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Sans les anges, point de salut?

Maxime Bilodeau|Édition de janvier 2022

Sans les anges, point de salut?

Zilia est une entreprise de technologie de la santé de Québec qui développe une technologie d’oxymétrie oculaire destinée à faciliter le diagnostic de maladies oculaires, neurologiques et systémiques. (Photo: courtoisie

FINANCEMENT D’ENTREPRISES. Le prix Innovation IA 2021 de l’Association pour le développement de la recherche et l’innovation au Québec ; une place dans le plus récent palmarès des 100 jeunes pousses les plus prometteuses en Amérique du Nord du magazine techno américain Red Herring ; une participation à l’accélérateur Canada–États-Unis pour les femmes fondatrices lancé par Google for Startups… En accumulant de tels honneurs, My Intelligent Machines (MIMs), qui met en marché des logiciels-services d’intelligence augmentée destinés aux spécialistes en sciences de la vie, est en voie de devenir un fleuron de l’écosystème québécois de l’intelligence artificielle.

Il suffit pourtant de reculer en 2019 pour constater que ce titre était loin d’être acquis. La jeune pousse fondée deux ans plus tôt comptait alors tout au plus une dizaine d’employés. « Nous étions en phase de démarrage, avec à peine 500 000 $ d’investissements de préamorçage et quelques prototypes en poche, raconte Sarah Jenna, PDG et cofondatrice de MIMs. Nos besoins financiers étaient considérables ; des compagnies de haute technologie comme la nôtre demandent des moyens considérables pour croître. »

Face à l’absence – du moins à l’époque – de fonds de capital de risque spécialisé en sciences de la vie, l’entreprise montréalaise a donc décidé de cogner à la porte d’Anges Québec. Une décision heureuse, en rétrospective. « Nous avons réussi à fédérer 14 anges du réseau autour de notre projet, dont Jean-Marc Rousseau, directeur du transfert technologique à l’Institut de valorisation des données (IVADO) de Montréal. Il nous a aidés à rallier plusieurs investisseurs institutionnels à notre cause, tels Desjardins Capital, Consortium Medteq, Real Ventures et Standup Venture », énumère Sarah Jenna.

Le succès de la première ronde de financement de MIMs – qui s’est clôturée à 2,6 millions de dollars (M$) – illustre bien la valeur que peuvent générer les anges financiers. Cela est tout particulièrement vrai avec ceux qui sont dotés d’expertise dans un domaine précis. « Avoir accès à de tels investisseurs est précieux. Cela permet par exemple d’avoir accès à un réseau de contacts foisonnant, ce qui vaut tout l’or du monde », pense Dominique Bélanger, associé directeur des fonds de croissance en coinvestissement à BDC Capital.

 

Capital de risque

Les anges financiers sont souvent les premiers investisseurs extérieurs à injecter du capital dans une entreprise en démarrage – après la famille et les proches des fondateurs (capital de proximité), il va sans dire. C’est ce qui est arrivé à Zilia, une entreprise de technologie de la santé de Québec qui développe une technologie d’oxymétrie oculaire destinée à faciliter le diagnostic de maladies oculaires, neurologiques et systémiques. 

En 2017, l’entreprise naissante avait un concept, un modèle d’affaires et un brevet, mais pas une cenne. « Nous avions besoin de quelques centaines de milliers de dollars pour mettre au point un prototype fonctionnel. Seul problème : un projet comme le nôtre ne cadre tout simplement pas avec les prêts plus classiques alloués par des institutions financières », explique Patrick Sauvageau, son PDG et cofondateur. L’absence d’historique de revenus, l’inexistence de flux de trésorerie et l’incapacité de rembourser la dette dès le lendemain de l’emprunt sont autant de facteurs qui a amené l’état-major de Zilia à se tourner vers des anges investisseurs associés à Anges Québec. 

« Nous avons eu la chance de croiser des investisseurs familiers avec notre secteur qui croyaient en nous. Sans leurs capitaux de risque, nous en serions encore à la case départ », confirme Patrick Sauvageau. Zilia a réussi à convaincre plus de 30 anges à investir dans son projet depuis ses débuts. Ces derniers ont par exemple investi 1,11 M$ dans la plus récente ronde de financement de l’entreprise, qui s’est clôturée à 4 M$. Leur présence a donc convaincu d’autres investisseurs d’embarquer en cours de route.

