Parmi les 250 membres d'Anges Québec, 17 % sont des femmes. (Photo: courtoisie)
FINANCEMENT D’ENTREPRISES. Investir temps et argent dans une entreprise à fort potentiel de croissance n’est pas qu’une affaire d’hommes blancs de plus de 55 ans.
Cela a pourtant longtemps été le cas, avoue d’emblée Geneviève Tanguay, PDG d’Anges Québec, le plus important réseau d’anges investisseurs du Canada. « À nos débuts, il y a près de 15 ans, le réseau pouvait bel et bien être assimilé à un boys’ club, confirme-t-elle. On y retrouvait en grande majorité des entrepreneurs à succès fortunés et expérimentés qui souhaitaient apprendre le b.a.-ba de l’investissement en capital privé. »
Bien que caricatural, ce profil demeure assez présent, constate-t-on sur le site d’Anges Québec. Parmi ses 250 membres, seulement 17 % sont des femmes. La moyenne, dans les groupes d’anges financiers canadiens, est encore plus basse: elle était de 14 % en 2019, selon un rapport de l’organisme Female Funders. La situation est à peine plus reluisante aux États-Unis, où le concept est pourtant plus implanté ; 22 % des anges investisseurs étaient de sexe féminin au pays de l’Oncle Sam en 2017, selon un portrait exhaustif du secteur signé notamment par des chercheurs affiliés à la Harvard Business School.
Les temps changent
La situation s’améliore néanmoins. L’arrivée de Geneviève Tanguay à la tête d’Anges Québec, à la fin de 2020, symbolise d’ailleurs ce vent de renouveau. Celle qui possède près de deux décennies d’expérience sur le marché de l’investissement au Québec est la première femme à occuper ce poste. « Ça envoie un message fort. Même si elles sont encore sous-représentées, les femmes osent prendre leur place », pense Jacqueline Khayat, ange investisseuse et VP au développement des affaires à la biotech américaine XXII Century Group.
Dans le passé, moins de 5 % des entreprises dans lesquelles les membres d’anges Québec investissaient étaient dirigées par des femmes. Désormais, environ de 20 % à 40 % des projets présentés chaque mois aux membres d’Anges Québec sont pilotés par des femmes. Une tendance certes encourageante, mais qui prendra plusieurs années avant de se répercuter sur le membrariat du réseau. « Les femmes qui ont connu du succès comme entrepreneuses ou cheffes de file dans leur domaine commencent à peine à cogner à notre porte », rapporte Geneviève Tanguay.
Anges Québec comptera en principe 22 % de femmes parmi ses rangs en mars prochain. C’est du moins l’objectif que le réseau s’est fixé à pareille date l’an dernier dans le cadre de son initiative Ces femmes qui osent, qui a pour but d’accroître la diversité hommes-femmes chez les anges financiers. D’ici les cinq prochaines années, l’organisme souhaite atteindre une cible encore plus ambitieuse, « de l’ordre de 30 % » de membres féminins.
Pour ce faire, les anges investisseuses de demain devront cependant vaincre leur syndrome de l’imposteur. « C’est un sentiment qui nous colle à la peau, comme si on ne se sentait jamais assez prêtes, jamais assez bonnes. Personne ne nous empêche de prendre notre place ; nous nous en chargeons nous-mêmes », déplore Ginette Mailhot, ange investisseuse et présidente de la Corporation de développement économique de la MRC de Joliette.
« On n’échappe pas aux stéréotypes de genres, remarque-t-elle. Les femmes se concentrent sur le 20 % qui leur manque, tandis que les hommes focalisent sur le 80 % qui leur est acquis. »
Un apport essentiel
La féminisation de la fonction d’ange — et de l’industrie du capital de risque en général — est d’autant plus nécessaire qu’elle permettra selon toute vraisemblance de rehausser la qualité globale des dossiers étudiés, puis retenus. « Nous avons la réputation d’être plus analytiques, plus critiques et plus sensibles aux risques, avance Jacqueline Khayat. Prenons l’exemple de la revue diligente ; une table composée exclusivement d’hommes pourrait lever les yeux sur certains éléments critiques qui influencent la viabilité future de l’entreprise. »
À terme, la nature même des projets qui obtiennent un feu vert pourrait changer, considérant que certains ne sont susceptibles d’intéresser que 50 % de la population. « Je me rappelle avoir assisté à une présentation pour un produit de santé qui améliore la fertilité des femmes. Sans une présence féminine forte et décomplexée, il y a fort à parier que ce dossier n’aurait même pas été apprécié à sa juste valeur », croit Jacqueline Khayat, qui est également consultante et coach de start-ups. Le même raisonnement s’applique aux idées dirigées vers les personnes racisées et marginalisées, ajoute Ginette Mailhot.