Joseph St-Denis Boulanger et Laurie-Anne Cloutier, copropriétaire de la Distillerie des Marigots (Photo: Bon appétit Qc)
EXPERT INVITÉ. Connaissez-vous Caplan? Ce petit village gaspésien qui se trouve au cœur de la baie des Chaleurs réunit quelque 2000 âmes. Des âmes chaleureuses, oui.
Le cofondateur et copropriétaire de la Distillerie des Marigots Joseph St-Denis en sait quelque chose, puisque ce coin de pays l’a vu naître et grandir. Il l’a vu partir aussi, comme tant d’autres jeunes de la région en quête de… de quoi donc? de plus? d’autre chose? Les raisons varient.
Dans le cas de Joseph, c’était pour poursuivre des études, mais aussi pour s’enfuir des « as-tu entendu ce qui est arrivé à ____? » typiques des petites communautés. Ce n’était pas mal en soi; ce n’était juste plus à son goût.
La grande ville l’aura vu décrocher son diplôme universitaire, rencontrer l’amour de sa vie, se préparer à accueillir une petite fille… et la perdre à la naissance. Le petit cœur avait cessé de battre.
Celui de ses parents aussi.
Retrouver son chemin
«Quand ça t’arrive, tu te dis que c’est impossible que du bien ressorte de tout ça un jour. Rétrospectivement, je peux affirmer que c’est pourtant ce qui est arrivé», reconnaît Joseph, plein d’une sérénité tellement inspirante.
Le deuil de leur première fille a amené Joseph et sa conjointe, Laurie-Anne, à se questionner sur la vie, sur leur vie, sur ce que ça voulait dire, sur ce qu’ils voulaient en faire. Les grandes questions existentielles ont pris beaucoup de place. Des questions très chargées en général, et encore plus graves dans la souffrance.
Les réponses, c’est en Gaspésie qu’ils les ont trouvées. «Quand on revenait visiter la Gaspésie, mon cerveau et mes envies bouillonnaient. Mais, à mesure que je rentrais en ville, mon panier d’idées se vidait, jusqu’à ne plus rien contenir.» Le retour à Caplan s’est imposé de lui-même.
OK, mais pour y faire quoi? L’ingénieur de formation n’a pas mis trop de temps à se recentrer sur ce qu’il aime dans la vie: bien boire et bien manger.
La Distillerie des Marigots est donc née de ce retour aux sources, dans sa région et dans son for intérieur.
Du jamais vu en bénévolat
Tous les entrepreneurs et entrepreneures le claironnent: se lancer en affaires, c’est dur et plein de cahots en chemin.
Mais quand tout un village s’implique, ça adoucit pas mal la route.
En fait, les habitantes et habitants de Caplan ont accueilli Joseph, Laurie-Anne et leur deuxième fille à bras ouverts, le cœur grand comme la beauté des paysages autour.
Depuis ses tout débuts, la Distillerie des Marigots a la chance de compter sur des bénévoles pour l’aider à embouteiller son gin. Comprenez-moi bien, on ne parle pas ici d’un épisode de bénévolat par-ci, par-là «quand ça adonne». Non, non! Il est plutôt question de sessions d’embouteillage récurrentes auxquelles participent chaque fois un ou deux commis de la Distillerie et de cinq à huit bénévoles. Au total, c’est 35 000 bouteilles par année qui passent entre leurs mains!
Avez-vous souvenir d’une autre entreprise privée qui peut compter sur autant d’engagement bénévole? Ce genre d’implication est généralement l’apanage des OBNL, des associations, des coopératives à la limite. Mais une entreprise privée? C’est une rareté.
Et surtout, c’est d’une beauté, car on se retrouve non plus devant une simple entreprise, mais devant des dizaines et des dizaines de bénévoles qui tissent des liens humains.
Plus qu’une distillerie
Joseph se l’explique simplement: l’esprit communautaire, c’est l’âme des Caplinots, des Caplinoises et de la population avoisinante.
D’ailleurs, l’homme derrière la Distillerie ne peut pas renier ses origines! Engagé tout naturellement dans une relation donnant-donnant, le commerce fait don de produits pour contribuer à sensiblement toutes les causes qui lui en font la demande, allant des tournois sportifs amateurs jusqu’aux événements au bénéfice de fondations ou du monde scolaire.
Mais surtout, la Distillerie des Marigots rend ses gens fiers, car ses produits, qui se vendent à la grandeur du Québec, mettent à l’honneur les aromates du coin. En utilisant les herbes qui poussent à Caplan pour aromatiser son gin, Joseph redore le blason du terroir et donne la part belle aux richesses, voire aux souvenirs de sa communauté. «L’un des plus beaux compliments que j’ai reçus, c’est d’une de mes premières employées, qui m’a dit: «“La première fois que j’ai senti ton gin, j’ai trouvé que ça sentait comme quand ma sœur et moi, petites, on jouait à la cachette dehors.”»
Décidément, cette distillerie n’est pas qu’une distillerie : c’est le baume sur le cœur de parents endeuillés, la valorisation d’une région et l’appartenance de toute une communauté.
C’est l’entrepreneuriat à son meilleur.