Patates Dolbec a investi entre 15 M$ et 20 M$ depuis cinq ans dans la numérisation de ses activités. (Photo: site web de Patates Dolbec)
AGRICULTURE ET AGROALIMENTAIRE. Une chose attire tout de suite l’attention en entrant dans le centre de traitement et d’emballage de Patates Dolbec, de Saint-Ubalde, à mi-chemin entre Québec et Trois-Rivières. La production est presque entièrement automatisée.
«On a pris le virage numérique il y a cinq ans», indique Josée Petitclerc, copropriétaire et directrice du marketing et de l’amélioration continue de la PME. L’idée, c’était d’enlever toutes les tâches qui ne sont pas à valeur ajoutée, étant donné la rareté de la main-d’œuvre qu’on voyait venir.»
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’entreprise n’a pas fait les choses à moitié. Une fois récoltées, les pommes de terre entrent dans l’usine pour être triées, lavées, ensachées et entreposées selon la variété, presque sans intervention humaine. «En cinq ans, on a investi un bon 15 à 20 millions de dollars», estime Josée Petitclerc. Le tri se fait par exemple grâce à un lecteur optique qui mitraille les pédoncules de milliers de photographies afin d’apprendre à différencier chaque variété et à les orienter vers la bonne section d’emballage. «Notre centre d’emballage est 4.0, souligne-t-elle. Ça veut dire que tous les équipements se parlent entre eux. Donc, si on ne fournit pas au lavage, les autres sections vont ralentir et vice-versa.»
Les gains de productivité ne sont qu’un des avantages générés par ce choix stratégique de Patates Dolbec. L’entreprise sait aussi exactement combien de pommes de terre contiennent ses entrepôts, leur variété, leur grosseur et même dans quel champ elles ont été récoltées. Cette connaissance fine des stocks lui permet de réagir rapidement afin d’alimenter la chaîne d’approvisionnement de façon efficace. «Comme tout est automatisé, on peut établir des priorités: si on a une remorque qui est en retard dans sa livraison, on peut tout de suite dire à la navette automatisée de remplir ce camion en premier», illustre Josée Petitclerc.
Des chaînes lentes à s’adapter
Justement, une meilleure gestion des chaînes d’approvisionnement agroalimentaires représente une des forces de la numérisation des entreprises du secteur, croit Marc-André Sirard, professeur au Département des sciences animales de l’Université Laval et président du Groupe intelligence artificielle et bioalimentaire du Québec. «On a vu à quel point la chaîne d’approvisionnement était fragile aux imprévus», rappelle-t-il en évoquant les problèmes occasionnés par la pandémie de COVID-19.
Le chercheur rappelle un effet inattendu de la fermeture des restaurants imposée par les différents gouvernements au pays. «Ça a provoqué un surplus épouvantable de patates frites, parce que les gens n’en font pas chez eux. Des millions de tonnes de patates ont été enterrées au Manitoba parce qu’on n’avait pas une chaîne d’approvisionnement capable de réagir à ce genre d’imprévu!»
Si des chaînes d’approvisionnement plus intelligentes — grâce à un traitement efficace des données produites par des systèmes informatisés — ne permettent pas d’atteindre la pleine autonomie alimentaire, elles pourraient selon lui réduire notre dépendance aux producteurs étrangers.
Partager ses données
La clé d’une chaîne d’approvisionnement plus efficace repose sur un élément crucial, croit Marc-André Sirard: le partage des données entre les différents maillons qui forment la chaîne.
Pour mieux comprendre, revenons chez Patates Dolbec. Dans son centre d’emballage 4.0 de Saint-Ubalde, les machines partagent leurs données entre elles — elles dialoguent, en quelque sorte —, afin d’assurer la fluidité de la production et d’éviter les pertes de productivité. Imaginez maintenant que ce partage de données se fasse à l’échelle de la chaîne d’approvisionnement au complet. C’est une des possibilités que permet la révolution numérique en cours, soutient le professeur Sirard, qui dit en observer quelques balbutiements dans certains secteurs de l’agroalimentaire. «Il y a des organismes, en collaboration avec l’Union des producteurs agricoles (UPA), qui travaillent sur des structures plus flexibles pour que les données soient partagées entre les producteurs, qui vont pouvoir en retirer un bénéfice collectif», note-t-il.
Malgré cela, du travail reste à accomplir pour arriver à une sorte de mutualisation des données, croit pour sa part Annie Royer, professeure agrégée en agroéconomie au Département d’agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval. D’abord, parce que certaines données peuvent être jugées délicates par ceux qui les possèdent. Ensuite, parce que dans bien des situations, plusieurs ne savent toujours pas quoi faire avec ces masses d’information. En effet, en matière de technologies agroalimentaires, «il y a 10% des producteurs qu’on peut qualifier d’avant-gardistes, les 40% suivant étant leurs voisins, quand ils voient que la solution fonctionne, estime Marc-André Sirard. Pour l’autre 50%, c’est [encore] non.»