Les centres commerciaux transitionnent vers le divertissement
Charles Poulin|Édition de la mi‑mai 2023Le Sport Expert du Dix30 met à la disposition de ses clients des filets de golf pour tester les bâtons. (Photo: 123RF)
IMMOBILIER COMMERCIAL. L’époque où s’alignaient, les unes après les autres, les boutiques de mode dans les centres commerciaux est révolue. Les gestionnaires de ces propriétés tentent désormais de se démarquer du Web en offrant aux visiteurs une « expérience » de magasinage qui se concentre sur le divertissement.
La pandémie a carrément coupé l’herbe sous le pied des centres commerciaux, estime le président du Groupe Mach, Vincent Chiara. L’année 2019 avait été excellente, et des propriétés comme le Carrefour de l’Estrie, à Sherbrooke, avec ses six millions de visiteurs, avaient atteint des records.
Le confinement a évidemment redirigé le trafic (et les ventes) vers le Web, mais ce ne fut pas l’hécatombe appréhendée par certains. « Plusieurs plateformes, dont Amazon, ont ouvert les vannes, mais ceux qui pensaient que ça se poursuivrait ont eu tort, dit-il. Dès qu’ils ont été déconfinés, les gens se sont “garrochés” dans les centres commerciaux. »
Résultat : malgré un début d’année 2022 encore sous le coup des mesures sanitaires, ce sont 7,5 millions de personnes qui ont visité le Carrefour de l’Estrie, soit une augmentation de 25 % de l’achalandage par rapport à 2019. « Les visiteurs se traduisent souvent en vente, et 2022 a été une année record pour plusieurs de ce côté », ajoute-t-il.
Le gestionnaire de portefeuille principal au Groupe Westcliff, Marc Montpetit, confirme lui aussi que les propriétés du groupe ont retrouvé leur élan d’avant pandémie.
« Pendant deux ans, nous avons eu de longues périodes de fermeture, explique-t-il. Nous avons rapidement pris position pour aider nos locataires à passer à travers, ce qui a permis leur maintien. Au retour, notre offre était proche de ce qu’elle était avant la pandémie. »
Se battre contre le Web
Cela ne veut pas dire que la partie est déjà gagnée par rapport aux ventes en ligne. Les centres commerciaux ont ainsi évolué pour se diriger vers une expérience événementielle pour accroître le nombre de visiteurs.
« Les grands centres d’achats, comme le Carrefour Laval ou les Promenades Saint-Bruno, veulent changer leur façon d’attirer les gens, note le vice-président aux conseils financiers, aux services-conseils et au courtage immobilier chez Deloitte, Georges Semine. Ils se tournent donc vers le divertissement et l’expérience de magasinage. »
Il existe deux principales manières d’arriver à cette fin. La première est du ressort du gestionnaire de la propriété, qui sélectionne lui-même les commerces de destination. Ce seront plus souvent des restaurants, ce qui permettra d’étendre les heures d’utilisation du site, indique Marc Montpetit, mais on voit de plus en plus de commerces de proximité s’installer, telles des épiceries et des pharmacies.
« L’époque où 70 % d’une propriété étaient composés de détaillants de mode n’existe plus, tranche-t-il. Nous cherchons aujourd’hui à maximiser la mixité locative en fonction de la demande, et c’est un courant que la plupart des propriétaires suivent. »
Les gestionnaires modifient d’ailleurs l’architecture du site pour ajouter des entrées indépendantes qui permettent d’avoir accès à ces commerces en dehors des heures normales d’ouverture et ainsi générer de l’achalandage plus longtemps.
Si ce n’est pas un restaurant expérientiel ou un cinéma, ce sera alors un commerce de divertissement, par exemple le A/Maze du Fairview Pointe-Claire, un jeu d’évasion qui permet aux gens de s’amuser au centre commercial.
« Les gens veulent vivre des expériences et, à mon avis, le magasinage est une forme importante de divertissement », estime Vincent Chiara.
Expérience en boutique
La deuxième méthode vient des commerçants eux-mêmes, qui investissent dans leur propre magasin pour fournir une expérience hors du commun à la clientèle.
« Quand j’étais jeune, un grand Sports Experts avait 5000 ou 10 000 pieds carrés de surface, se souvient Vincent Chiara. Aujourd’hui, au DIX30, la chaîne possède un magasin de 75 000 pieds carrés, où ils ont des filets de golf pour tester les bâtons ou encore une salle réfrigérée pour essayer les manteaux Canada Goose. »
Le président du Groupe Mach croit que les boutiques n’ont pas tellement le choix de mettre le paquet parce que, souvent, elles sont en compétition avec ceux qui leur fournissent la marchandise qu’ils vendent.
« Pour certains, leur plus grand compétiteur est leur fournisseur, remarque-t-il. North Face vend ses manteaux directement sur le Web, si vous en voulez un. Pourquoi alors aller l’acheter ailleurs ? C’est l’expérience dans la boutique qui fait que vous allez vous le procurer chez un autre marchand. »
Densification de sites
Une autre tendance qui prend de l’ampleur chez les gestionnaires de centres commerciaux est la densification des sites.
La plupart de ces infrastructures sont bien positionnées dans la municipalité qui les accueille, et elles possèdent une denrée rare que tous les promoteurs immobiliers s’arrachent : du terrain.
Le Groupe Mach avait d’ailleurs annoncé, en janvier 2021, qu’elle explorait la possibilité de construire des logements résidentiels dans le stationnement du Carrefour de l’Estrie. Des discussions ont encore lieu avec la Ville de Sherbrooke à ce sujet, confirme Vincent Chiara.
« Il y avait une tendance pour les centres commerciaux, incluant le Carrefour de l’Estrie, d’avoir un surplus de terrain pour une éventuelle expansion, explique-t-il. Ces centres ont atteint la limite d’accueil de boutiques, mais ont des terrains attirants et excédentaires qui peuvent avoir une vocation autre. »
Il est naturel pour lui que des résidences privées pour aînés (RPA) s’informent pour savoir s’il est possible de construire à proximité d’un centre commercial, particulièrement dans les petites municipalités où celui-ci représente un « endroit important de réunion pour la population ».
« Nous explorons cette option partout, révèle-t-il. Mais ça prend la volonté de la Ville pour changer le zonage, et ça prend une volonté de densifier autour des centres commerciaux. »
Il avoue toutefois ne pas avoir rencontré beaucoup de résistance du milieu municipal jusqu’à maintenant.
Marc Montpetit affirme lui aussi que le Groupe Westcliff a effectué des démarches pour la construction éventuelle de RPA sur certains de ses sites de centres commerciaux, et que l’entreprise « analyse actuellement tout le potentiel d’ajout d’usages et de densité sur l’ensemble de [ses] propriétés ».
« C’est un courant généralisé de repenser la densification de ces sites, estime-t-il. C’est clair que de grands stationnements avec des ratios de 5,5 voitures par 1000 pieds ne sont pas très adéquats ni écologiques. Souvent, nos terrains sont bien situés et il y a de l’intérêt. »