L’initiative « 30 en 30 », un projet d’Ingénieurs Canada, vise à atteindre un taux de 30 % d’ingénieures nouvellement titulaires d’ici l’année 2030. (Photo: 123RF)
GÉNIE-CONSEIL. Les ingénieures sont plus représentées en génie-conseil (22,5 %) que dans les autres secteurs, et près du quart des cadres et des gestionnaires des firmes de génie-conseil s’identifient comme femmes, selon l’« Étude sur la main-d’œuvre visant à favoriser l’attractivité et la rétention dans le secteur du génie-conseil », publiée par l’Association des firmes de génie-conseil (AFG) et Aviseo, en mai dernier. Pour poursuivre sur cette lancée et peut-être atteindre un jour la parité, les expertes mentionnent l’importance des modèles inspirants en génie-conseil.
« Pourquoi il y a plus de femmes en génie-conseil que dans les autres domaines ? On n’a pas vraiment la réponse à ça, dit Sophie Larivière-Mantha, présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ). Mais de façon très personnelle, je crois que ça peut s’expliquer par le fait qu’on a de beaux exemples de dirigeantes en génie-conseil. J’entends souvent les femmes dire que c’est plus facile de se projeter dans une profession quand tu as des modèles qui te ressemblent. » La présidente pense notamment à des personnes dans des postes de direction comme Marie-Claude Dumas, présidente de WSP Canada, Isabelle Jodoin, vice-présidente pour le Québec de Stantec ou encore à Maud Cohen, directrice générale de Polytechnique Montréal.
Suzanne Demeules, présidente depuis l’été du conseil d’administration de l’AFG, a fait de la représentation des femmes en génie la priorité de son mandat. Elle aussi valorise l’importance des femmes dans des postes de gestion pour lutter contre la sous-représentation. « Je pense que plus on a de modèles féminins, plus on va en attirer d’autres, dit celle qui est elle-même vice-présidente aux transports à la firme CIMA+. Inclure les femmes, ça fait des projets mieux conçus. C’est pour ça aussi que c’est important d’avoir des femmes dans des postes de direction, d’avoir des modèles gestionnaires ; ça va attirer d’autres femmes. »
Encore du travail
Malgré l’existence de ces modèles en génie-conseil, la sous-représentation des femmes en génie demeure un chantier important. La proportion de femmes parmi les membres de l’OIQ (excluant les candidates à la profession) est de 15,3 %. D’ailleurs, le guide de l’employeur « Femmes en génie », publié par l’OIQ en janvier 2022, indiquait que « près de la moitié des ingénieures (45 %) déclarent avoir été victimes de discrimination au cours de leur carrière en raison de leur genre, soit trois fois plus que les femmes dans la population générale (15 %) ». Les employeurs, peut-on lire plus loin, ont un « rôle à jouer afin d’offrir des milieux de travail qui favoriseront le plein épanouissement des femmes et des hommes en génie ».
Plusieurs firmes de génie-conseil et organisations de l’industrie ont déjà instauré des politiques pour contribuer à la solution. Par exemple, EXP lançait en mai un programme de leadership féminin dans ses bureaux de Montréal, Sherbrooke et Québec, qui a pris la forme d’ateliers en compagnie d’une coach en leadership féminin. La firme CIMA+ a obtenu en mars la certification Parité, catégorie Bronze, décernée par l’organisme La gouvernance au féminin (voir autre texte). L’AFG, elle, par l’entremise de son Forum des jeunes professionnels, proposait au printemps une table ronde réunissant huit femmes gestionnaires inspirantes du génie-conseil. L’événement a attiré plus de 140 personnes. De son côté, à l’automne 2022, l’OIQ lançait un programme de mentorat dont le projet-pilote s’adressait aux jeunes femmes, avant d’être élargi pour inclure tous les genres. Ce programme n’a toutefois pas été reconduit pour l’année 2023.
« Le génie, c’est construire notre monde », dit Eve Langelier, ingénieure, professeure titulaire au Département de génie mécanique de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie au Québec (CFSG). « Ce monde-là est habité par des hommes et des femmes. Si un groupe est absent de la conception, ses besoins ne seront pas autant pris en compte. »
Elle milite donc elle aussi pour que les entreprises prennent leurs responsabilités, d’un côté par des politiques de gouvernance, d’un autre par la présentation de modèles variés. « On a besoin de voir plus de femmes, et ce, à tous les niveaux, dit la professeure. Des femmes cadres, des femmes dans les comités de direction, dans les structures de gouvernance. Et on a besoin d’en voir qui sont différentes. Des gens issus de la diversité au sens large, des personnes non binaires. Si tu as des modèles comme ça, c’est là que tu peux te dire “moi aussi je pourrais !”. »
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Une question d’intérêt
La fin de semaine du 30 septembre, la seconde édition du congrès IngénieurEs au féminin se déroulait à Sherbrooke dans le but d’encourager le réseautage et de réfléchir à la place des femmes dans l’industrie du génie. L’événement, organisé par un groupe de sept étudiantes de l’Université de Sherbrooke, a été un franc succès en affichant complet. Camille Guillemette Loyer, étudiante en génie mécanique, présidait l’organisation de l’événement qui rassemblait conférences, kiosques de l’industrie et gala. « La place des femmes, c’est vraiment un sujet d’actualité, considère la jeune femme. Il y a beaucoup de mesures mises en place depuis quelques années qui ont un impact, mais il faut encore travailler là-dessus. » Quand on lui demande si elle se voit occuper un poste de gestionnaire ou de direction dans sa carrière, la jeune femme se permet de rêver grand : « Je n’ai pas de plan préétabli. Je vais suivre ce qui me passionne et si je peux me rendre loin dans mon entreprise, c’est sûr que je vais prendre ma place. »
Dans six ans, 30 % de femmes?
L’initiative « 30 en 30 », un projet d’Ingénieurs Canada, vise à atteindre un taux de 30 % d’ingénieures nouvellement titulaires d’ici l’année 2030. Actuellement, le taux de femmes candidates à la profession d’ingénieur (ce qu’on appelait anciennement le « juniorat ») à l’OIQ est de 22 %. L’objectif est donc ambitieux. « Dans certains domaines, je crois que c’est atteignable, estime Eve Langelier, ingénieure, professeure titulaire au Département de génie mécanique de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie au Québec. Mais dans d’autres domaines, on est trop loin de la cible. Les chiffres ne changent pas vite. Par contre, je ne pense pas qu’il faille ne pas y croire, sinon on va laisser tomber ». Sophie Larivière-Mantha, présidente de l’Ordre des ingénieurs (OIQ) est d’accord pour dire que le défi est de taille. « C’est un objectif qui va être difficile à atteindre, mais ça n’empêche pas qu’on va faire tous les efforts possibles. Dans certaines universités en génie, on commence à atteindre les 30 % d’inscriptions féminines, donc c’est encourageant pour atteindre 30 % de candidates à la profession. Ça va prendre des efforts soutenus. »