Les actions privilégiées sont-elles à privilégier?


Édition du 22 Novembre 2023

Les actions privilégiées sont-elles à privilégier?


Édition du 22 Novembre 2023

Par Pierre Théroux

(Photo: 123RF)

Les hausses successives des taux d’intérêt depuis mars 2022 pourraient alimenter l’appétit des investisseurs pour l’achat d’actions privilégiées, elles qui n’avaient pas particulièrement la cote jusqu’à tout récemment.

« Les actions privilégiées sont certainement plus attrayantes aujourd’hui », estime Serge Paiement, conseiller principal en gestion de patrimoine et gestionnaire de portefeuille à la Financière Banque Nationale.

Le marché est effectivement plus favorable que jamais, constate également Vincent Fournier, gestionnaire de portefeuille à Gestion de placements Claret. « En considérant que les taux des obligations canadiennes devraient rester stables pour les trois prochaines années, on pourrait voir des dividendes sur certains titres d’actions privilégiées monter jusqu’à 13 %. Ce qui, même après impôts, offre un rendement très intéressant », précise-t-il. 

 

Des rendements en dents de scie

Les investisseurs ont régulièrement boudé cette catégorie d’actifs, historiquement considérée comme un placement très conservateur. « Il y a eu des hauts et des bas depuis la crise financière de 2008-2009 », constate Marc-André Gaudreau, gestionnaire de portefeuille principal à Fonds Dynamique et spécialiste dans la gestion de titres à revenu fixe.

Cette crise, qui avait fait chuter les taux d’intérêt de 4 % à 0,25 % en l’espace d’un an, avait en effet grandement atténué l’engouement pour les actions privilégiées. D’autant que le marché, à l’époque, était alors constitué majoritairement d’actions privilégiées perpétuelles qui, comme leur nom l’indique, paient le même montant de dividende à perpétuité ou jusqu’à ce que l’entreprise les rachète.

La crise financière a toutefois provoqué la création d’une nouvelle catégorie d’actions privilégiées, celles à taux révisable, qui ont alors ranimé l’intérêt des émetteurs et des investisseurs. « Avec des taux plus bas, les investisseurs avaient demandé un mécanisme pour ajuster les taux de dividende afin de ne pas rester coincés avec un rendement anémique si les taux devaient monter », explique Vincent Fournier.

Une autre période de baisse des taux d’intérêt, à partir de janvier 2015, avait toutefois aussi entraîné à la baisse le taux de dividende de ces actions privilégiées, qui est généralement révisé tous les cinq ans. Cette année-là, des détenteurs d’actions privilégiées ont vu certains titres perdre jusqu’à la moitié de leur valeur, comparativement au prix d’émission, qui est généralement de 25 $.

L’indice d’actions privilégiées S&P/TSX avait alors chuté d’environ 250 points, passant de 800 à 550. En mars 2020, l’indice a dégringolé d’un autre 200 points, de 617 à 425, puis a remonté graduellement jusqu’autour de 700 avant de redescendre et se maintenir autour de 500 depuis le début de novembre. L’indice affiche un rendement de -5,20 % en 2023.

 

Nouvelle fenêtre d’occasions

Or, une nouvelle fenêtre d’occasions s’ouvre pour les actions privilégiées. « Avec la hausse des taux et l’amélioration du dividende, c’est assurément un bon moment pour envisager l’achat d’actions privilégiées », pense Marie-Josée Turcotte, gestionnaire de portefeuille et conseillère en placement à BMO Nesbitt Burns.

 

Alors, faut-il en acheter maintenant ou attendre encore un peu ? « Ça dépend de nos attentes envers la variation des taux d’intérêt. Si un investisseur pense que les taux d’intérêt ont atteint leur maximum et vont se stabiliser avant de redescendre en 2024, il vaut mieux en acheter maintenant. Sinon, c’est préférable d’attendre encore un peu », répond-elle. 

Nicolas Normandeau, gestionnaire de portefeuille au sein de l’équipe Revenu fixe à Fiera Capital, envisage un horizon à court et à moyen terme.

Les rendements des actions privilégiées sont liés aux variations du taux des obligations du gouvernement du Canada à cinq ans. Le dividende est ainsi ajusté, aux cinq ans, au taux de ces obligations et majoré d’une prime de rendement qui est stipulée dans le prospectus.

Or, il y a de fortes chances que les actions privilégiées dont le taux de dividende sera révisé en 2024 et en 2025 profitent d’un taux d’obligation du Canada 5 ans encore élevé, soit à 3 % ou plus, estime Nicolas Normandeau. « Dans les portefeuilles d’actions privilégiées qu’on gère, le rendement moyen actuel est d’environ 6,5 %. Mais ce rendement pourrait grimper jusqu’à 8 % ou 9 % d’ici 2025 », fait-il valoir.

La fin de l’année représente aussi un bon moment pour en acquérir. « Les stratégies fiscales de fin d’année, qui amènent des investisseurs à prendre des pertes, vont aussi amener des occasions d’achats pour d’autres », note Serge Paiement.

 

Un bémol

Marc-André Gaudreau estime pour sa part que l’effet cumulé des hausses de taux d’intérêt aura finalement des effets sur l’économie et, du même coup, sur les profits des entreprises qui seront sous pression. « Ça va nécessairement jouer sur cette catégorie d’actifs. Le marché offre certainement des occasions pour certains titres ou secteurs d’activité, mais nous ne sommes pas super positifs », souligne-t-il.

