«Un risque demeure un risque tant qu'on cherche à l'éviter ou à le surmonter. En revanche, il devient une opportunité à partir du moment où l'on s'en sert pour se propulser plus haut et plus loin», juge Mélanie Dunn, présidente, Québec, de l'agence de communication Cossette. D'où la nécessité pour toute entreprise désireuse de croître, ou tout bonnement de survivre à une période de vaches maigres, de regarder autrement les obstacles qui parsèment son chemin. Et d'agir en conséquence.
Comment y parvenir ? Oui, comment réussir à positiver face à l'adversité ? À rebondir là où d'habitude on trébuche ? Eh bien, ce n'est pas si sorcier que ça. Il suffit, en fait, de procéder en quatre étapes, comme l'expliquent des experts en la matière de L'Oréal, Cossette, Guru et Juste pour rire.
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VISION
S'informer sans cesse pour voir son écosystème autrement
Repérer un obstacle avant de buter dessus, c'est bien, mais malheureusement insuffisant : on n'a dès lors pas le temps requis pour en faire une occasion. «La clé, c'est d'anticiper. C'est de développer une sorte de sixième sens, qui permet de sentir le risque à plein nez lorsqu'il se présente à nous de façon plus ou moins déguisée», dit Catherine Girard-Lantagne, directrice, programmation, Arts de la rue, du Groupe Juste pour rire.
Pour ce faire, celle qui organise chaque année une centaine de spectacles différents dans les rues de Montréal à l'occasion du festival humoristique s'appuie sur deux vertus complémentaires : la curiosité et l'intelligence. «Il y a quatre ans, lorsque j'ai décroché ce poste, j'ai paniqué ! J'étais chargée du jour au lendemain d'être à la fine pointe des tendances en matière de spectacles de rue, pour amener ici ce qui se faisait de mieux sur la planète. Comment faire ? Pour être franche, je n'en avais aucune idée. Je me suis alors dit - avec raison - que le mieux était de m'ouvrir à tout. Absolument tout. Pour m'en imprégner à fond», raconte-t-elle.
Du coup, elle s'est mise à dévorer toutes sortes de magazines, sans a priori. À multiplier les sorties culturelles, tous genres confondus. Et à parler, parler, et encore parler avec des personnes issues des horizons les plus divers. «Un de mes trucs, c'est de demander aux jeunes stagiaires, l'air de rien, ce qu'ils pensent de telle ou telle chose. Leurs avis me sont hyperprécieux, car ils m'apportent toujours un éclairage plus juste sur ce qui fait l'objet de mes réflexions du moment.»
Ce n'est pas tout. Il lui fallait également apprendre à trier les informations glanées ici et là, pour distinguer les tendances de fond des modes passagères. «Ça, je l'ai acquis à mesure que j'avançais : d'une part, en affûtant mon jugement chaque fois que j'assistais à un spectacle ; d'autre part, en observant en douce comment fonctionnait mon boss, Gilbert Rozon», dit Catherine Girard-Lantagne.
Et d'ajouter : «J'ai fini par comprendre que toute tendance avait deux composantes : elle est à la fois déstabilisante et ubiquitaire. Déstabilisante, parce qu'elle remet en cause les codes établis : on peut imaginer, entre autres, un type qui ne jongle pas avec des objets, mais... les gobe ! Ubiquitaire, parce qu'elle émerge à plusieurs endroits en même temps : j'ai noté, par exemple, que de plus en plus d'artistes - Tilt, Filthy Luker, Cracking Art Group, etc. - occupent aujourd'hui l'espace urbain pour le transformer en oeuvre d'art, si bien que vous pouvez être sûrs que je vais déployer cette tendance au prochain festival».
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CONNEXION
Nouer de nouveaux liens au sein de son écosystème
Une fois qu'on a une meilleure compréhension de l'écosystème dans lequel on évolue, il convient d'interagir avec ses différents acteurs de manière plus efficiente. Ce qui exige qu'on noue de nouveaux liens. Pour quoi faire ? Tout bonnement pour être en mesure d'aborder autrement ce qui jusqu'alors était perçu comme un obstacle fiché en plein milieu de notre chemin.
«L'industrie des communications est en pleine mutation. Cossette, comme les autres agences, n'avait d'autre choix que de s'adapter, et donc de se réinventer. C'est pourquoi nous avons décidé de nous appuyer sur des forces totalement nouvelles pour nous, tant à l'interne qu'à l'externe», dit Mélanie Dunn.
