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Après une année 2021 qui aura offert de solides rendements, les marchés boursiers nord-américains devraient poursuivre leur lancée à la hausse cette année, mais les investisseurs devraient tempérer leurs attentes.
Avant de parler des prévisions pour 2022, les experts de Desjardins estiment qu’il faut commencer par regarder dans le rétroviseur. « Malgré le choc vécu au premier trimestre de 2020, les performances ont été bonnes, depuis, au Canada, mais surtout aux États-Unis », rappelle Jean-René Ouellet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille chez Desjardins Gestion de patrimoine.
« En 2019, le S&P 500 a généré un rendement d’un peu plus de 30 %, comparativement à environ 16 % en 2020 et 27 % en 2021. Après ces trois excellentes années derrière la cravate, ça nous laisse avec des rendements espérés en 2022 qui sont un peu plus modestes », dit-il.
Les stratèges de Desjardins sont malgré tout positifs quant à la continuité du cycle économique, mais les investisseurs devront faire preuve d’humilité cette année. « Humilité, parce que les marchés boursiers ont profité de taux d’intérêt au plancher et que les banques centrales et les gouvernements ont été très accommodants ces dernières années, ce qui sera moins le cas cette année », ajoute Jean-René Ouellet.
Ce dernier dit tout de même anticiper des rendements décents de 10 % à 12 % pour le S&P/TSX et pour le S&P 500, qui seront soutenus par une croissance des bénéfices des entreprises et non par une croissance des multiples d’évaluation.
« Au lieu de danser le twist et le charleston comme en 2021, les marchés boursiers devraient danser le jazz en 2022 », illustre Michel Doucet, aussi vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille chez Desjardins Gestion de patrimoine.
Ce dernier précise que la demande pour les ressources naturelles devrait rester vigoureuse cette année, ce qui pourrait profiter aux marchés boursiers canadiens, comme à ceux d’autres joueurs importants dans le secteur, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Le secteur énergétique devrait aussi fort bien se tirer d’affaire, selon les experts de Desjardins. « Au cours des cinq dernières années, chaque fois que le pétrole a franchi le seuil des 50 $ à 55 $ US le baril, on a vu des joueurs dans le pétrole et le gaz de schiste redéployer des moyens de production. Les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), qui ont accru les coûts de ces producteurs, les ont restreints à beaucoup de discipline. Cette année, on anticipe que les entreprises du secteur feront essentiellement deux choses : retourner du capital aux actionnaires, car elles seront très rentables, et financer des initiatives ESG », ajoute Jean-René Ouellet.
Sans oublier les financières, qui devraient bénéficier d’éventuelles hausses de taux d’intérêt de la Banque du Canada. « La rentabilité des banques canadiennes est très robuste. Cette année, le secteur profitera d’une hausse des prêts commerciaux, car beaucoup d’entreprises vont vouloir regarnir leurs inventaires affectés par les problèmes de chaîne d’approvisionnement. Ces prêts sont habituellement plus rentables que les prêts hypothécaires », dit-il.
Jean-René Ouellet rappelle que le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a autorisé les banques à relever leurs dividendes et à racheter de leurs titres au mois de novembre pour la première fois depuis le début de la pandémie. Cela leur laisse entre 45 et 50 milliards de dollars (G$) de capital excédentaire qui sera retourné aux actionnaires, réinvesti ou déployé dans des fusions et acquisitions. À son avis, cela aidera à soutenir un secteur qui progresse normalement de 6 % à 7 % par année en excluant les dividendes et les rachats d’action. « Ça nous amène à privilégier un peu le Canada, puis à rester un peu plus longtemps favorables à la Bourse canadienne », dit-il.
Le premier vice-président et chef des marchés liquides à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), Vincent Delisle, n’a pas de cible précise de rendements pour les marchés boursiers mondiaux. Il préfère parler de tendances. Il prévoit aussi un ralentissement de la croissance économique mondiale en 2022, notamment dans les pays développés.
« Les conditions de 2021 ont été très propices à la prise de risque. En 2022, tant la Réserve fédérale américaine, la Banque du Canada que la Banque d’Angleterre parlent de resserrement monétaire. Cela nécessitera un niveau de risque plus équilibré et une approche sectorielle différente », dit-il.
En ce qui concerne l’Amérique du Nord, Vincent Delisle soutient que les conditions de marché aux États-Unis et au Canada seront similaires. Selon lui, les grandes tendances des dernières années ont été dominées par le secteur de la technologie. « À la CDPQ, avec les conditions macroéconomiques que je viens de décrire, nous allons nous positionner selon ce que l’on appelle un milieu de cycle économique, avec une exposition sectorielle qui est différente de celle d’un début de cycle », explique-t-il.
