investissements publics en infrastructures explosent au Québec, mais plusieurs projets peinent à intéresser les firmes de génie. Un grand nombre se retrouvent même sans soumissionnaire. Le projet de loi 12 pourrait-il contribuer à régler ce problème ?
Présenté par la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, en février dernier, le projet de loi 12 (PL 12) vise notamment à encourager l’achat de biens et de services locaux dans les projets publics et à favoriser l’innovation ainsi que le développement durable. L’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) a bien accueilli ce projet dans l’ensemble, mais soutient que d’autres modifications seront nécessaires pour qu’il atteigne ses objectifs.
« Nous apprécions l’accent placé sur l’innovation, souligne la présidente de l’OIQ, Kathy Baig. Nous croyons que cela favorisera des projets de meilleure qualité et qui correspondent davantage aux nouveaux défis environnementaux. Pour les citoyens, ces projets seront rentables à long terme. »
Kathy Baig croit par exemple que la volonté du gouvernement de développer de nouveaux processus d’octroi de contrats pour favoriser l’innovation pourrait briser l’image de rigidité qui décourage certaines firmes de soumissionner sur des projets publics. « Les organismes publics devront toutefois disposer en interne d’une expertise adéquate pour bien planifier les projets et surveiller leur réalisation », précise-t-elle.
Protéger la concurrence
Le PL 12 prévoit notamment que les organismes publics privilégient les procédures d’octroi de contrats régionalisées, tout en s’assurant d’effectuer une rotation entre les entreprises de la région pour les contrats de gré à gré, donc sans appel d’offres. Mais est-ce bien réaliste ?
« Il y a des régions où l’on ne retrouve que deux ou trois firmes, donc celles-là devront probablement regarder sur un plus grand territoire pour s’assurer de préserver la concurrence », avance François Plourde, PDG de CIMA+.
Il souligne aussi que les tarifs horaires admissibles pour des services professionnels fournis au gouvernement par des ingénieurs n’ont pas été indexés depuis 2009. « Or, il y a un coût pour des firmes comme la nôtre à conserver des services dans plusieurs régions éloignées des grands centres, rappelle-t-il. La volonté de miser sur des fournisseurs locaux deviendra difficile à réaliser si le gouvernement opte pour la règle du plus bas soumissionnaire. Surtout que nous devons de notre côté investir pour trouver des conceptions durables et qui aident à combattre ou à s’adapter aux changements climatiques. »
Rattraper les tarifs du marché
Pour l’instant, le ministère des Transports et la Société québécoise des infrastructures fonctionnent avec une approche basée sur les compétences et non en fonction du plus bas soumissionnaire. L’Association des firmes de génie-conseil (AFG) craignait que cela ne change avec le projet de loi 12, mais ce n’est pas le cas. « C’est une très bonne nouvelle », lance son PDG, Bernard Bigras.
Mais il en faudra plus pour redonner le goût des projets publics aux firmes québécoises. Bernard Bigras dénonce en premier lieu la caducité du décret 1235-87, qui définit les services requis pour les mandats d’ingénierie, dont les étapes de réalisation des projets, les méthodes de paiement, les barèmes d’honoraires et les dépenses admissibles. Presque tous les organismes publics l’utilisent comme base de négociation avec les firmes.
« Ce décret date de 1987 et est complètement dépassé, souligne le PDG de l’AFG. On y trouve encore des références à la dactylo, alors que les ordinateurs, eux, restaient rares dans les bureaux à l’époque. La réalité des firmes a complètement changé depuis ce temps, mais les barèmes du décret ne reflètent pas cette évolution. »
Lui aussi pointe du doigt l’absence d’indexation des honoraires prévus au décret, en particulier dans un contexte où la pénurie de main-d’œuvre et l’inflation engendrent une pression à la hausse sur les salaires des professionnels et les coûts de réalisation des projets. « Les firmes ont naturellement tendance à aller vers les projets privés, qui paient le prix du marché, plutôt que vers les projets publics », observe-t-il.
Elles risquent même, selon lui, de se désintéresser du marché québécois pour lorgner les occasions offertes ailleurs au Canada ou aux États-Unis. Des firmes comme CIMA+ et Englobe ont d’ailleurs effectué dernièrement plusieurs acquisitions en Ontario et dans l’Ouest canadien pour accéder à ces contrats.
« Les tarifs dans ces provinces sont presque deux fois plus élevés que ceux offerts au Québec, constate Bernard Bigras. Le gouvernement doit résoudre ce problème s’il souhaite vraiment favoriser l’innovation. On ne fera pas de l’innovation au rabais, c’est impossible. »
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INGÉNIEURS. Les investissements publics en infrastructures explosent au Québec, mais plusieurs projets peinent à intéresser les firmes de génie. Un grand nombre se retrouvent même sans soumissionnaire. Le projet de loi 12 pourrait-il contribuer à régler ce problème ?
