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Nathalie Francisci

Profession: chasseur de têtes

Nathalie Francisci

Expert(e) invité(e)

Trop de talent pour être vieux!

Nathalie Francisci|Édition de la mi‑juin 2019

CHRONIQUE. Est-on trop vieux, à 55 ans, pour prendre la direction d'une entreprise ou d'un département ?

CHRONIQUE. Est-on trop vieux, à 55 ans, pour prendre la direction d’une entreprise ou d’un département ? Quel est l’âge magique, en 2020, pour devenir PDG ? Force est de constater que la définition du prime time de la carrière évolue avec le temps, les valeurs et les générations.

La définition du mot «vieux» est en train de changer, à mesure que la durée de vie s’allonge. «Quelqu’un de 60 ans aujourd’hui est d’âge moyen», déclare Sergei Scherbov, chercheur principal d’une étude pluriannuelle sur le vieillissement.

En France, passé 45 ans, vous êtes considéré comme un «senior». Au Québec, j’ai senti que l’appréciation de la maturité professionnelle était fort différente, en tout cas jusqu’à tout récemment. Depuis quelques années, j’entends régulièrement qu’après 50 ans, on est catégorisé has been. Pourtant, si vous avez atteint les 50 ans, aujourd’hui, vous avez encore en général 35 ans devant vous. Il me semble qu’il reste encore de la marge.

À l’heure de la pénurie des talents et du plein emploi, on ne devrait pas autant faire la fine bouche sur les talents disponibles, d’autant plus que les temps où les candidats se bousculaient à la porte sont révolus. Il y a 10 ans, les recruteurs comptaient facilement de cinq à dix candidats qualifiés sur leur «liste courte» alors qu’aujourd’hui, quand on en a deux ou trois, quand ce n’est pas juste un seul, on peut s’estimer chanceux.

L’accès à un rôle de direction s’établit traditionnellement autour de l’âge de 45 à 50 ans. Rien à voir avec l’âge comme tel, mais plutôt avec les années d’expérience qu’il faut accumuler pour maîtriser son expertise ou acquérir la maturité professionnelle nécessaire pour faire face aux enjeux d’affaires et la direction des équipes.

Malcom Gladwell, dans son livre Outliers, le documentait très bien avec la «règle des 10 000 heures», affirmant que la clé pour acquérir une expertise de classe mondiale dans n’importe quelle compétence consiste, dans une large mesure, à pratiquer 10 000 heures, soit environ 20 heures par semaine pendant 10 ans. En étant réaliste, cela peut donc prendre 20 ans sur le marché du travail pour arriver à maîtriser parfaitement une discipline ou un rôle. Bien sûr, les talents exceptionnels et ceux qui ont du génie peuvent réussir en moins de 20 ans, mais certainement pas en moins de 10 000 heures.

Si l’on revient à nos leaders de 45-50 ans aujourd’hui, ils appartiennent à la génération X, née plus ou moins entre 1965 et 1975. Ils sont nés à un moment où les taux de fécondité étaient en baisse rapide au Canada ; ils sont donc très peu nombreux. Environ 2,8 millions de personnes (8 % de la population totale en 2011) faisaient partie de cette génération qui constitue donc la plus petite génération en matière d’effectifs, coincés entre les baby-boomers et les milléniaux.

De nombreuses personnes de cette génération ont eu de la difficulté à intégrer le marché du travail dans les années 1980 et 1990 en raison des chocs pétroliers et des récessions. Malgré des études académiques parfois multiples pour se réorienter avant même de commencer à travailler afin d’espérer trouver un emploi dans leur domaine d’études, les X ont frappé un mur. Ils ont développé aussi un certain cynisme à l’égard de la société et des entreprises ; ils se sont recentrés sur eux-mêmes, ils ont misé sur leur qualité de vie et leur famille et ils ont fait émerger la tendance équilibre travail-famille, refusant de ressembler à leurs parents et à la génération des boomers, qu’ils qualifient d’irresponsables pour avoir dépensé sans compter et sacrifié l’environnement et la planète. Ils n’ont pas de modèle et peinent à s’en définir un.

Pas facile, dans ces circonstances, d’assumer un rôle de dirigeant et d’offrir un modèle de réussite aux yeux des boomers qui siègent aux CA et aux comités de sélection qui les recrutent.

Les boomers recherchent chez les X le genre de leader qu’ils ont été, nommés à 40-45 ans à des responsabilités, offrant des trajectoires de carrière à succès avec des parcours sans faute. Je me demande donc bien comment, en pleine récession et crise économique, aux prises avec un taux de chômage se situant entre 12 % et 13,2 % (entre 1991 et 1993), on pouvait dessiner un parcours similaire à celui des boomers. C’est comme si on demandait au candidat parfait d’avoir l’énergie de 25 ans, la maturité de 55 ans, la disponibilité d’un parent dont les enfants sont grands et un compte en banque suffisamment bien garni, ne pas trop discuter de son salaire et accepter ce qu’on lui offre sans discuter, juste pour le plaisir de relever le défi.

Il serait donc plus que temps de s’ouvrir et de faire preuve de flexibilité sur les nominations et recrutements. Après 10 ans d’expérience pertinente acquise, l’âge, peu importe lequel, ne doit pas être un critère de sélection, ni à la hausse ni à la baisse, puisque la valeur n’attend pas le nombre des années.

À l’aube de mes 50 ans, j’espère que j’ai encore quelques années de carrière devant moi et que nos enfants auront encore un monde de possibilités lorsqu’ils auront franchi les 40 ans.