Vincent Delisle précise qu’habituellement, en début de reprise économique, les secteurs plus cycliques, comme celui des ressources naturelles, performent très bien. En milieu de cycle, il privilégie toutefois des entreprises de qualité dont les résultats financiers sont moins volatils dans les secteurs de la santé, de la consommation de base et des logiciels dans l’industrie technologique.
« Nous misons aussi sur les titres financiers qui, habituellement, profitent des hausses de taux d’intérêt », dit-il. Il prévoit que la Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine procéderont chacune à trois hausses d’un quart de point d’ici la fin de l’année.
Les experts de Desjardins continuent aussi d’aimer le marché boursier américain, avec un petit bémol sur son secteur technologique. Jean-René Ouellet et Michel Doucet disent encore une fois privilégier les secteurs financier, de l’énergie et des ressources naturelles.
« Avec des ménages américains qui ont énormément d’épargne et une poursuite du cycle économique, nous pourrions aussi miser sur le secteur de la consommation discrétionnaire. Toutefois, aux États-Unis, le secteur est dominé par deux gros joueurs, soit Amazon (AMZN, 3 229,72 $ US) et Nike (NKE, 150,44 $ US), des entreprises aux multiples assez élevés qui pourraient fléchir dans un environnement de hausses de taux d’intérêt. Il faut aussi regarder les grands thèmes avec une certaine granularité pour voir à quoi on s’expose », analyse Jean-René Ouellet.
Le vice-président, stratège et chef des placements à Banque Nationale Investissements, Martin Lefebvre, s’attend aussi à ce que les marchés boursiers soient encore très prisés cette année, tant au Canada qu’aux États-Unis, car les investisseurs n’ont pas vraiment d’autres options s’ils veulent générer des rendements intéressants.
« Il se pourrait que les obligations ne soient pas la meilleure option pour investir en 2022, en raison des hausses de taux d’intérêt à venir, qui ont déjà été grandement anticipées par les marchés. Cela permettra aux actions, qui ont donné de bons rendements ces dernières années, de continuer de bien faire », raconte Martin Lefebvre.
Selon lui, la Bourse canadienne, comme celle des États-Unis, devrait générer une croissance élevée à un chiffre « high single digit », qui est plus conforme à sa performance annuelle moyenne d’un point de vue historique. « Au Canada, il sera toutefois très difficile de répéter la performance de 2021, les titres des banques ayant connu une année époustouflante, avec un rendement qui a été près du double de la Bourse dans son ensemble, dit-il. Ces hausses ne pourront pas être aussi importantes cette année. »
Martin Lefebvre explique qu’aux États-Unis, la Bourse est plus diversifiée, mais aussi plus chère. Il attribue la bonne performance des indices aux titres de croissance du secteur technologique, qui ont été très porteurs pour les marchés américains. « Les très grandes capitalisations boursières font bien et vont probablement continuer de bien faire. Nous pensons toujours que les titres sont chers, mais on n’est pas comme avant la bulle technologique de l’an 2000, où les entreprises n’avaient pas un modèle d’affaires qui générait beaucoup de liquidités. Aujourd’hui, on parle de sociétés comme Apple (AAPL, 175,08 $ US), Alphabet (Google) (GOOGL, 2 794,72 $ US), Microsoft (MSFT, 314,98 $ US) et Amazon, qui ont la capacité de générer des profits intéressants, mais surtout d’immenses liquidités », explique-t-il.
Il ajoute que ce n’est pas quelque chose qui va disparaître du jour au lendemain. À moins qu’un nouveau joueur vienne prendre la relève, il y a fort à parier que ces titres vont continuer d’exercer un leadership sur l’ensemble de la Bourse en 2022, selon lui.
« On trouve ces titres chers et sur une base d’évaluation, on pourrait être tenté de prendre des profits, mais il y a fort à parier que les géants technologiques seront encore en vogue cette année », croit-il.
Investir ici
Martin Lefebvre recommande aux investisseurs de miser sur l’Amérique du Nord au cours des 12 prochains mois, plutôt que de s’éparpiller à l’international. Il mise sur le Canada pour ses ressources naturelles, ses titres bancaires et industriels qui tirent habituellement bien leur épingle du jeu dans un environnement où l’inflation est élevée. « On aime aussi les États-Unis pour l’élément de diversification et pour les titres de croissance qui sont plus nombreux qu’au Canada », dit-il. Il voit beaucoup de faiblesse structurelle en Europe, entre autres en raison des difficultés à traiter tout ce qui touche à la COVID-19.
Nous sommes très prudents par rapport à l’Europe cette année, tout comme envers les pays émergents, qui ont des taux de vaccination très faibles.
