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Considérations sur l’inflation (1 de 3): l’intervention fédérale

Yves Rabeau|Publié le 02 juin 2021

Considérations sur l’inflation (1 de 3): l’intervention fédérale

L'injection de nouvelle monnaie dans l’économie peut nous faire craindre une relance importante de l’inflation. (Photo: Atom pour Unsplash)

EXPERT INVITÉ. La fermeture temporaire de plusieurs secteurs d’activité en mars 2020 était en voie de provoquer une récession majeure. Le Canada, à l’instar des pays du monde entier, n’avait pas affronté un tel défi économique depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Le gouvernement canadien et la Banque du Canada ont conjugué alors leurs efforts pour atténuer les impacts de la fermeture d’une partie de l’économie.

Toutefois, le fédéral n’avait pas les ressources nécessaires dans son budget pour financer divers programmes de soutien aux agents économiques et à l’achat d’urgence de matériel pour affronter la crise sanitaire.

Il a donc procédé à des emprunts massifs dont une large partie était financée par la Banque du Canada. De plus, celle-ci fixait son taux directeur à au niveau plancher d’un quart de 1%.

Ainsi, le Canada a monétisé une grande partie de l’émission de dette. La baisse des taux a aussi allégé le service de la dette du gouvernement. En contrepartie, le pays a vu le bilan de la Banque du Canada progresser rapidement dès le début du confinement.

De plus, la Banque du Canada a injecté de la liquidité sur plusieurs marchés, dont les obligations provinciales et les papiers commerciaux des entreprises. Elle a aussi consenti des prêts auprès de certaines entreprises pour faciliter la gestion de leurs encaisses.

Depuis plus d’un an, la Banque du Canada a fait de «l’assouplissement quantitatif» sa priorité pour soutenir l’économie canadienne. Ce terme élégant, le «Quantitative Easing» nous vient de la Réserve fédérale américaine (Fed) et signifie la création de monnaie par le truchement des programmes d’achat de titres sur les marchés financiers.

Récemment, devant l’amélioration de l’économie, la Banque du Canada a annoncé qu’elle mettait fin à ses achats d’obligations provinciales et réduisait d’environ 1 G$ ses achats hebdomadaires d’obligations.

 

Création monétaire et inflation

Comme ces politiques de dépenses publiques et d’assouplissement quantitatif sont inédites, nous n’avons pas de données historiques au Canada qui nous permettraient d’évaluer les impacts probables de ces politiques.

À première vue, une telle injection de nouvelle monnaie dans l’économie peut nous faire craindre une relance importante de l’inflation.

L’école monétariste de Chicago avait proposé une règle simple pour le contrôle de l’inflation. Il fallait maintenir la croissance de la masse monétaire à un taux fixe pour maîtriser l’inflation.

Une banque centrale pouvait donc choisir son taux d’inflation par ce mécanisme. Précisons qu’en économie ouverte, la Banque centrale qui choisit de contrôler son taux d’inflation ne contrôlerait plus son taux de change.

Ainsi, si la théorie monétariste des années 1970-1980 avait été prouvée par les faits, il y aurait lieu aujourd’hui de s’attendre à une forte poussée de l’inflation. Or, cette règle n’a pas eu de succès.

Les banques centrales ont abandonné ce type de gestion, car les mécanismes qui déterminent le comportement des prix sont complexes et changent au cours du temps et ne s’accommodent pas de règles aussi simples.

 

La crise de 2008-2009

Faute de données canadiennes, nous pouvons nous baser sur l’expérience américaine de la crise financière de 2008-2009. Cette crise a frappé moins fort au Canada et l’expérience américaine se rapproche davantage de l’expérience que nous avons vécue depuis février 2020.

Nous pouvons donc tirer quelques résultats qui nous aideront à évaluer la direction de l’économie canadienne dans les prochains mois. Il faudra toutefois tenir compte du fait que la gestion de la crise financière américaine se faisait dans un contexte différent, puisqu’il n’y a pas eu de fermeture de plusieurs secteurs de l’économie.