Traduction : Cossette a tissé des liens inédits, aussi bien en son sein qu'avec de nouveaux partenaires d'affaires. «Pour déjà la moitié des projets qui ont une dimension technologique, nos employés recourent à la méthode de gestion dite agile. C'est-à-dire que chacun oeuvre en fonction de quatre nouvelles valeurs : collaborer davantage ; oser le changement ; progresser par essais-erreurs ; et toujours chercher la meilleure solution qui soit», explique Malik Yacoubi, vice-président, technologie et mobilité, de Cossette. Ce qui se traduit notamment par le fait que la hiérarchie n'a plus vraiment d'importance, chacun étant encouragé à prendre des initiatives sans devoir toujours attendre un go venu d'en haut.
«Auparavant, nous proposions un plan échelonné sur deux années à un client qui voulait booster son site Web. Nous avancions pas à pas, en nous assurant d'être constamment en terrain sûr. À présent, nous fonctionnons sous forme d'atelier : nous montons une petite équipe qui se consacre exclusivement au projet, invitons le client à s'y intégrer, et durant deux semaines, nous laissons tout ce beau monde travailler ensemble dans un espace qui lui est propre. Ce sont deux semaines de folie, mais deux semaines vraiment efficaces. Résultat ? Tout le monde gagne en temps, en argent et surtout en efficience», illustre Garcí Iñigo, directeur, production numérique, de Cossette.
En parallèle, l'agence qui compte parmi ses clients McDonald's, GM et autres General Mills s'engage de plus en plus dans la communauté d'affaires montréalaise. Un exemple lumineux : les Creative Mornings, pilotés par le cabinet-conseil f. & co. «Nous nous sommes associés à cet événement mensuel non seulement parce qu'il nous permet d'être à l'avant-poste pour déceler la naissance d'une tendance, mais aussi parce qu'il est l'occasion d'approcher tous ceux pour qui la créativité est un moteur vital. Bref, parce qu'il nous donne la possibilité d'intensifier notre réseau de connexions», dit Mélanie Dunn.
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EXPÉRIMENTATION
Agir en fonction des liens nouvellement établis
Être en contact avec un nombre croissant d'acteurs de son écosystème permet de décupler ses chances de tirer profit d'un obstacle, au lieu de chercher - comme d'habitude - à l'éviter. Car on est dès lors à même de l'aborder autrement, et de dénicher le moyen de s'en servir comme d'un tremplin.
Stéphane Bérubé, chef de la direction marketing chez L'Oréal Canada, explique : «À partir du moment où une tendance a été décelée et qu'une de ses implications nous semble intéressante, nous signalons à la maison mère, à Paris, que nous souhaitons agir comme pays pilote. C'est-à-dire que nous nous proposons pour expérimenter et ensuite partager nos résultats avec les autres. Dans l'espoir, bien entendu, que le projet portera ses fruits et qu'il sera développé à l'échelle de la planète.» Et de souligner, sourire en coin : «Il faut comprendre que chez L'Oréal, on travaille comme une start-up... mais une start-up qui aurait la chance de disposer d'énormes moyens.»
Prenons l'exemple des médias sociaux. L'Oréal Canada avait vu venir le phénomène il y a de cela plusieurs années, ce qui lui a permis de prendre une longueur d'avance sur les autres : «Nous avons été les premiers du groupe à nous doter d'un gestionnaire de communauté, ce qui à l'époque paraissait avant-gardiste», indique Stéphane Bérubé.
Même chose pour le marketing de contenu. «Nous expérimentons en ce moment même le concept de Content Factory, qui correspond grosso modo à un atelier de production de contenu informatif, susceptible d'attirer l'attention, voire l'intérêt, des consommatrices. L'idée, surtout avec les vidéos, est d'arriver à produire nous-mêmes du contenu pertinent qui deviendrait viral sur les médias sociaux», dévoile celui qui oeuvre au sein de la multinationale depuis 2002.
Montres intelligentes, imprimantes 3D, réalité virtuelle... Les prodigieuses avancées technologiques des dernières années n'ont pas laissé L'Oréal insensible, loin de là. «Le champ des possibles est fascinant. Vraiment fascinant. Il paraît presque irréel, magique. Si bien que pour passer du rêve à la réalité, nous côtoyons de plus en plus de jeunes prodiges issus du milieu des start-up. Ils nous permettent de mieux comprendre ce qui se passe, et ce qui s'en vient. C'est d'ailleurs ce qui explique que nous soyons devenus proches de la Maison Notman, le vivier du Web à Montréal», dit Stéphane Bérubé.
