Série 5 de 5 - Dans une série en cinq volets, Les Affaires présente des projets immobiliers d'envergure qui devraient bientôt faire couler un sang nouveau dans les artères de Montréal.
Commission Charbonneau, nouvelle administration, priorités budgétaires et défis «techniques» : autant de raisons invoquées pour expliquer que Montréal retarde le réaménagement du site de l'hippodrome que vient de lui céder le gouvernement du Québec.
La Ville compte toutefois démarrer en 2015 - avec deux ans de retard - les travaux promis pour la revitalisation du «Triangle», un quartier adjacent à l'hippodrome, où les promoteurs immobiliers, en avance sur les fonctionnaires, commencent à s'impatienter.
Malgré sa localisation stratégique au coeur de l'île de Montréal - deux stations de métro, une future station de train de banlieue, deux autoroutes à proximité -, le Triangle est un ancien secteur déstructuré, sous-utilisé et sans vocation spécifique. Il doit maintenant devenir un quartier très vert, «moderne et convivial», à forte densité résidentielle, où la circulation automobile sera restreinte et où les résidents pourront faire leurs courses à pied et jouir d'un grand parc «fédérateur».
Des décisions en suspens
La Ville a procédé par concours pour le design urbain du Triangle, concours remporté par Catalyse Urbaine. Selon le scénario retenu par une firme de design spécialisée en «intégration de la nature dans le tissu urbain», le parc devait être situé sur le site de deux concessionnaires et adjacent à un bout de rue devant être fermé à la circulation automobile. Le plan prévoit la création d'une grande place piétonne, transformable en marché public l'été, située en face d'un supermarché à être installé au rez-de-chaussée d'un immeuble résidentiel.
Le parc, la place piétonne et leur emplacement sont, au dire de Juliette Patterson, associée de la firme, «la pièce maîtresse» du design de Catalyse Urbaine.
Or, dans une entrevue accordée au journal Les Affaires sur l'avenir du Triangle, le directeur de l'urbanisme et du développement économique de la Ville de Montréal, Sylvain Ducas, a indiqué que «l'aménagement du parc en lieu et place des concessionnaires automobiles pose des défis techniques et financiers non négligeables». Il ajoute que «des analyses plus approfondies sont requises avant d'aller de l'avant avec cette proposition».
Quant à la fermeture de l'avenue Victoria, cette décision «pose aussi des défis techniques importants. Nous préférons attendre la conclusion d'une étude de transport élargie avant de prendre une décision». Par conséquent, la Ville n'est pas près de sortir ses bulldozers.
Ainsi, la Ville envisage de ne pas respecter certains éléments proposés par le lauréat. Chez Catalyse Urbaine, la déception est manifeste : «Si on fait des concours et qu'on ne les honore pas, ça va décourager les designers», lance Mme Patterson.
Sam Scalia, président de la société immobilière Devmont, exprime lui aussi sa déception. Devmont, qui fait la promotion du design de Catalyse Urbaine sur son site Web, fait partie d'une brochette d'une demi-douzaine de promoteurs assez avancés dans la construction de 4 200 unités résidentielles d'ici 2017. «Nous avons parié sur ce quartier, nous avons livré la marchandise, et il est maintenant temps que la Ville tienne ses promesses», réagit-il. La construction de 4 200 logements représente près de 1,2 milliard de dollars de taxes foncières pour la Ville, dit-il.
Les promoteurs immobiliers, designers et nouveaux résidents du quartier attendent aussi l'établissement d'une école primaire, autre élément structurant d'un futur quartier que l'on souhaite attractif pour les familles. Mais, là aussi, le dossier stagne.
Consolation : pour 2015, l'arrondissement Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce promet de démarrer les travaux d'installation d'infrastructures publiques prévues pour... 2013.
Les causes du retard sont multiples, explique Daniel Lafond, directeur de l'aménagement urbain et des services aux entreprises de l'arrondissement. Un appel d'offres a été lancé puis annulé, car les soumissions ont été jugées trop élevées. De plus, les enquêtes de l'Autorité des marchés financiers sur l'attribution des contrats publics ont retardé l'échéancier.
Mais à moins que «les changements administratifs récents et la priorisation des dossiers par le conseil exécutif de la ville» ne l'empêchent, Daniel Lafond croit que les résidents du Triangle verront les premiers bulldozers en 2015.
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Positionnement économique
L'arrondissement prévoit toutefois respecter le concept de Catalyse Urbaine en ce qui a trait au réaménagement de rues où la place de la voiture sera réduite et où seront créées des «zones de rencontres» entre les citoyens. «L'idée est d'éviter que la circulation de transit passe par le quartier», explique Juliette Patterson.
Le trafic sera réduit à 20 km/h dans les rues, de façon à ce que les enfants puissent y jouer. L'idée est d'introduire en ville «les bons éléments de la banlieue». En outre, on travaille à implanter un éclairage public aux diodes électroluminescentes, moins énergivore.
D'autre part, l'arrondissement vient de confier à la firme consultante Dionne et Gagnon le mandat de réaliser une étude de positionnement économique pour le secteur, comprenant le boulevard Décarie.
«On cherche à attirer des entreprises qui sauront profiter de coûts de loyer moins élevés qu'au centre-ville et de la proximité à la fois d'un nouveau quartier résidentiel et de deux autoroutes», dit M. Lafond.
«La Ville de Montréal comment une erreur» - Florence Junca-Adenot, professeure en études urbaine à l'Université du Québec à Montréal
En entrevue, Sylvain Ducas, directeur de l'urbanisme et du développement économique de la Ville de Montréal, nous a révélé que l'hippodrome a été mis de côté jusqu'à ce que soit réalisée une étude de transport portant sur la problématique des déplacements dans le secteur, car l'hippodrome est enclavé et adjacent à une zone très congestionnée (autoroute Décarie, A-40 et rue Jean-Talon).
Une erreur, selon Florence Junca-Adenot, professeure en études urbaines à l'UQAM. La réputée urbaniste croit que Montréal a tort de reporter le projet de transformation de l'hippodrome en un quartier d'avant-garde et de l'assujettir aux conclusions d'une étude sur le transport dans cette zone de la ville.
«C'est un grand manque de vision. L'hippodrome offre à Montréal une chance unique de créer un quartier écologique qui pourrait servir de modèle. Cela devrait être une priorité», dit-elle à Les Affaires.
Florence Junca-Adenot fait partie du comité de six experts que la Ville a recrutés en octobre 2012 pour participer à la planification du quartier, laquelle devait aboutir à l'élaboration du plan directeur en 2016. Mais après deux réunions, la Ville n'a plus donné signe de vie au comité. «J'ignore complètement ce qui s'est passé. On ne nous a rien dit», indique-t-elle.
«Il faut faire cette étude [sur le transport] en même temps que la planification du quartier, s'exclame-t-elle. L'hippodrome est le meilleur exemple du fait qu'on doit faire les deux ensemble, car c'est rare pour une ville d'avoir le contrôle complet du développement de 43 hectares (8 000 logements).»
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