« On attend l’Europe depuis 10 ans en nous demandant si elle va finir par nous surprendre. Quand tu regardes les multiples d’évaluation, le potentiel qu’il y a, tout est là pour que ça fonctionne. Notre stratégie, c’est que quand ça arrivera, on s’ajustera », ajoute Michel Doucet.
RBC Gestion mondiale d’actifs ne semble pas d’accord avec les experts de Desjardins et de la Banque Nationale. Elle prévoit des rendements de 8,8 % pour l’indice MSCI Europe et de 10,2 % pour l’indice MSCI marchés émergents, comparativement à 7,7 % pour le S&P/TSX et à 4,9 % pour le S&P 500.
Quelle place faire aux titres à revenu fixe ?
Dans un environnement de hausses de taux d’intérêt, qui affaiblissent habituellement le secteur obligataire à court terme, les experts de Desjardins disent vouloir travailler en sous-pondération avec les obligations en 2022.
« C’est une stratégie prudente, car le marché obligataire pourrait générer un rendement négatif cette année, surtout si l’inflation colle à des niveaux supérieurs à la cible de 1 % à 3 % de la Banque du Canada. Notre prévision est que les taux des obligations 10 ans du gouvernement du Canada seront de 2,3 % à la fin de l’année. En faisant un simple calcul, on peut être assis sur des reculs non négligeables », explique Michel Doucet.
Pour les investisseurs qui veulent générer de bons rendements avec leurs obligations, il prévient que le marché ne fera pas de magie. Pour cette raison, ceux qui ont un profil équilibré de 60 % en actions et de 40 % en obligations pourraient vouloir hausser la proportion en actions à 65 % et réduire la portion obligataire à 35%.
« Pour nous, la valeur de détenir des obligations en portefeuille ne provient plus uniquement du revenu courant qu’elles vont dégager, mais bien de la protection qu’elles vont offrir en périodes de turbulences. On l’a vu en 2008-2009, en 2011-2012, en 2018 et en février et mars 2020 », raconte Jean-René Ouellet.
Quand la Bourse vit des périodes de turbulence, il rappelle que les valeurs refuges n’étaient pas le lingot d’or ou le bitcoin, mais des obligations gouvernementales de plus longue échéance et qui restent très liquides et qui permettent ensuite de réinvestir dans des titres qui ont reculé de 20%, 25% ou 30%.
De son côté, Vincent Delisle soutient que la CDPQ mise sur les obligations de société, qui offrent des rendements plus élevés que les obligations gouvernementales. Le désavantage de cette stratégie est que les obligations de sociétés sont moins liquides, mais les investisseurs importants, comme la CDPQ, dont l’actif net totalisait 390 G$ au 30 juin 2021, peuvent prendre ce risque.
« Il va falloir plus que deux ou trois hausses de taux pour raviver l’intérêt pour les obligations gouvernementales si on parle de répartition d’actifs, dit-il. Même si les hausses de taux devaient se poursuivre en 2023, à un certain moment, les taux des obligations à plus long terme vont cesser d’augmenter. Ce sera un signal qu’on s’approche de la fin du cycle économique.»
Vincent Delisle précise toutefois que malgré les taux d’intérêt faméliques des obligations gouvernementales, ces dernières jouent un rôle dans un portefeuille qui n’est pas à négliger lorsque des crises boursières surviennent. « Pas plus tard qu’en 2020, notre portefeuille à revenu fixe a généré un rendement de 9 %, comparativement à 12,4 % pour les actions », illustre-t-il.
La CDPQ examine aussi les obligations de certains pays émergents qui sont plus avancés dans leur cycle de resserrement économique, notamment en Amérique latine, et qui offrent donc des rendements plus élevés.
Martin Lefebvre recommande aussi de sous-pondérer les obligations dans les portefeuilles équilibrés en raison des faibles taux d’intérêt. Selon lui, les investisseurs qui misent sur un portefeuille équilibré pourraient placer jusqu’à 70 % de leurs avoirs dans les actions. « Pour le moment, nos portefeuilles sont plus à 65 % en actions et contiennent un bon coussin de liquidités. Si jamais une correction devait survenir en début d’année, nous serions peut-être appelés à redéployer ces sommes dans des actions pour profiter des replis boursiers », explique-t-il.
Martin Lefebvre ajoute que dans certains portefeuilles, la Banque Nationale utilise une partie des sommes allouées aux titres à revenu fixe pour investir dans des catégories d’actifs dites alternatives, comme l’immobilier et les infrastructures. « Cela nous donne des revenus d’intérêt relativement stables et qui sont un peu moins sensibles aux hausses du taux des banques centrales attendues cette année et l’an prochain, explique-t-il. La plupart de nos portefeuilles en bénéficient. »