Marc L’Écuyer, gestionnaire de portefeuille principal et chef de la conformité à Cote 100, se dit aussi moins favorable à l’achat d’actions privilégiées. « Les actions privilégiées versent des dividendes, ce qui leur procure un avantage fiscal par rapport aux obligations, qui rapportent des intérêts. Mais cet avantage a diminué ces dernières années à cause de la hausse du taux d’imposition des dividendes. Pour nous, tant qu’à prendre un risque de crédit plus élevé que dans le cas des obligations, on préfère soit rester dans des titres à revenu fixe, soit acheter des actions ordinaires. Sans compter que le potentiel d’appréciation des actions privilégiées est plus limité que pour les actions ordinaires », explique-t-il.

Autre contrainte : en mars dernier, lors du dépôt du budget fédéral, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a annoncé son intention de modifier la Loi de l’impôt sur le revenu pour adopter une nouvelle mesure fiscale visant les dividendes reçus sur les actions canadiennes détenues par des institutions financières.

Ces dividendes, tant sur les actions ordinaires que privilégiées, étaient jusqu’à ce jour exonérés d’impôt, ce qui leur conférait un avantage non négligeable par rapport aux autres placements. Or, si cette mesure est adoptée, « ça risque d’avoir un effet important sur les actions privilégiées », reconnaît Nicolas Normandeau.

 

En mode hybride

Les actions privilégiées sont des titres hybrides qui allient les caractéristiques des titres à revenu fixe et des actions ordinaires. Leur valeur s’apprécie ou se déprécie, tout comme celle d’une action ordinaire, et elles peuvent procurer un revenu régulier comme les obligations, mais sous la forme de dividende plutôt que d’intérêts.

Elles ont l’avantage de payer des taux de dividende avant impôts qui sont considérablement plus élevés que les taux effectifs d’une obligation ou d’une débenture équivalente. « Quand on achète des actions privilégiées, ce n’est pas pour un potentiel gain en capital. C’est pour les mettre dans notre tiroir, collecter les dividendes et profiter de l’avantage fiscal », souligne Vincent Fournier.

« Il arrive que des actions privilégiées permettent à des investisseurs d’encaisser à la fois des dividendes intéressants et un gain en capital, mais c’est très rare », indique Marie-Josée Turcotte.

Les actions privilégiées s’inscrivent parfaitement dans la portion obligataire d’un portefeuille, « mais jusqu’à 10 % tout au plus », estime Marc-André Gaudreau. Serge Paiement abonde dans le même sens : « Un portefeuille doit être diversifié et ne pas se concentrer sur une seule catégorie d’actifs. Les actions privilégiées ont donc également leur place », dit-il.

Dans tous les cas, il est préférable de les détenir dans un compte de placement non enregistré. « Leur principal avantage étant fiscal, c’est mieux d’avoir des actions privilégiées dans des comptes taxables et non dans des comptes enregistrés comme le REER », suggère Marc L’Écuyer.

 

Un château de cartes

On n’achète pas des actions privilégiées comme on le fait pour des actions ordinaires. Il faut principalement analyser avec attention le risque de crédit de l’émetteur. « Avant d’acheter un titre particulier, il faut tenir compte de la qualité du crédit de la société et les différentes clauses de l’émission », conseille Nicolas Normandeau.

« Il y a beaucoup de pièges à éviter. Il faut bien lire les prospectus lorsqu’il y a des émissions d’actions privilégiées et être bien conscient des caractéristiques particulières de cette catégorie d’actions », renchérit Marc L’Écuyer.

Il faut aussi garder en tête que l’entreprise peut réduire ou suspendre les versements de dividendes si, par exemple, elle ne réalise pas les profits prévus ou si elle a besoin de conserver ses liquidités. Il existe toutefois des actions privilégiées à dividende cumulatif qui, dans ce cas, « prévoient le paiement de dividendes qui sont dus aux actionnaires lorsque l’entreprise recommence à les verser. En revanche, l’investisseur qui détient une action privilégiée à dividende non cumulatif ne peut profiter de cette option », explique Serge Paiement.

Vincent Fournier estime qu’il y entre 25 et 30 émetteurs de qualité au Canada. Il s’intéresse plus particulièrement aux entreprises qui génèrent des flux de trésorerie autogénérés constants et qui augmentent, tout en respectant certains ratios d’endettement.

« Certains émetteurs n’ont pas de plan d’affaires bien établi, ni de grandes infrastructures ou de rentabilité très stables. Ils se servent d’actions privilégiées pour bâtir un château de cartes de dettes », prévient-il.

Vincent Fournier suggère de bâtir un portefeuille d’actions privilégiées sur une base équipondérée (le même montant investi dans chaque titre) par émetteur et par catégorie de titres (perpétuelles, à taux révisable, à taux variables).

Les services financiers composent plus de la moitié (56,5 %) de l’Indice d’actions privilégiées S&P/TSX, suivis des secteurs de l’énergie (19,3%) des services publics (11,7 %), des services de communication (6 %) et des biens de consommation de base (2 %).

Ces secteurs sont les principaux émetteurs d’actions privilégiées, car ils requièrent un niveau d’endettement élevé pour opérer. Les actions privilégiées permettent ainsi aux entreprises d’accéder à du financement plus souple que la dette et à un coût de capital bien meilleur marché que les actions ordinaires.

 

CONSEILS DE L’EXPERTE

Faut-il acheter des actions privilégiées maintenant ou attendre encore un peu?

Marie-Josée Turcotte, gestionnaire de portefeuille et conseillère en placement, BMO Nesbitt Burns (Photo: courtoisie)

« Ça dépend de nos attentes envers la variation des taux d’intérêt. Si un investisseur pense que les taux d’intérêt ont atteint leur maximum et vont se stabiliser avant de redescendre en 2024, il vaut mieux en acheter maintenant. Sinon, c’est préférable d’attendre encore un peu. »

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