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Sylvie Cloutier

La face cachée de votre assiette

Sylvie Cloutier

Expert(e) invité(e)

La tempête parfaite

Sylvie Cloutier|Publié le 08 avril 2022

La tempête parfaite

Plusieurs éléments font augmenter les prix à la consommation et plusieurs experts du secteur alimentaire n'entrevoient pas de sursis encourageant à court terme. (Photo: 123RF)

Les consommateurs sont inquiets — avec raison — des hausses importantes des prix à la consommation. Les aliments ne font pas exception parce que les enjeux dans la chaîne d’approvisionnement s’accumulent et s’amplifient encore davantage avec la plus récente crise en Ukraine et le nouveau confinement en Chine.

L’Ukraine et la Russie sont d’importants producteurs et exportateurs de grandes cultures incluant le blé, l’orge, le maïs, le canola et l’huile de tournesol.

La Russie est aussi une importante productrice et exportatrice d’engrais (azote et potasse).

La guerre en Ukraine aura un impact direct sur sa propre production agricole en 2022 et sur les exportations de produits de commodité de l’Ukraine et de la Russie. Nous en ressentons déjà les effets puisque plusieurs de ces produits de commodité se négocient sur les marchés mondiaux.

Les prix des engrais grimpent ainsi que les catégories de produits alimentaires qui sont — et seront — directement touchées par cette diminution de l’offre, dont les produits de la boulangerie.

Pour la Chine, rappelons qu’elle est le second partenaire commercial du Canada.

Près de 8% de nos importations proviennent de ce pays, alors que le marché chinois représente près de 5% de nos exportations.

Ce grand pays est un important fournisseur de contenants et d’emballages pour lesquels il n’existe que peu de fabricants.

Nos entreprises ont vécu des pénuries de plusieurs produits au début de la pandémie en 2020, et un arrêt ou un ralentissement, même temporaire, des importations chinoises en raison d’une flambée des cas de COVID-19 là-bas aura un impact majeur.

Ces événements viennent amplifier les faiblesses de la chaîne d’approvisionnement que nous vivons depuis deux ans.

 

Les causes qui font exploser les coûts

Le manque de main-d’œuvre dans nos entreprises, un manque de transporteurs, des délais qui s’allongent et des retards de livraison, un manque d’intrants, d’emballages, de conteneurs, la hausse importante du prix du pétrole, les inondations en Colombie-Britannique et la sécheresse dans l’Ouest, sont parmi les causes qui font exploser les coûts…

Comme le disent nos amis anglophones, nous vivons «the perfect storm»!

Ce sont tous ces éléments qui font augmenter les prix à la consommation et plusieurs experts du secteur alimentaire n’entrevoient pas de sursis encourageant à court terme.

Le Fonds monétaire international prédit tout de même de fortes — mais incertaines — croissances économiques pour 2022 dans la plupart des pays industrialisés. La croissance reprend de la vigueur au Canada, et les perspectives se situent à 3,9% de croissance pour l’année en cours.

D’un autre côté, l’inflation se poursuit avec des hausses qui surpassent toutes les projections.

La Banque du Canada a annoncé que, durant la seule année 2022, la hausse des taux d’intérêt pourrait atteindre 2%.

 

En raison de l’inflation, la Banque du Canada devra augmenter les taux d’intérêt en 2022. (Photo: 123RF)

 

L’indice des prix à la consommation (IPC) des aliments se situe actuellement à 7,4%, alors que l’IPC global se situe à 5,7%.

Les produits de viande ont augmenté de 11,7%, tandis que les produits laitiers ont crû de 6,9%. Cette forte inflation devrait se maintenir aussi longtemps que les prix de l’énergie vont demeurer élevés.

On sait que la montée du prix des aliments a un impact direct sur le portefeuille des ménages puisque le budget consacré aux aliments et boissons est une part importante du budget familial total, soit environ 15%.

Selon le Rapport annuel sur les prix alimentaires des universités Dalhousie, Guelph et de Saskatchewan, le budget qu’une famille de deux adultes et deux adolescents consacrera à l’épicerie s’élèvera, en moyenne, à 14 767$, une hausse de 5% par rapport à 2021.

Une des conséquences inattendues de la pénurie de main-d’œuvre et de la «grande vague de démissions» (The great resignation) des dernières années aura été une bonification des salaires, qui ont augmenté plus vite que l’inflation dans plus de la moitié des professions que suit Statistique Canada.

Alors que l’inflation était de 5,7% en février, le salaire moyen offert au Canada avait augmenté de 9,9%.

Un exemple parmi d’autres, le salaire d’entrée chez Olymel est passé de 16,37$ à 20,50$ de l’heure, une augmentation d’un peu plus de 20%. Plusieurs travailleurs et professionnels ont reçu des augmentations suffisantes pour compenser l’augmentation du coût de la vie, mais ce n’est pas le cas pour tous.

 

La pandémie a profité aux manufacturiers québécois

Dans l’ensemble, la pandémie aura quand même profité aux ventes manufacturières de produits québécois, notamment pour les aliments vendus au détail.

Selon des données récentes de NielsenIQ, les hausses de ventes enregistrées pour les marques québécoises sont de 17%, en 2020, et de 1% additionnel, en 2021, au Québec, comparé à 2019.

Et ce sont les plus petites marques qui ont profité le plus de ces hausses, avec des augmentations du volume de vente allant jusqu’à 29%!

La réflexion que je vous propose ici est de savoir si cet engouement pour les produits locaux se maintiendra encore dans les années à venir pour soutenir notamment l’industrie alimentaire.

En effet, l’économie va bien — le dépôt du budget fédéral hier nous en a apporté quelques preuves — et les problèmes économiques que nous pouvons rencontrer sont dus aux structures, tel que je le démontre plus haut: rareté de main-d’œuvre et hausse des coûts de transport.

Mais est-ce que les entreprises vont pouvoir profiter de cette vigueur?

Est-ce que les marges, déjà faibles, vont augmenter même légèrement afin de permettre des investissements permettant une amélioration de la productivité via, par exemple, la transformation numérique et l’automatisation des processus?

Encore aujourd’hui, l’achat local est favorisé ici, au Québec et au Canada, en raison des importantes hausses des coûts de transport qui touchent surtout les importations.

Les entreprises doivent être en mesure de supporter cette demande croissante pour des produits locaux, mais avec les problématiques énumérées ci-haut, que nous vivons plus intensément depuis deux ans et surtout dans les régions, plusieurs ne peuvent profiter de ces opportunités.

C’est la quadrature du cercle et ça représente tout un casse-tête pour nos entrepreneurs!