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Marie-Pier Frappier

Le mot de la directrice de l'info

Marie-Pier Frappier

Analyse de la rédaction

Toujours vivant

Marie-Pier Frappier|Édition de la mi‑novembre 2020

Toujours vivant

«Rendez-vous doux», lancé en 1988. (Production: Gerry Boulet inc.)

BILLET. C’est une histoire assez terrible qui est arrivée à mon ­grand-père maternel. Je me permets de la raconter ici, car il n’est plus de ce monde.

Alphonse, un bambin au bras atrophié de naissance, fut laissé par son père dans une cabane au milieu d’une terre à prospecter avec un minimum de provisions. Au bout de plusieurs jours, voire des semaines, ses frères, car il n’avait déjà plus de maman à cette époque, firent des pieds et des mains pour aller le chercher. Ils le trouvèrent là, ayant survécu miraculeusement en se nourrissant de pelures de pommes de terre.

Je me suis toujours demandé comment il s’était senti, en sortant de cette cabane infernale où son géniteur l’avait abandonné… probablement comme beaucoup de ceux et de celles au sortir d’une guerre ou d’un drame : étonné d’être toujours en vie.

Toute sa vie, ponctuée par les privations et les souvenirs de ces souffrances juvéniles, il gardait néanmoins un regard attendrissant pour chaque objet trouvé dans les ordures, chaque acquis matériel (ses ­Ford ­Meteor) et chaque trésor immatériel (sa famille) et… chaque bouchée de nourriture. Le regarder manger était une leçon pour toute personne qui se plaint le ventre plein !

Alphonse Bernier et Gaétane Lambert, le jour de leur mariage

Quand nous sortirons de cette pandémie, beaucoup d’entre nous se retrouveront comme le jeune ­Alphonse rescapé de la cabane. Les souffrances endurées par certaines personnes laisseront leurs marques profondes dans leurs façons d’appréhender le monde. Et, dans d’autres mesures, nous serons tous et toutes étonnés d’être encore vivants.

Dans ce numéro spécial, nous avons voulu nous réinventer, comme nous vous le répétons sans relâche depuis le début de cette pandémie. Nous avons délaissé le traditionnel concours des ­PDG de l’année pour vous présenter une formule plus adaptée aux écueils et aux victoires de nombreuses personnes durant cette annus horribilis. Les personnes que nous avons choisies ont inspiré notre comité de sage et les membres de la rédaction, mais la hiérarchie s’est faite un tout petit peu à contrecœur. En effet, nous aurions aimé décerner ce prix à toutes celles et à tous ceux qui tiennent leur entreprise à bout de bras depuis mars dernier. Si nous avions eu l’espace, nous y aurions probablement mis votre nom…

En 1987, l’immense ­Gerry ­Boulet a accepté d’interpréter une chanson écrite par ­Michel ­Rivard. Ce dernier s’était donné le défi de parler de la maladie qui allait emporter ­Boulet avec une approche énergique, positive et combative. Ses mots résonnent encore aujourd’hui et montrent la voie à suivre pour tous et toutes jusqu’à la fin de cette crise : « ­Je suis celui qui lutte / Quand la vie le culbute / Je retombe sur mes bottes / Les pieds dans la garnotte. »

Chers compatriotes, ­armons-nous de patience, frappons dans la vie « à grand coup d’amour » et célébrons déjà chaque jour le fait d’être « toujours vivant ».

Marie-Pier Frappier
Rédactrice en chef par intérim
marie-pier.frappier@tc.tc
@mpfrappier