Au moment de cette Grande Récession de 2008-2009, la Fed, sous la gouverne de Ben Bernanke, est sortie des sentiers battus. La Fed a non seulement injecté beaucoup de liquidité dans l’économie en achetant des obligations du gouvernement fédéral, mais aussi des titres privés d’entreprise pour les sauver de la faillite.

La création de monnaie a continué par la suite avec des achats d’obligations et autres titres sur les marchés financiers et le maintien par la Fed de son taux directeur à un niveau très bas en terme historique. Le programme d’assouplissement quantitatif de la Fed s’est terminé au cours de l’année 2014. Celle-ci estimait que ses objectifs de liquidité sur les marchés financiers étaient atteints. S’est amorcée alors une hausse modérée des taux d’intérêt.

Cette politique de forte création monétaire aurait pu être inflationniste, mais les taux d’inflation aux États-Unis ont oscillé autour de 2 % avec un creux de près de 0 % en 2015, selon le US Bureau of Labor Statistics.

 

Les leçons à en tirer

À l’automne 2009, le taux de chômage s’établissait à 10 % environ et avec l’injection massive de liquidité dans l’économie, on aurait pu prévoir une période de stagflation comme celle des années 1970.  

Il faut souligner que la relation selon laquelle le taux d’inflation augmente lorsque le taux de chômage diminue en raison des tensions sur le marché du travail — relation connue sous le nom de courbe de Philips — a disparu depuis plusieurs années. Le comportement de l’inflation traduit les transformations profondes qui ont marqué l’économie américaine depuis le début des années 2000. La concurrence mondiale provenant de pays à bas coût de production comme la Chine et d’autres entités asiatiques exerce une pression à la baisse sur les prix.

Les grandes compagnies qui ont développé des chaînes d’approvisionnement numériquement intégrées exercent généralement des pressions sur leurs fournisseurs pour des gains de productivité et des baisses de prix des produits de façon à demeurer concurrentielles.

La transformation numérique de plusieurs secteurs d’activité a permis des gains de productivité dans l’ensemble de l’économie. Les grandes entreprises numériques qui offrent des services d’infonuagique, de logiciels et d’applications pour des transactions en ligne sont en mesure de répondre à une demande croissante pour leurs services sans faire face à des contraintes importantes de ressources qui se traduiraient par des hausses de coûts et de prix.

Enfin, la croissance des salaires a été modérée et en harmonie avec la progression de la productivité du travail, de sorte qu’il n’y a pas eu de pression importante sur les coûts unitaires en main-d’œuvre. Donc, la politique de la Fed ne s’est pas traduite par une remontée de l’inflation, mais plutôt par une croissance économique et une baisse du taux de chômage.

Il y a toutefois eu certains effets secondaires dans l’économie qui ne sont pas toujours désirables. Si le taux d’inflation est demeuré bas pendant cette période de création monétaire, en revanche cette liquidité s’est retrouvée principalement sur le marché des valeurs mobilières et celui de l’habitation.

Faute de rendement sur les marchés de type obligataire, les investisseurs se sont tournés vers la bourse. Avec la possibilité d’emprunter à bas taux, ils ont profité de l’injection massive de liquidité pour obtenir des gains en capital importants.

D’autre part, les bas taux hypothécaires ont stimulé la construction résidentielle et alimenté la croissance des prix du stock des maisons existantes. Sans jamais atteindre les sommets de 2007, les prix des résidences ont progressé à partir de 2011 jusqu’à 2020. En somme, la forte création monétaire durant la crise financière de 2008-09 n’a pas alimenté l’inflation définie par les indices habituels, mais a provoqué une hausse importante des indices boursiers et des prix touchant le secteur résidentiel. Qu’en sera-t-il de la crise sanitaire ?

 

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