Les querelles Ottawa-Québec ont contribué au fiasco de Mirabel


Édition du 10 Mai 2014

Les querelles Ottawa-Québec ont contribué au fiasco de Mirabel


Édition du 10 Mai 2014

Pour comprendre le fiasco de Mirabel, il faut connaître sa genèse et le rôle qu'y ont joué les leaders politiques de l'époque. Le personnage central de cette aventure est Pierre Elliott Trudeau, élu en juin 1968 premier ministre du Canada avec une forte majorité, dont 56 sièges au Québec sur un total de 74.

Quelques mois auparavant, il avait rejeté catégoriquement la demande de statut particulier pour le Québec que lui avait adressée le premier ministre Daniel Johnson. Ce dernier avait publié Égalité ou indépendance, un ouvrage qui lui avait servi de plateforme à l'élection de 1966.

De leur côté, les planificateurs du gouvernement canadien planchaient sur deux projets d'aéroports de grande envergure. Le trafic aérien était en forte hausse, et nos planificateurs croyaient que les aéroports de Montréal et de Toronto ne suffiraient pas à la demande. Pierre Elliott Trudeau et Jean Marchand, son ministre du Développement économique, qui ont acquiescé à cette thèse, ont imposé en 1969 la construction de l'aéroport, qui a reçu le nom de Mirabel. C'était après une chicane avec Québec, qui avait voulu qu'il soit aménagé dans la région de Drummondville (à 125 km de Dorval) !

L'aéroport ontarien avait été prévu à Pickering (à 75 km du centre-ville de Toronto), mais le gouvernement Trudeau n'avait pas le même rapport de force en Ontario, où le gouvernement conservateur de John Robarts s'est rangé du côté des opposants. L'aéroport prévu n'a pas été construit, même si on y a exproprié des terres.

Quand l'aéroport de Mirabel a été inauguré en 1975, le trafic aérien avait chuté, un résultat du choc pétrolier survenu quelques années plus tôt. Pire, l'autoroute qui devait relier Dorval, où on avait gardé les vols pour les marchés canadien et américain, et Mirabel, qui assurait les vols internationaux, n'a jamais été terminée. Enfin, on n'a pas construit la voie ferrée qui devait relier Mirabel et le centre-ville de Montréal.

Résultat : plusieurs transporteurs internationaux ont refusé de déménager à Mirabel et ont plutôt transféré leurs pénates à Toronto, qui est devenue la grande plaque tournante du trafic aérien au Canada. Le sort de Mirabel était réglé.

Il y a maintenant 10 ans qu'il ne se fait plus d'activités aéroportuaires pour les voyageurs à Mirabel. L'aérogare que l'on a entretenue à grands frais (30 M$ depuis 10 ans) dans l'espoir d'y installer d'autres activités est devenue un éléphant blanc. Tel n'est pas le cas toutefois de l'aéroport, où plusieurs entreprises se sont implantées et où oeuvrent environ 3 700 personnes, dont 86 % dans le secteur très porteur de l'aéronautique. Aéroports de Montréal (ADM) compte investir 40 M$ pour la réfection d'une piste et 60 M$ supplémentaires à d'autres fins.

L'immeuble, qui date de 40 ans, est mal situé et se prête mal à un autre usage. Il est énergivore et contient de l'amiante. Une simple remise aux normes coûterait 27 M$. C'est pourquoi ADM a lancé un appel d'offres pour le démantèlement de l'aérogare. On prévoit attribuer le contrat à cette fin en septembre.

Même si cela fait 10 ans qu'on cherche en vain un usage approprié à ce bâtiment, des voix s'élèvent pour tenter un ultime effort dans le but de le sauver. À moins de croire au miracle, on ne voit aucune solution qui ne requerrait pas des dizaines de millions de dollars des contribuables. Il faut arrêter cette hémorragie et passer à autre chose.

Grave erreur administrative et politique

La construction de Mirabel a été une grave erreur de planification et d'exécution, mais son impact le plus dévastateur a été de faire perdre d'importantes parts de marché à l'aéroport de Dorval au profit de celui de Toronto. Depuis, celui-ci a en effet bénéficié de milliards de dollars d'investissements et est devenu définitivement la principale plaque tournante du trafic aérien du pays, devant Vancouver. La région de Montréal a beaucoup perdu dans cette aventure. Pour sa part, ADM a pris d'excellentes initiatives pour développer l'aéroport Pierre-Elliott Trudeau. Malheureusement, les gouvernements se chicanent sur le meilleur moyen d'en faciliter l'accès, ce qui en retarde l'exécution.

Le fiasco de Mirabel nous enseigne qu'il faut se méfier des grandes planifications technocratiques et que l'évolution des marchés réserve souvent de grandes surprises. Autres leçons, les décideurs politiques doivent refuser de faire de la politique avec des enjeux économiques importants et respecter leurs engagements. Si les leaders du temps avaient contrôlé leur ego et mis de côté leurs rivalités, la décision de construire Mirabel aurait peut-être été reportée, comme on l'a fait pour le projet de Pickering.

Les citoyens de la région doivent oublier les dommages qu'ils ont subis il y a 40-45 ans et envisager leur avenir en misant sur l'industrie aéronautique. Quant aux maires, ils doivent concentrer leurs énergies sur le développement de l'infrastructure existante et des entreprises qui s'y installent.

J'aime
Après le succès du Sommet international des coopératives de 2012, Desjardins et ses partenaires répéteront cet événement en octobre, à Québec. On y attend 3 000 personnes de 100 pays. Des dizaines d'experts y présenteront des conférences et les résultats d'une vingtaine d'études.

Je n'aime pas
Le promoteur du Grand Prix de Montréal tape du pied afin de renouveler rapidement son entente de financement avec Montréal, Québec et Ottawa pour les courses de 2015 et au-delà. On demande de plus en plus d'argent des contribuables, tandis que les redevances baissent depuis 2010. Il est certain que le Grand Prix est un bon outil de promotion touristique, mais ce dossier baigne dans le plus grand secret. Ne devrait-on pas respecter un peu plus les contribuables?

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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