CAPE TOWN - Malgré les défis de commercialisation qu’elle rencontre, l’industrie vinicole de l’Afrique du Sud ne recevra aucune aide de l’État. Cette prévision fait consensus.
Pourquoi ? La réponse trouve racine dans l’histoire de ce pays, encore marqué par des décennies de ségrégation raciale institutionnalisée. À l’évidence, même si le régime de l’apartheid a pris fin officiellement en 1994, ses stigmates demeurent.
Rudiger Gretschel, propriétaire du Robertson Winery et du Robertson Small Hotel, situés dans une agglomération de 30 000 habitants blottie entre deux chaînes de montagnes (Langeberg et Riviersonderend), à 160 km de Cape Town, a son opinion sur le sujet. Il affirme que deux raisons principales expliquent pourquoi l’industrie vinicole peut s’attendre à tout, sauf à une aide quelconque du parti au pouvoir.
Des propriétaires blancs face à l’ANC
La première, rappelle-t-il, est que l’industrie vinicole est une industrie traditionnellement blanche en Afrique du Sud. Les propriétaires-exploitants sont Blancs pour la plupart, des Afrikaners de descendance néerlandaise, française, allemande ou scandinave. Et bien que la majorité de leurs employés soient Noirs ou Métis (on dit coloured dans ce pays), cette industrie demeure largement l’affaire de propriétaires blancs.
Or – deuxième raison – le gouvernement fédéral actuellement au pouvoir est dominé par l’African National Congres (ANC), un parti dirigé par Jacob Zuma qui règne sur tout le territoire, à l’exception de la province de Western Cape, où se concentrent justement la majorité des Afrikaners et l’industrie vinicole du pays. Dans cette province, la population est représentée par la Democratic Alliance, qui fait office de parti d’opposition.
Dans un tel contexte, même si l’industrie pouvait sans doute profiter d’un coup de pouce, ne serait-ce que pour le développement d’une image de marque forte à l’étranger, elle a bien peu de chance, croit-on, d’obtenir quelque soutien gouvernemental que ce soit.
« Non, il faut oublier cela, ça n’arrivera jamais. Il ne faut pas attendre d’aide de l’État », a confirmé Ken Forrester, du vignoble du même nom, situé aux pieds de la montagne Helderberg, à mi-chemin entre Stellenbosch et Somerset West.
Rencontré dans la Petite Bourgogne, à Montréal, à l’occasion d’une tournée de promotion canadienne, M. Forrester a expliqué que l’ANC, parti au pouvoir depuis 1994, n’est pas près de disparaître. « Je ne vois pas le jour, a-t-il ajouté avec dépit, où l’ANC ne sera plus au pouvoir et où l’industrie vinicole, une industrie à prédominance blanche, attirera la sympathie du gouvernement national. »
Des investissements viennent d’ailleurs
Pourtant, l’apport de cette industrie paraît de plus en plus important sur le plan économique. Wines of South Africa (WOSA), qui représente les producteurs de vin d’Afrique du Sud, estime à plus de 275 000 le nombre de travailleurs qui en vivent de façon directe ou indirecte. Et son apport au produit intérieur brut (PIB) du pays connaîtrait depuis 2003, toujours selon WOSA, une croissance annuelle de plus de 10% par an.
À un point tel que le développement de l’industrie vinicole a attiré ces dernières années l’intérêt d’un nombre croissant d’investisseurs étrangers, de plus en plus nombreux à acheter des vignobles ou des terres d’autres cultures avec l’objectif avoué d’y cultiver la vigne, explique Siobhan Thompson, directrice générale de WOSA.
Un des derniers en date est nul autre que Richard Branson, fondateur de Virgin. Il a acheté Mont Rochelle Hotel & Mountain Vineyard. Auparavant, le Britannique Laurence Graff, président de Diamond International, le riche collectionneur d’art suisse Donald Hesse, la Française May-Eliane de Lencquesaing, Charles Bank de Terroir Capital et l’homme d’affaires tchèque, Zdenek Bakala, ont tous investi des sommes colossales pour acquérir et développer des vignobles d’importance dans ce pays ces dernières années.
Au lieu de s’inquiéter de cette situation, Ken Forrester s’en réjouit. « Ils pourraient investir là où ils veulent, mais ils viennent chez nous [en Afrique du Sud] parce qu’ils y voient des occasions et tout le potentiel que le pays représente. » Ils construisent des infrastructures, ils créent des emplois. Souvent, ils achètent 100 hectares et ils ajoutent 50 hectares de plus peu de temps après, en plus d’ouvrir de nouveaux marchés.
C’est le cas de Fons Aaldering, qui s’est portée acquéreur d’une terre qui se portait mal dans la Devon Valley, près de Stellenbosch. Depuis, elle a investi dans un nouveau vignoble, mis sur pied un complexe touristique, engagé une équipe de marketing à temps plein… Résultat : 70 % de leurs ventes sont réalisées aux Pays-Bas.
Et loin de s'accaparer des parts de marché d'autres producteurs sud-africains, ces nouveaux venus parviennent au contraire à en entraîner d'autres dans leur sillon, remarque-t-il.
« Je suis d’avis que quand l’eau arrive, elle finit par profiter à chacun de façon égale. Elle fait monter tous les bateaux en même temps ; les investissements étrangers en Afrique du Sud risquent d’avoir le même effet sur son industrie vinicole. »
Notre journaliste s’est rendu en Afrique du Sud à l’invitation de la WOSA, l’association des producteurs de vin d’Afrique du Sud.
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