Au Québec, c’est plus de 90 000 emplois qui sont liés à la forêt et ses produits. (Photo 123RF)
Un texte de Michel J. Paradis, conseiller stratège au cabinet Oeconomia et ancien conseiller spécial au cabinet du ministre de la Forêt, de la Faune et des Parcs.
COURRIER DES LECTEURS. Le 4 avril dernier avait lieu, devant l’Assemblée nationale, une manifestation. Étaient présents des travailleurs et travailleuses de diverses régions du Québec du secteur forestier. La raison de cette manifestation consistait à rappeler au gouvernement du Québec l’importance de tenir compte de l’ensemble des intervenants qui seront touchés par la prochaine stratégie visant à protéger le caribou forestier.
L’enjeu a certes été abordé par de grands médias, mais force est d’admettre que l’angle abordé se limitait à la mise en lumière de la situation de l’espèce. Nous n’avons pas réellement été sensibilisés par les impacts sur le plan social et économique qui affecteront les régions concernées, voire un pan important de l’économie québécoise.
Rappelons que le Bureau de la mise en marché du bois (BMMB) soulignait que « (…) le secteur forestier a entraîné au Québec des retombées économiques annuelles estimées à plus de 9,6 milliards de dollars (G$) en 2018. De ce nombre, 6,3 G$ proviennent directement du secteur (retombées directes), alors que 3,3 G$ proviennent de sa chaîne de fournisseurs (retombées indirectes).
Au Québec, c’est plus de 90 000 emplois qui sont liés à la forêt et ses produits. De ce nombre, près de 60 000 sont des emplois directs et environ 30 000 font partie de la chaîne d’approvisionnement (emplois indirects). De plus, le bois et sa transformation sont une source de revenus fiscaux pour les gouvernements. Les revenus fiscaux du gouvernement du Québec engendrés par le secteur sont estimés à 560 millions de dollars (M$), dont 377 M$ uniquement en retombées directes. En ce qui concerne le gouvernement fédéral, les entrées fiscales sont de 346 M$, dont 242 M$ de revenus directs. »
Cette activité économique contribue ainsi au financement de multiples programmes tels que l’assurance-emploi, le régime des rentes, l’assurance parentale, le fonds des services de santé, l’équité et la sécurité du travail, pour ne nommer que ceux-là.
Il semble être de bon ton de s’attaquer à ce secteur économique d’importance au Québec qui, comme tout autre secteur économique, est sujet à une amélioration. Cependant, on ne peut ignorer son apport à l’ensemble des services publics et la création de richesse dont nous bénéficions.
Un secteur en transformation
Prétendre que les acteurs du secteur forestier ne sont pas conscients du monde qui les entoure est, il faut l’admettre, caricatural. C’est pourtant ce qu’on laisse par moment sous-entendre. Est-ce une question de mode ou d’ignorance, que ce soit l’une ou l’autre de ces raisons, une certaine actualisation est nécessaire.
Développement durable
En tout premier lieu, afin d’assurer une gestion durable des forêts, les formations offertes en foresterie tiennent compte des aspects fondamentaux du développement durable, soit la prise en compte des aspects environnementaux, l’acceptabilité sociale et l’optimisation des retombées économiques. Tout ingénieur forestier est sensible à ces aspects lorsqu’il ou elle établit les plans d’aménagement forestier.
Certaines entreprises vont même encore plus loin en incorporant même dans leurs opérations les critères de développement durable afin d’assurer à la fois la pérennité de la forêt ainsi que de sa biodiversité. On me permettra de souligner le Groupe Boisaco qui dévoilait sa stratégie en développement durable qui s’inspire directement des objectifs du développement durable adoptés par les Nations-Unis .
Création de richesse et combat contre les GES
Face à la mondialisation des marchés, le gouvernement québécois encourage la diversification des produits et la valeur ajoutée. Soulignons la politique d’intégration du bois dans la construction qui a pour objet d’inciter notamment l’utilisation du bois dans les structures des divers bâtiments au Québec favorisant ainsi la séquestration du carbone. Les recherches effectuées par CECOBOIS démontrent les incroyables possibilités de cette ressource renouvelable et des entreprises telles que Chantier Chibougamau démontrent une expertise qui se développe continuellement.
Cependant, la concurrence est féroce et se manifeste sur les marchés d’exportation. Que la concurrence provienne de l’Europe, de l’Amérique du Sud, voire de la Russie, il s’agit d’une concurrence évidente à l’encontre de nos entreprises d’ici. Nous n’avons donc d’autres choix que de continuer à investir dans les entreprises québécoises ayant des projets porteurs en recherche et développement tout en s’assurant d’un aménagement forestier adapté à un contexte de changement climatique. Il importe de garder à l’esprit que notre forêt représente aussi un moyen important pour combattre les GES.
On le constate, le secteur forestier évolue dans un tout nouveau contexte. Désormais, nous parlons de bioproduits qui représentent en ce moment de nouvelles avenues, une transition vers ce que nous appelons la « bioéconomie ». Mentionnons les bioplastiques, bioraffineries, nanocristaux de cellulose qui sont quelques exemples de ce nouveau visage d’un secteur forestier en transformation et plus performant sur les marchés à forte concurrence.
La biomasse (qui provient des arbres et de résidus organiques) est aussi un axe de développement en pleins essors. Qu’il s’agisse d’additifs alimentaires, textiles, matériaux de construction, biocarburant pour les véhicules ou granules énergétiques.
La pérennité de ces produits en plein déploiement ne pourra prendre effet que par un aménagement forestier adapté à la réalité des changements climatiques. Par ce phénomène que personne ne peut remettre en question ou en diminuer l’importance, notre forêt se transformera (elle se transforme déjà). De nouvelles essences apparaitront et la biodiversité s’adaptera. Notre forêt, je le répète, grâce à un aménagement forestier tenant compte de cette transformation, sera alors une alliée de premier plan pour combattre les GES par sa séquestration.
Un secteur économique d’avenir
Les derniers débats concernant le secteur forestier en ont été de confrontation et excessivement émotifs. Il ne s’agit certes pas d’un environnement favorable pour une concertation et un dialogue fécond. Les entreprises forestières présentes dans l’ensemble du territoire québécois ont façonné le tissu économique de nombreuses régions, la survivance de communautés et facilité le développement d’autres secteurs d’activités.
Force est d’admettre que nous ne soupçonnons pas à quel point le secteur forestier québécois est déjà dans une phase de grande modernité et que nous en avons besoin si nous souhaitons maintenir nos acquis.