Présenté par la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, en février dernier, le projet de loi 12 (PL 12) vise notamment à encourager l’achat de biens et de services locaux dans les projets publics et à favoriser l’innovation ainsi que le développement durable. L’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) a bien accueilli ce projet dans l’ensemble, mais soutient que d’autres modifications seront nécessaires pour qu’il atteigne ses objectifs.
« Nous apprécions l’accent placé sur l’innovation, souligne la présidente de l’OIQ, Kathy Baig. Nous croyons que cela favorisera des projets de meilleure qualité
et qui correspondent davantage aux nouveaux défis environnementaux. Pour les citoyens, ces projets seront rentables à long terme. »
Kathy Baig croit par exemple que la volonté du gouvernement de développer de nouveaux processus d’octroi de contrats pour favoriser l’innovation pourrait briser l’image de rigidité qui décourage certaines firmes de soumissionner sur des projets publics. « Les organismes publics devront toutefois disposer en interne d’une expertise adéquate pour bien planifier les projets et surveiller leur réalisation », précise-t-elle.
Protéger la concurrence
Le PL 12 prévoit notamment que les organismes publics privilégient les procédures d’octroi de contrats régionalisées, tout en s’assurant d’effectuer une rotation entre les entreprises de la région pour les contrats de gré à gré, donc sans appel d’offres. Mais est-ce bien réaliste ?
« Il y a des régions où l’on ne retrouve que deux ou trois firmes, donc celles-là devront probablement regarder sur un plus grand territoire pour s’assurer de préserver la concurrence », avance François Plourde, PDG de CIMA+.
Il souligne aussi que les tarifs horaires admissibles pour des services professionnels fournis au gouvernement par des ingénieurs n’ont pas été indexés depuis 2009. « Or, il y a un coût pour des firmes comme la nôtre à conserver des services dans plusieurs régions éloignées des grands centres, rappelle-t-il. La volonté de miser sur des fournisseurs locaux deviendra difficile à réaliser si le gouvernement opte pour la règle du plus bas soumissionnaire. Surtout que nous devons de notre côté investir pour trouver des conceptions durables et qui aident à combattre ou à s’adapter aux changements climatiques. »
Rattraper les tarifs du marché
Pour l’instant, le ministère des Transports et la Société québécoise des infrastructures fonctionnent avec une approche basée sur les compétences et non en fonction du plus bas soumissionnaire. L’Association des firmes de génie-conseil (AFG) craignait que cela ne change avec le projet de loi 12, mais ce n’est pas le cas. « C’est une très bonne nouvelle », lance son PDG, Bernard Bigras.
Mais il en faudra plus pour redonner le goût des projets publics aux firmes québécoises. Bernard Bigras dénonce en premier lieu la caducité du décret 1235-87, qui définit les services requis pour les mandats d’ingénierie, dont les étapes de réalisation des projets, les méthodes de paiement, les barèmes d’honoraires et les dépenses admissibles. Presque tous les organismes publics l’utilisent comme base de négociation avec les firmes.
« Ce décret date de 1987 et est complètement dépassé, souligne le PDG de l’AFG. On y trouve encore des références à la dactylo, alors que les ordinateurs, eux, restaient rares dans les bureaux à l’époque. La réalité des firmes a complètement changé depuis ce temps, mais les barèmes du décret ne reflètent pas cette évolution. »
Lui aussi pointe du doigt l’absence d’indexation des honoraires prévus au décret, en particulier dans un contexte où la pénurie de main-d’œuvre et l’inflation engendrent une pression à la hausse sur les salaires des professionnels et les coûts de réalisation des projets. « Les firmes ont naturellement tendance à aller vers les projets privés, qui paient le prix du marché, plutôt que vers les projets publics », observe-t-il.
Elles risquent même, selon lui, de se désintéresser du marché québécois pour lorgner les occasions offertes ailleurs au Canada ou aux États-Unis. Des firmes comme CIMA+ et Englobe ont d’ailleurs effectué dernièrement plusieurs acquisitions en Ontario et dans l’Ouest canadien pour accéder à ces contrats.
« Les tarifs dans ces provinces sont presque deux fois plus élevés que ceux offerts au Québec, constate Bernard Bigras. Le gouvernement doit résoudre ce problème s’il souhaite vraiment favoriser l’innovation. On ne fera pas de l’innovation au rabais, c’est impossible. »
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