« Si les anges financiers interviennent lors des tout premiers stades de vie d’une entreprise, ils demeurent néanmoins dans le décor par la suite. Ce sont des partenaires avec qui il faut composer pendant 12 ans en moyenne », fait remarquer Dominique Bélanger. 

Zilia attend le feu vert de Santé Canada et de la Food and Drug Administration (FDA) pour commercialiser sa caméra rétinienne permettant la mesure continue de l’oxygénation dans la rétine. Grâce à ses anges, elle peut patienter sans problème jusqu’en 2023, année escomptée pour obtenir ces autorisations réglementaires.

Dans le milieu québécois des anges financiers, on se rappellera longtemps du succès de Paper. Cette jeune pousse montréalaise spécialisée en éducation a conclu en juin dernier une ronde de financement de 100 millions de dollars américains menée par un fonds majeur de capital de risque de la Californie, Institutional Venture Partners. Au même moment, plusieurs membres du réseau Anges Québec vendaient leurs parts dans l’entreprise, réalisant une sortie qualifiée de « record ». Parmi eux, Michel Lozeau, l’un des quatre premiers anges à avoir cru au projet au moment de sa première ronde d’amorçage, en 2016.
« Je ne peux pas dévoiler le profit réalisé ; ce que je peux dire, en revanche, c’est que j’ai récupéré beaucoup, beaucoup plus que 10 fois ma mise de départ », révèle celui qui occupe actuellement le poste de président du conseil d’administration d’Anges Québec. Paper, il faut le dire, a suivi une trajectoire exceptionnelle depuis sa fondation il y a sept ans. Alors connue sous le nom de GradeSlam, elle proposait du tutorat en ligne sous la forme de vidéos éducatifs destinés aux élèves du primaire jusqu’au cégep. 
Aujourd’hui, Paper met en relation des élèves et des tuteurs partout en Amérique du Nord – et bientôt dans le monde – grâce à une plateforme virtuelle offerte à un prix modique aux institutions d’enseignement. L’entreprise de 700 employés vient ainsi en aide à plus d’un million d’enfants, étant entre autres accessible dans près de 200 districts scolaires étasuniens. 
Paper figure par ailleurs parmi les sociétés qui ont connu la croissance la plus forte dans les trois dernières années au Québec — 2443 % — selon un récent palmarès du magazine L’actualité.
Apport crucial des anges
La pandémie a alimenté le succès de Paper, car de nombreux élèves confinés ont trouvé sur l’application des réponses à leurs questions dans la matière de leur choix, et ce, peu importe l’heure ou le jour de la semaine. Bien malin toutefois celui qui aurait pu prédire dès 2016 une crise sanitaire de cette ampleur, et ses conséquences sur le milieu de l’éducation. C’est l’aplomb et la vision du PDG Philip Cutler —  qui a lui-même fait du tutorat durant son baccalauréat en éducation à l’Université McGill —  qui ont incité une poignée d’anges d’embarquer dans l’aventure.
« Dès la première rencontre avec Philip, nous avons vu beaucoup de signaux très positifs. L’entreprise proposait une bonne technologie qui répond à de véritables besoins et ses dirigeants avaient une excellente vision stratégique ainsi que de solides ambitions commerciales », affirme Emmanuel Guyot, un des membres d’Anges Québec investisseurs de la première heure. L’algorithme de Paper a effectivement comme particularité d’apparier les élèves avec les « bons » tuteurs, c’est-à-dire ceux qui seront en mesure de les aider efficacement.
En 2018, Paper a procédé à une seconde ronde de financement, au terme de laquelle se sont joints une dizaine de nouveaux anges investisseurs. Michel Lozeau manœuvrait alors en coulisse, ouvrant notamment à l’état-major de Paper les portes de son propre réseau à l’extérieur du Québec. L’arrivée dans le décor de Framework Venture Partners n’est pas inconnue à ce coup de pouce – le fonds en capital de risque de Toronto fait d’ailleurs toujours partie des investisseurs impliqués. 
« Mon but, avec Paper, n’a jamais été de construire une gigantesque entreprise technologique. Depuis les débuts, mon objectif est de changer le monde de l’éducation en rendant le tutorat plus équitable et accessible au plus grand nombre », a confié Philip Cutler au magazine économique Forbes en juillet dernier. 
Pour l’instant, Paper n’est pas utilisé au Québec. Pourtant, ce n’est pas faute de ne pouvoir offrir le service de tutorat en ligne en français. « Cela m’attriste, avoue Michel Lozeau. Comme quoi nul n’est prophète en son pays. »