Du coup, ce qui paraît aujourd'hui de la science-fiction sera bientôt expérimenté chez L'Oréal. Par exemple, la possibilité d'imprimer son propre rouge à lèvres, chez soi, sur son imprimante 3D. «Vous imaginez tout ce que cela amènerait comme changements, en particulier pour le commerce de détail ? Plus besoin d'acheter son rouge à lèvres en boutique. Les consommatrices n'y iraient plus que pour faire des essais et vivre une expérience enthousiasmante, puis rentreraient chez elles pour s'imprimer, à moindre coût, un produit 100 % personnalisé», raconte-t-il, les yeux remplis d'étincelles.
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EXÉCUTION
Rebondir sur l'obstacle devenu tremplin
Une entreprise qui est justement en train de concrétiser un rêve, c'est Guru, la montréalaise qui n'a pas peur de se frotter aux géants des boissons énergisantes que sont Monster et Red Bull. Son équipe a en effet effectué de nombreuses recherches, qui l'ont amenée à saisir que l'avenir appartenait... aux eaux pétillantes biologiques !
«Cela fait déjà un moment que notre clientèle cible - les urbains qui mordent dans la vie à pleines dents - ne s'intéresse plus aux produits naturels. Elle veut à présent du bio. Et demain, elle refusera absolument tout ce qui est le moindrement artificiel. En conséquence, il nous fallait lui proposer au plus vite un produit qui devancerait ses besoins à venir», dit Carl Goyette, vice-président, ventes et marketing, de Guru.
Voilà pourquoi la PME a concocté dans le plus grand secret trois nouvelles boissons pétillantes biologiques à saveurs de grenade, de lime et de pamplemousse rouge. Toutes sont 100 % bios, sans sucre ni aucune calorie. Mis à part les arômes, elles ne contiennent que de l'eau, des bulles et 100 mg de caféine par canette, issue d'une infusion de thé vert, de ginseng, de guarana et d'échinacée (c'est de là que vient le côté énergisant de la boisson dénommée, pour l'instant en anglais, Organic Sparkling).
«Nous les commercialisons déjà aux États-Unis, histoire de prendre le pouls du marché. Je peux vous confier que les résultats sont si encourageants qu'on a décidé de les lancer sur le marché québécois dès cet été», dit Carl Goyette.
Le principal défi à relever ? Il tient au fait que le tout nouveau produit est en avance sur son temps. C'est que nombre de consommateurs ont encore une perception négative du bio («Ça goûte moins bon», «Ça coûte plus cher», etc.). «Le gros de nos ventes se fait dans les dépanneurs, qui ne sont pas réputés vendre des produits bons pour la santé. Et là, nous allons leur demander de faire un virage à 180 degrés. Mais c'est un virage santé qu'ils vont devoir faire, de toute façon.» Lors du dernier congrès U Carwacs de Toronto, qui réunit les gérants de stations-services, Brian Hannasch, le pdg de Couche-Tard, disait en allocution d'ouverture que l'industrie, pour redorer son blason, devait abandonner la malbouffe au profit des produits sains, raconte Carl Goyette pour appuyer son propos.
Le pari n'est pas gagné d'avance, mais au moins, il est lancé. Au lieu de baisser les bras à l'idée que les goûts de ses clients changeront au détriment de ses boissons actuelles, Guru a eu l'audace d'y voir une occasion en or de devancer la concurrence. Ce que Carl Goyette résume comme suit : «C'est très simple, si l'on se fige devant un obstacle, on finit toujours par se faire dépasser.»
1. Sommaire du dossier
2. Douter, analyser, puis foncer
3. Comment transformer un danger en occasion
4. La gestion des risques, un outil stratégique
5. 10 questions à poser à la direction
6. Douter... pour frapper encore plus fort
7. Conquérir le monde avec audace et rigueur
8. Utiliser le risque comme carburant
9. La géopolitique, cette négligée
10. Tout faire pour éviter la panne sèche
11. Votre entreprise est-elle assurée contre les pirates
12. Cyberattaques: L'ABC des bonnes pratiques
13. Toutes les brèves des 500